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 Les ailes arrachés

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Nathaniel
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Message#Sujet: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeMar 21 Jan - 12:52

Des fois que vous vouliez jeter un coup d'oeil à la fiction qui a inspiré ce forum Les ailes arrachés 4250895
J'espère que ça vous plaira Very Happy

Ah... et si quelqu'un touche à mon histoire ou à l'un de mes persos, j'en fais une tourte à la viande (je déconne pas Suspect ). Razz


Les Ailes Arrachées
Partie 1 - La fleur et la coquille vide



Chapitre I : Promenons-nous dans les bois...

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"Ma mère-grand, que vous avez de grandes dents !
C'est pour mieux te manger, mon enfant.
Et en disant ces mots, ce méchant Loup se jeta sur le Petit Chaperon rouge, et la mangea."

-Charles Perrault, Le petit chaperon rouge.



L’atmosphère était viciée, irrespirable, et sa gorge comme obstruée par un rempart rocailleux... La douleur tenaillait ses poumons à chaque gorgée d’air. Elle inspirait, chaque fois un peu plus fort, dans l’espoir de retrouver un souffle régulier, mais sans succès. Ne subsistait que cette désagréable impression qu’on lui compressait la poitrine, qu’on lui comprimait les côtes...

Elle avait perdu tout repère, rien n’importait sinon d’aller vite, toujours plus vite, au-delà de ce que ses jambes et sa respiration étaient capables de supporter, de mettre le plus de distance possible entre elle et lui. Les arbres défilaient autour d’elle, tous semblables, elle ne reconnaissait plus rien… ses pas glissaient dans l’inconnu. Les larmes qui lui embuaient le regard n’aidaient en rien. Dans sa tête, les questions se précipitaient, mais pas de réponses satisfaisantes, juste une certitude : elle n’arriverait jamais à temps… Elle allait mourir ici, au milieu de cette végétation hostile, qui agrippait le bas de sa robe, arrachait ses manches, écorchait sa peau… La rare lumière au-delà de la cime des arbres avait l’aspect de dizaines d’yeux au regard moqueur. Ils la jugeaient, ils l’accusaient.
Était-ce de sa faute ?

Elle n’aimait pas courir. Ses poumons étaient en miette. Bientôt, elle ne vit plus rien, pas même les branches qui lui faisaient obstacle ou les feuilles qu’elle foulait au pied. Elle n’était pas assez rapide. Elle ne devrait pas courir. Elle n’aimait pas courir, et ça ne servait à rien, ne faisait que retarder l’échéance. C’était inutile. Elle entendait son grognement, quelque part dans son dos, qui s’amplifiait encore et encore. Jusqu’à ce que son souffle lui réchauffe la nuque un peu trop fort.

Ce ne fut pas bien long, ça ne dura que le temps de quelques bouchées, c’est tout… Mais aussi court cet instant fut-il, elle y ressentit l’éternité. Simple illusion. Mais qui faisait mal… Des secondes à rallonge qui lui broyaient les os. Durant ce laps de temps, elle dut conjuguer plus d’efforts qu’elle ne pensait pouvoir en fournir pour se convaincre que ça lui était égal. Ailleurs qu’ici, à portée de crocs, elle l’aurait fait sans problèmes. Mais c’était toujours plus simple quand il n’y avait pas de crocs. Elle savait qu’on ne la laisserait pas grandir. Elle l’avait entendu. Et elle l’avait senti. Mais c’était douloureux.
Elle ne pensait pas que ça arriverait si tôt, ni de cette manière.

Lentement, avec ce qui lui sembla être la plus totale minutie, il avait planté une à une ses canines dans la chair de ses mains d’enfant, puis dans celle de ses pieds, y traçant des points ensanglantés. Il recommença ainsi plusieurs fois. Il entretenait la souffrance. Il devait bien le savoir, combien ses dents aiguisées pouvaient faire mal quand il les replantait inlassablement au même endroit. Elle sentait tout, la douleur hurlait dans son crâne à lui en crever les tympans.

Elle sentait tout.

Elle sentait ses crocs s’enfoncer de part en part dans la chair blême de ses mollets et dans celle de ses bras. Elle ne hurlait pas, bien que, pour ce faire, elle dut se mordre les lèvres avec tant de force que, bientôt, le goût amer de son propre sang se déposa dans sa bouche. Le liquide lui obstruait la gorge jusqu’à la nausée. Et elle avalait ce sang qui manquait de l’étouffer. Elle s’avalait elle-même avant qu’il ne s’en charge.

