Ce que tu sèmes aujourd'hui, te le récolteras demain ✯ Gwendall

I

shani avait eu bien des tâches, arboré bien des visages, dans sa vie. Elle connaissait les sales besognes, les courbatures, la fatigue si grande qu'elle ne se relevait que par la force de sa volonté. Elle connaissait la faim, terrible, constante. Elle n'était pas de ceux qui se plaignaient pour un travail trop difficile.

Mais elle n'avait encore jamais travaillé dans un champs, avant Féerie. L'agriculture était tellement différente, ici. Tout était différent, à vrai dire, les couleurs, les formes, les accents et les visages.... Tout était tellement vert, luxuriant ; là ou tout était sec et monotone là ou elle était née... Là ou les seules tâches de couleurs étaient les peaux, les bijoux et les saris colorés, et le sable du désert... Féerie était différent de ce qu'elle avait imaginé, meilleur, encore plus féerique... Et même si elle était l'étrangère, la malvenue, elle avait connu des preuves de gentillesse... Même par un membre de la famille royale ! Ce qui n'aurait jamais pu se produire dans la famille du Sultan...

La jeune fille essuie la sueur sur son front du revers de sa manche. Elle avait volé sur le chemin de la capitale, après son arrivée en bateau, quelques vêtements qui séchaient aux abords de maisons... Afin de se fondre, au moins un peu, dans la masse. La mode féerienne lui semblait étrange, même les tissus, étaient différents. C'était ces petits détails, desquels il était le plus difficile de s'habituer. Car là ou les récits disaient que le Royaume du Bout de l'Océan n'était que splendeur, pour Ishani c'était Féerie la merveille, le diamant brut.
Elle était habituée à la chaleur étouffante, brûlante du Royaume du Bout de l'Océan, alors le travail physique semblait moins être un défi avec les températures bien plus clémentes de Féerie. Néanmoins, il n'était pas facile, de travailler les champs. Cela demandait une force physique qu'Ishani n'avait pas forcément... Mais elle se détachait bien facilement de son corps, son esprit voguant rêveusement, songeant à toutes ces nouveautés, se perdant dans les nuages aux formes fantastiques, ou dans les fleurs sauvages qui poussaient dans le champ...

S'accordant une petite pause dans ses tâches, elle commence à cueillir des fleurs avec un sourire rêveur aux lèvres. Elle aimait particulièrement les rouges, aux pétales toutes fines. Elle ne savait pas ce que son patron dirait de la voir se faire distraire par la cueillette des fleurs mais... Elle avait déjà fait bien pire que ça. Et c'était agréable, d'oublier un peu le travail et le devoir pour simplement apprécier des jolies choses...

Elle se retourne en entendant des bruits de pas, et seul son expérience des méfaits lui fait garder un air serein lorsqu'elle reconnaît Gwendall, qui venait sans doute vérifier qu'elle travailler bien...

« ... Je pensais qu'il fallait cueillir les fleurs, pour ne pas qu'elles envahissent les champs, et abîment les récoltes ? » Ment-elle effrontément, avec aplomb, en offrant un sourire innocent au paysan barbu qui n'avait pourtant pas l'air énervé ou agressif... Mais elle était trop habituée à devoir mentir ou du moins, arranger la vérité, pour s'en sortir. Les traces de gentillesses gratuites, elle n'y croyait pas vraiment... Elle voulait y croire mais cela lui avait déjà coûté cher dans le passé. Gwendall semblait un homme gentil, généreux, mais Ishani ne voulait pas prendre le risque de se le mettre à dos.

Mais elle espérait que son excuse improvisée était mal fondée. Les fleurs étaient si jolies, il aurait été dommage de devoir toutes les arracher !

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G

wendall, à distance, observait cette jeune étrangère qui flânait à présent dans son champ en cueillant quelques fleurs plutôt que de faire le travail qui lui avait été demandé - mais il savait qu'elle n'avait pas lambiné jusqu'alors, loin de là, il l'avait observée avec attention (il le fallait bien, il ne savait rien d'elle après tout), et elle s'était montrée aussi volontaire qu'efficace. Il savait que beaucoup - si ce n'est tout le monde - ne comprendrait pas son choix, celui d'accorder son attention et sa chance à une gamine venue de l'autre bout de l'océan, à l'heure où tous ceux de l'autre monde étaient des ennemis déclarés, à l'heure où la défiance était de mise, peu importe les circonstances... Quand la famille royale (la vraie, parce qu'il avait beau en faire techniquement partie, il n'en avait absolument pas le sentiment que c'était le cas) l'apprendrait, il aurait sans doute des problèmes, mais peu importe, il prenait le risque.

Il n'y pouvait rien, elle le touchait, cette gamine. Elle lui semblait tout à fait inoffensive, et surtout, elle lui rappelait Eleonore, quelque chose dans son tempérament frondeur, dans sa mélancolie, aussi... et quelque chose d'Anna, également... Il était définitivement trop sensible, c'était comme ça. Et après tout, ce n'était pas comme si il inventait à Ishani une fonction de laquelle il n'aurait pas besoin. Gwendall manquait terriblement de main-d'oeuvre. Ses champs, ses cultures, ça avait toujours été une affaire familiale... Ses filles l'aidaient, même Victoria l'aidait, à l'époque. Elle aussi, haute comme trois pommes, s'amusait à cueillir les fleurs... Et Abygaëlle, bien sûr, était d'une aide inestimable, elle aussi. Plus maintenant. Il n'y avait plus que lui. Et sa femme pour lui rappeler régulièrement qu'il devrait dire abandonner ses champs, le travail de toute une vie, pour venir vivre au château, avec elle, avec Anna... profiter de ce pour quoi ils avaient tant sacrifié, trop sacrifié... non, il était mieux ici... et tant pis pour l'image que cela renvoyait de lui, Ishani ou pas.

Quand il vint à sa rencontre, il s'amusa de sa remarque. Il savait qu'elle se cherchait des excuses, et pourtant, le pire dans tout ça, c'est que l'excuse était bonne. Ces fleurs avaient beau être très belles, il fallait toujours s'en débarrasser.

-Ne te justifie pas, va, tu as bien mérité une pause. Est-ce que tu veux rentrer un instant te rafraîchir ? Le soleil commence à taper fort. Enfin... j'imagine que pour toi, ça ne doit pas être grand-chose...

Il ne pouvait que s'en faire une vague idée. Lui-même n'avait jamais mis les pieds de l'autre côté de l'océan. Et ne le ferait sans doute jamais.

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