Quelques coups de crocs supplémentaires et, dans un craquement bruyant, à la manière d’un arbre dont on aurait arraché une branche avec violence, elle sentit la peau de son épaule se déchirer avec autant d’aisance que si elle avait été faite de tissu. Les bras compressés entre deux canines acérées, elle eut seulement le temps de remarquer la forme jaunâtre de son omoplate qui s’était frayée un passage au travers de sa chair pour paraître à l’extérieur avant de détourner la tête dans le peu de mouvement qu’elle se sentait encore capable de faire. Elle voyait sa lucidité s’évanouir peu à peu. Parmi ses dernières pensées valables, il y eut l’interrogation. Que subsistait-il du reste de son corps ? Y avait-il quelque chose, là, en-dessous de sa tête ? Était-elle seulement encore vivante ? La souffrance lui rongeait tout à l’intérieur tandis qu’il dévorait au-dehors. Elle était certaine d’avoir perdu la voix. Incapable de crier, incapable d’appeler au secours. À quoi bon, de toute manière. Appeler qui ?

Ses sens la quittaient peu à peu… Ses yeux, recouverts d’un épais nuage de larmes se posèrent pour la dernière fois sur les feuilles mortes, rougies de sang. Elle ferma les yeux. Ils ne s’ouvriraient plus. Tant mieux, elle n’avait plus envie de voir quoi que ce soit. Plus de lumière, plus d’ombre ; ça devenait égal. Elle ne voulait plus que ses yeux s’ouvrent. Pas sur le sang. Le désir de ne plus rien voir au point de vouloir se coudre les paupières. Pour être sûre. Ses oreilles perçurent un moment le craquement de ses os, jusqu’à ce qu’elles n’entendent plus rien. Comme un refus. Il n’y avait plus que le goût des larmes et du sang qui lui glissaient dans la gorge sans qu’elle en ait décidé. Un liquide chaud coulait sur ses plaies ouvertes, mélange rugueux de bave et de sueur. Des milliers d’étoiles brillaient sous ses yeux. Autant d’astres tardifs qu’ils ne pouvaient plus rien augurer de bon. Il l’avait rendue aveugle. Elle aurait pu découdre les ficelles invisibles glissées entre ses cils, cela n’aurait rien changé. Mais elle ne le voulait pas.

Enfin, il y eut un moment de vide, un moment presque agréable. Un doux bain d’absence. Celui où elle ne sentit plus rien. Son corps ne réagissait plus à la douleur. Sa conscience se dissipait petit à petit. Jusqu’au vide.

Enfin, elle n’était plus là.

Après les cris, un silence assourdissant. Le loup avait disparu. À la place, dissimulée sous une cape grisâtre, une jeune fille s’était agenouillée tout à côté du cadavre. Écrasant les feuilles mortes d’un coup de genou, elle caressait machinalement la chevelure de paille de la gamine, dont le corps n’était plus qu’un tas disparate et informe, rouge et chair. Elle fit glisser ses doigts le long du chaperon rouge, tâchant au passage ses mains d’une épaisse couche cramoisie. Elle en avait encore le désagréable goût en bouche. Elle pencha un moment la tête de côté. C’était à peine si elle était encore reconnaissable.

Elle se sentait étrangement vide. Ça ne lui avait rien fait du tout, même après tout ce temps. Ce ne fut qu’après plusieurs minutes d’un immobilisme qui oscillait entre examen et recueillement qu’elle se releva. Une fois debout, elle écrasa la joue de sa victime de la pointe de sa botte avec un sentiment un peu vain d’accomplissement. Elle resta ainsi, fixe, jusqu’à ce qu’un craquement bruyant ne la sorte de sa torpeur.

– Merde !

Elle grimaça.
Une ombre indistincte glissait d’un arbre à l’autre, se rapprochant dangereusement. La jeune fille hésita un moment, avant de finalement décider de se mettre à courir, ses bottes de sept lieues l’entraînant aussi loin que possible… Encore peu habile dans ses mouvements, elle manqua de se heurter à plusieurs reprises aux arbres environnants, mais elle ne s’en souciait pas. Il fallait à présent de rejoindre la route le plus vite possible.

Enfin, la lumière d’un réverbère éclaira un chemin de pierre. Elle jeta un coup d’œil à la borne vermillon face à laquelle elle avait atterri. C’était le bon endroit. Elle s’assit sur le sol couvert de dalles disparates, étalant au passage un peu de boue sur le bas de sa robe de lin. Elle avait toujours le sentiment que les pas la suivaient, bien que convaincue de se trouver trop loin pour cela. Le craquement désagréable des branches continuait de résonner dans ses oreilles… Jusqu’à ce qu’il soit enfin remplacé par l’arrivée du carrosse, qui s’arrêta juste devant elle.
Sans se faire prier, elle s’empressa de monter à l’intérieur, accueillie par un homme de forte corpulence. Âgé d’une cinquantaine d’années, ses rides fortement prononcées lui en donnaient dix de plus. Il ne la salua que d’un faible signe de tête, le regard fuyant.

Le ciel était d’un noir d’encre. Il n’y avait pas d’étoiles, pas de lune, juste une épaisse couche de nuages opaques en dessous. Il n’y avait plus grand-chose qui puisse troubler le silence qui enveloppait l’espace, si on oubliait du moins le frottement des roues contre la pierre et le hennissement ponctuel des chevaux. Le carrosse progressait lentement sur la route que la nuit avait rendue on ne peut plus déserte.
– Anthony, c’est ça ?
Le carrosse remuait violemment sous l’effet des pierres inégalement réparties sur le sol, au point qu’elle commençait à s’en sentir mal. Le dénommé Anthony se contenta d’acquiescer d’un signe de tête.
– Où est-ce qu’elle est ? demanda-t-il après un moment de silence.
– Hein ? fit-elle mine de ne pas comprendre.
– Où est-ce qu’elle est ?
– Oh… Elle se mordit la lèvre inférieure. Je l'ai laissée… j’avais pas le choix.
Le regard d’Anthony changea. De fuyant, il devint anxieux.
– Il ne va pas être content… pas du tout…
Anthony tremblait, du haut de son chapeau difforme à la pointe de ses chaussures trop serrées.
La jeune fille bottée, les bras croisés, préférait ne pas le regarder, l’attention fixée sur le paysage qui défilait au-dehors, tentant de dissiper le malaise qui l’envahissait progressivement.
– Je n’y suis pour rien s’il y a eu… un imprévu.
Elle agitait ses jambes de haut en bas, faisant glisser ses bottes de sept lieues jusqu’à ses chevilles. Anthony lui lança un regard sévère et agacé tandis que le carrosse continuait sa progression à travers l’ombre.
– À ce stade, les imprévus…
– C’est bon… Votre morale, je la connais. répliqua son interlocutrice, vexée. Ce sera à Edgar de décider, de toute manière.
Anthony grommela encore deux trois phrases dans sa barbe, qui ne reçurent aucune réponse, avant que tous deux ne se résignent au mutisme.
Le carrosse s’arrêta finalement après plusieurs longues minutes d’un silence tendu. Anthony et la jeune fille aux bottes sortirent tous deux. Ils étaient devant l’entrée d’un château immense, protégé par un grillage gigantesque forgé dans un métal rouillé par le temps, et surmonté de pointes agressives. Plus qu’un château, c’était une multitude de tours en pierres grises et rondes qui s’étalaient à perte de vue. Une tour colossale, la plus haute, s’élevait si haut que l’on en distinguait à peine le sommet. La jeune fille au bottes de sept lieues ne put s’empêcher d’émettre un sifflement impressionné. Anthony s’en redressa de suffisance… si du moins cela se voyait. Sa dégaine était en effet telle qu’elle lui donnait l’air minuscule, il se tenait toujours penché, boitant légèrement, cet aspect conjugué à sa forte corpulence lui donnait l’air d’une boule zigzagante qui peinait à monter les marches qui menaient à la porte du château. Il y toqua trois fois, trois coups répétés à intervalles parfaitement réguliers. Par une ouverture creusée au milieu de la porte, une paire d’yeux sombres les regarda l’un après l’autre.
– Tire la chevillette… prononça une voix grave de l’autre côté de la porte.
– Et la bobinette cherra. compléta Anthony du ton le plus sérieux du monde.
La jeune fille bottée éclata de rire tandis qu’on leur ouvrait la porte.
– Quoi ? S’agaça Anthony.
– Ça ne signifie rien, non ? Tu ne t’en étais pas aperçu ?
– Tais-toi…

Edgar tenait son office au sommet de la plus haute tour, aussi eurent-ils tout le loisir d’observer les divers tableaux accrochés au mur, les dorures qui habillaient le plafond, les armures brillantes, les statues menaçantes… Chaque marche d’escalier, chaque mur, chaque pièce qui leur était donnés de voir étaient autant de signes d’une richesse qui dépassait l’imagination de la jeune fille. Peut-être était-ce trop ? Elle ne savait pas, elle était quoi qu’il en soit émerveillée, ou du moins impressionnée.
– C’est… incroyable. commenta-t-elle, sa voix se répétant en écho.
Elle s’accrocha à la rampe de l’escalier qu’elle achevait de monter, reprenant son souffle après une telle ascension, Anthony la suivait d’un peu plus loin à chaque marche.
– Je te remercie. répondit une voix glacée dans l’encadrement de la porte qui faisait face au plus haut des escaliers.
La voix appartenait à un homme à la silhouette maigre, au teint excessivement pâle, et aux cheveux grisonnants. Malgré cette allure ni engageante, ni impressionnante, il semblait émaner de lui une aura à la fois apaisante et effrayante, qui imposait d’elle-même une certaine forme de respect.
D’un seul geste, ils s’inclinèrent.
– Majesté.
– Vous êtes en retard. Entrez.
Anthony et la fille aux bottes s’exécutèrent et prirent place à l’intérieur d’un bureau gigantesque. Dépouillé, il ne contenait qu’une grande table en hêtre où était gravé le blason de Féérie. La pièce était décorée avec beaucoup de luxe et assez peu de goût. Une tapisserie brodée d’or chargée de motifs divers habillait les murs de couleurs criardes. Au centre du mur qui faisait face au bureau, le blason de Féerie apparaissait une nouvelle fois, s’imposant à la vue de tous par ses couleurs vives, trois roses étonnamment tissées de vert entouraient une licorne dressée sur ses pattes arrières.
– Alors, ces nouvelles ? ajouta-t-il en martelant la table du bout de ses ongles pointus.
– Eh bien… c’est-à-dire…
Anthony tremblait comme un fautif pris sur un fait avec lequel, en l’occurrence, il n’avait rien à voir.
– Anthony…
Edgar n’eut rien à ajouter, le silence qu’il laissait peser à la suite de ce simple nom en disait suffisamment long. Mais son attention ne se portait de toute manière déjà plus sur lui, concentrée sur sa voisine.
– La mission est accomplie, seigneur.
– Vraiment ?
– Elle oublie un détail, sire…
Cette remarque fut suivi d’un gémissement étouffé, la fille bottée venait d’écraser le pied de son voisin sans aucune délicatesse.
– Absolument pas, répliqua la jeune fille en lançant son regard le plus noir à Anthony. Elle est morte, c’est ce que vous vouliez, non ?
– Mais ?
– Elle s’est fait prendre. répliqua Anthony qui ressentait soudainement moins de scrupules à exposer les faits.
– Je ne me suis pas fait prendre. J’ai juste… rencontré quelqu’un. Et j’ai dû partir.
– Et le corps ?
Le ton d’Edgar semblait se glacer un peu plus à chaque question.
– Laissé sur place… répondit-elle, alors que sa voix se faisait soudainement plus faible.
Les ongles d’Edgar s’enfoncèrent dans le hêtre dans un crissement menaçant.
– Je vois… Et cette rencontre ?
– Je ne sais pas… Je n’ai pas pris le temps de…
– Inconsciente.
Son ton était incroyablement neutre. Et d’autant plus effrayant.
Il poussa un large soupir, bien que son visage ait gardé une expression profondément détendue.
– Il semble que je vais devoir m’en charger, donc…
Anthony transpirait quand la jeune fille semblait soulagée. Il le connaissait mieux qu’elle.
– J’espère seulement que cela ne contrariera pas nos projets…
– Cela ne dépendra que de Gabriel. affirma la jeune fille d’un ton excessivement confiant.
– Il vaudrait mieux.
– Ne vous en faites pas…
Elle retira ses bottes, qu’elle déposa sur la table.
– …ça va marcher.


Dernière édition par Nathaniel le Jeu 5 Mai - 13:55, édité 3 fois
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeMar 21 Jan - 12:53


Chapitre II : Le prince charmant

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"Le Prince charmé de ces paroles, et plus encore de la manière dont elles étaient dites, ne savait comment lui témoigner sa joie et sa reconnaissance ; il l'assura qu'il l'aimait plus que lui-même. Ses discours furent mal rangés ; peu d'éloquence, beaucoup d'amour."

-Charles Perrault, La belle au bois dormant.


J’étais tombée à genoux, sous l’effet de la douleur, les jambes dans le froid. Tout était blanc, l’horizon immaculé se confondait avec le sol enneigé, on ne savait plus où commençait le ciel, où se finissait la terre. J’étais au milieu d’un univers crayeux, que je tachais lentement de vermeil. La douleur s’emparait progressivement de tout mon corps, le moindre de mes mouvements était un supplice. Dans cet infini laiteux, je ne distinguais plus qu’une chose, la figure sombre de Nathaniel, qui s’extrayait du paysage, s’éloignant progressivement de moi, la démarche lente, comme s’il avait déjà tout oublié.
– Nathaniel !
J’avais voulu hurler, mais à la place, ce fut une sorte de son un peu rauque et à peine audible qui s’échappa de ma bouche. Je n’avais plus la force de crier, chacun de mes mouvements enfonçait un peu plus la dague au creux de ma poitrine. J’en pleurais de douleur.
Il ne se retourna pas vers moi. Il s’était arrêté, cependant, comme s’il attendait que je fasse enfin ce que j’avais hésité à faire plus tôt. Même si je ne voyais pas son visage, j’étais certaine qu’il souriait. Comme toujours.
– Salaud ! ai-je eu encore la force de m’exclamer, tandis que je pointai mon revolver vers lui d’une main tremblante.
Je dus tirer quatre fois en tout avant qu’il ne s’effondre enfin. Deux balles ne l’attinrent pas, la troisième vint se loger dans sa cheville gauche, la quatrième avait traversé sa colonne.

Je m’étais déjà imaginé mourir, mais jamais je n’aurais cru que ce seraient là mes derniers mots. Comment imaginer finir sa vie ainsi, allongé dans le froid, au milieu d’une neige devenue rouge, une dague plantée au milieu des côtes ? On m’avait si longtemps préservée de l’idée même de la mort qu’il ne me serait jamais venu à l’idée que ma vie finisse ainsi. Bêtement. Sur une réplique insultante et grossière, sur un accès de haine, puis de soulagement. La neige avait glacé mon cerveau et brûlé ma plaie. Et c’était fini.
C’est tout.

Ce qu’il faut savoir, c’est que mon histoire est arrivée de la façon la plus stupide qui soit. Et uniquement parce que, pas une seule fois, je n’ai fait le choix qu’il fallait. Je pourrais ne pas regretter ce qui m’est arrivé, mais ce serait idiot, comment ne pas regretter alors que l’on agonise au milieu des flocons ?

Mon histoire est donc une histoire idiote, dont je suis l’héroïne, de toute évidence, le terme « héroïne » signifiant ici : pauvre chose naïve et insignifiante qui se prend fatalement tout en pleine figure. Pour m’auto-introduire, je dirais que j’étais certainement la personne la moins disposée au monde à marquer le moindre esprit. D’une, je n’étais pas particulièrement belle, mes ablutions quotidiennes se limitaient à des bains dans l’eau salée et trouble de l’océan, mes cheveux étaient longs, gras, emmêlés, d’un blond qui semblait se ternir un peu plus chaque jour. Comme je n’aimais pas sourire, j’avais toujours l’air morose et peu avenant, j’étais aussi fine et plate qu’une feuille d’arbre, et pour couronner le tout, j’étais plus petite que la moyenne. De deux, je n’étais pas vraiment intelligente, n’ayant jamais bénéficié de la moindre instruction. Je n’étais pas courageuse non plus, et surtout, j’avais commis la terrible erreur de n’être jamais joyeuse.
Ce n’était pas faute d’essayer, pourtant, mais l’enthousiasme était une chose qui demeurait résolument étrangère à mes yeux. L’on n’avait de cesse de me répéter que ce n’était pas une chose normale, et que mes parents devaient me guérir de mon inexcusable mélancolie, mais quoi qu’ils tentèrent de faire, mon visage demeura définitivement taciturne. Je l’aimais bien, ma vie, pourtant. Même si on était pauvres et qu’on dormait sur de la paille. On ne connaissait au moins ni le danger, ni la peur, ni la douleur, et encore moins cette chose étrange qu’est la mort.

Je suppose que tout a commencé le jour où la lettre de Victoria fut glissée sous notre porte. Victoria était ma plus jeune sœur. Douze ans, et un sourire adorable à vous faire regretter de ne pas savoir gérer convenablement le mouvement de vos lèvres… La lettre de ma sœur était une lettre d’adieu. Elle partait. Comme la plupart des gens finissaient par partir, quelque part de l’autre côté de l’océan, là où il était impossible de la rejoindre.

J’aurais sans doute dû préciser que nous vivions à Féérie, un monde de princes charmants et de crapauds miraculés. Féérie est une île immense, encerclée par un océan dont on n’atteint jamais le bout. Si par miracle cela devait se produire, l’on n’en revenait jamais, disait-on, tant ces contrées lointaines étaient (du moins c’est ce qu’ils disaient, et c’est ce que je pensais) merveilleuses. En y réfléchissant, les choses auxquelles ont m’avait fait croire étaient truffées d’incohérences parfois si flagrantes que je me demande comment je faisais pour ne me rendre compte de rien. On ne voyait jamais des gens de l’autre bout de l’océan s’égarer par chez nous, et pourtant, de nombreux Féeriens finissaient leur vie là-bas et se mariaient. Victoria aussi allait se marier, et même à Féérie, où le mariage était de mise dès l’âge de quatorze ans, elle était trop jeune pour ça. À mes yeux plus encore. Beaucoup parvinrent à ne pas se formaliser de ce léger écart, pour eux (mes parents en tête) la situation n’exigeait rien d’autre que de se réjouir… Évidemment.

On me privait donc de ma sœur et, pour une raison qui m’échappait et à laquelle je ne songeais même pas, je savais que je ne la reverrais jamais. Cette lettre était arrivée à point nommé, elle donnait enfin une raison à mon absence de sourire, quoique je ne sais pas si c’était un prétexte ou non, j’aimais ma sœur, j’avais été surprise.
Et de toute évidence, cette histoire me travaillait.

Deux jours plus tard, je fis la connaissance de Gabriel. Tout le monde à Féérie savait qui il était, même moi, en dépit de toute l’indifférence que je pouvais accorder aux choses du monde. Cela dit, je ne l’avais jamais rencontré avant ce jour.

C’était une journée ensoleillée, comme elles l’étaient souvent, à Féerie. Pour une raison qui m’échappait alors, Gabriel, le prince de Féérie, avait décidé de faire sa promenade quotidienne dans les environs. J’étais en train de travailler aux champs quand j’ai entendu le trot d’un cheval. Je ne m’y suis pas intéressée tout d’abord, ce n’est pas comme si nous manquions de cavaliers dans les environs. Je m’étais contentée de poursuivre mon travail, plus ou moins consciencieusement, jusqu’à ce qu’il me soit définitivement impossible d’ignorer la présence du cavalier, puisque celui-ci était descendu de sa selle et était venu s’adresser à moi, une voix étrangement douce et mélodieuse venue m’extirper de mon labeur.
– Désolé de vous déranger… Sauriez-vous où je pourrais trouver une auberge ?
Je l’observai un moment, dubitative.
– À cette heure-ci ?
Il haussa les épaules tout en m’adressant un sourire un brin gêné. La première réflexion que je ne pus m’empêcher de me faire en le voyant fut qu’il était… eh bien… charmant. Son sourire était à la fois simple et séduisant. Et il était beau, ce qui ne gâchait rien, l’ovale de son visage était encerclé d’une cascade de chevelure brune qui glissait jusqu’à ses épaules. Peut-être était-ce le résultat de toutes ces années d’éducation, de maintien obligé… quoi qu’il en soit, sa carrure imposait un certain respect, en dépit de ce que son expression faciale semblait signifier, à savoir qu’il n’était finalement personne en particulier et de cet aura de naïveté dont je ne sus jamais faire abstraction.
– C’est que nous avons fait beaucoup de chemin pour arriver ici. Ma monture aurait besoin de se reposer… et moi aussi. avoua-t-il humblement.
Je n’insistai pas, pour quoi faire ?
– Oh… alors il vous suffit de continuer tout droit, à gauche vous verrez un…
– Je m’appelle Gabriel. m’interrompit-il sans raisons.
Je fronçai les sourcils, assez perplexe.
– Euh. Enchantée…
Le sourire du prince s’élargit plus encore… Je ne l’aurais pas cru possible. Je crois que c’est à partir de ce moment-là qu’il m’inspira ce sentiment infondé de rejet. Il était ce que je n’étais pas, il rayonnait de bonheur, et semblait esquisser le dessein d’étendre son aura jubilatoire jusqu’à moi. Sans le moindre succès.
– Pourrais-je avoir le plaisir de connaître votre nom ?
En prononçant ces mots, il avait délicatement pris ma main dans la sienne.

C’était donc ça… C’était comme ça que c’était supposé se passer, c’était comme ça que ça se passait toujours… On me l’avait appris comme tel, du moins. Sauf que quelque chose n’allait pas. J’avais beau trouver à ce prince toutes les qualités du monde, je ne sentais qu’un certain vide à le voir à mes côtés, teinté d’un agacement inexplicable. Pourtant il était là, ça ne pouvait logiquement être que lui, puisque c’était toujours comme cela que les choses se passaient. C’était lui, ma fameuse âme sœur. Étrange. Et ce vide, c’était de l’amour ?… Que j’étais bête ! Gabriel semblait cerner le trouble qui m’envahissait, sans doute parce que je n’avais jamais été très douée pour dissimuler mes émotions, toujours est-il que sa main avait soudainement serré la mienne un peu plus fort, dans ce qui ressemblait à un excès de confiance que je ne savais détromper par le moindre mouvement.
– C’est… Éléonore. finis-je par articuler après un moment d’hésitation.
– C’est un nom ravissant.
Il s’amusait à faire glisser lentement ses doigts entre les miens. Était-ce normal que je n’y trouve rien d’agréable ? Était-ce normal que je trouve cela étrange ? Je voulais disparaître. Comme pour m’éviter de penser, je décidai de fixer mon attention sur le cheval qui profitait de ce flirt singulier pour brouter à son aise. C’est là que j’aperçus ce que je n’avais étonnamment pas remarqué plus tôt. Gravé dans la selle, de telle sorte que personne ne puisse l’ignorer, brillait le blason de Féérie. À cette vue, j’eus sans le vouloir un mouvement de recul qui sembla décevoir quelque peu mon prince.
– Vous êtes Gabriel ?
– Je viens de vous le dire…
– Le prince de Féerie ?
– Ah… Gabriel se redressa, l’air un peu suffisant. Eh bien oui.
Je m’inclinai immédiatement, mal à l’aise.
– Je suis confuse… Je ne vous avais pas reconnu.
– Ne le soyez pas.
Sa main avait récupéré la mienne aussi vite que je m’étais appliquée à la quitter.
– Moi je vous ai reconnue… ajouta-t-il. Je vous ai si longtemps cherchée… Je vous ai cherchée avant même de m’en rendre compte.
Je crois que même à l’époque, j’avais réalisé ne serait-ce qu’un peu la mièvrerie de ces propos.
– Ce n’était pas une auberge, que vous cherchiez ?
Le sourire de Gabriel s’effaça un peu. De toute évidence, ma réaction ne correspondait pas à ses attentes. Il reprit très rapidement contenance malgré tout.
– C’est vrai. Accepteriez-vous de m’y conduire ?
Comment refuser ? C’était le prince. On obéit aux princes. C’était mon « âme sœur », on obéit à son cœur. J’acquiesçai donc. Et nous nous rendîmes tous deux, dans le plus gêné des silences, jusqu’à l’auberge.

Notre traversée du village ne se fit pas sans en surprendre et en faire jaser plus d’un, à croire qu’il n’y avait que moi dans tout Féérie pour ne pas reconnaître son prince au premier coup d’œil. Les villageois s’inclinaient sur son passage dans un silence respectueux, mais à peine les avions nous dépassés de quelques mètres qu’il me semblait entendre leurs chuchotements aussi distinctement que s’ils avaient été prononcés à mon oreille. À l’inverse, Gabriel avait l’air à son aise, il devait avoir l’habitude… Mais ce n’était pas mon cas… et j’en ferais bientôt les frais.

La première à me le faire comprendre à mon retour, mon prince abandonné, fut Anna, ma sœur (car oui, j’avais deux sœurs…). Elle m’avait attendue, le regard sévère, adossée à la porte de la ferme, les bras croisés.
– Tu aurais pu m’avertir. Tout le village parle de ta petite promenade avec le prince Gabriel.
Elle tentait d’afficher un sourire un peu détaché, mais l’amertume qui se laissait entendre dans chacun de ses mots me fit comprendre que la nouvelle ne lui plaisait que très moyennement.
– Tu m’étonnes… répliquai-je tout en me pressant d’entrer à l’intérieur. J’appréciais la discrétion et l’anonymat, cette situation ne me convenait pas du tout.
Anna ne comptait pas lâcher le morceau de sitôt, elle me suivit dans toute la bâtisse délabrée, et ce jusqu’à ce que je me décide à m’asseoir sur l’une des tables de la pièce miteuse et étroite qui nous servait de salle à manger. Elle s’assit en face de moi, l’air inquisiteur.
– Raconte-moi !
– Il n’y a rien à raconter… C’était… juste étrange.
Anna fixait le mur de bois pourrissant, évitant soigneusement mon regard. Dans ses attitudes, elle me ressemblait rarement, mais en cet instant je découvrais en elle le reflet de mon propre comportement. Elle et moi étions jumelles, et personne n’aurait pu ne pas le remarquer, nous avions les mêmes cheveux d’un blond terne, la même silhouette squelettique, les mêmes yeux verts… Elle souriait seulement un peu plus que moi.
Quoique en l’occurrence, son visage était fermé. L’illusion était parfaite.
– Je ne plaisante pas, Anna, c’était juste… inattendu et… étrange.
Anna ne me regardait toujours pas.
– D’abord Victoria, puis toi… Vous me laissez tomber…
Je fixai un moment ma sœur sans rien dire. Je lui aurais cédé ma place avec tant de bonheur… Sans doute aurais-je dû trouver les mots pour la consoler. Mais je n’ai jamais connu les mots qui consolent.
– Ne t’alarme donc pas comme ça, il ne s’est rien passé du tout.
– Vous vous teniez la main !
– Il me tenait la main.
– En quoi est-ce différent ?
J’haussai les épaules.
– Ça n’a pas de sens.
– En tous cas, fit ma jumelle en me regardant enfin, s’il n’y a vraiment rien, c’est que tu es stupide.
– Je te demande pardon ?
– Ne rêverais-tu donc pas de devenir une princesse, quelles autres occasion te seront données de le faire ?
– Tout dépend, je pourrais très bien me lancer dans la chasse aux batraciens.
Anna se leva de sa chaise après avoir poussé un large soupir.
– Pourquoi est-ce que je m’obstine à vouloir te parler ?

Je crois que c’est à partir de ce moment-là que la brèche a commencé à s’ouvrir. Dès lors, elle ne devait jamais se refermer.

Le mariage était l’une des valeurs les plus fortes et les plus importantes de Féerie. L’enfance d’un Féerien ne se déroulait que dans la perspective d’un mariage futur, et toute Féerienne qui avait trouvé mari renonçait, avec bonheur, semblait-il, à son existence propre au profit d’une existence double, puis plurielle. Elle divisait son cœur, en donnait une partie à chaque être de sa nouvelle famille et n’en gardait pas pour elle. C’était comme ça, et j’étais certaine que je ne dérogerais pas à cette règle. D’ailleurs, pour une jeune fille à marier, je me faisais déjà plutôt âgée… À croire que ma figure maussade ne pouvait que faire fuir tout potentiel prétendant (avant la veille). On nous supposait maudites, ma sœur et moi… Anna en souffrait plus que moi encore, et le mariage de Victoria avait porté le coup de grâce à ma jumelle… ça et ma rencontre avec Gabriel.
On avait instauré une tradition pour tous ceux qui se mariaient à l’autre bout de l’océan, et pour ceux qui ne pouvaient s’en réjouir que de loin. Quiconque le voulait tissait des couronnes de roses blanches et les laissait flotter à la surface de l’eau. Elles étaient supposées rejoindre Victoria. Dans le village, elle était très appréciée, la majeure partie de la communauté s’était jointe à cette cérémonie de l’absence, en bordure d’océan. L’eau se teintait progressivement de blanc. Les roses se mêlaient à l’écume tandis que le soleil couchant déposait à la surface des milliers d’éclats nocturnes. Tout était silencieux, on n’entendait que le son des vagues. Le tableau bleuté qui s’exposait à mon regard fit poindre au coin de mes yeux de légères larmes que j’essuyai d’un revers de manche. À bien y réfléchir, ce cérémonial avait quelque chose de malsain… et de plus morbide encore. Mais à ce moment là, je n’y pensais même pas… Je songeai seulement que le soleil devait se lever là-bas, chez elle, et qu’elle était beaucoup trop loin.

– Félicitations pour votre sœur.
C’était la voix de Gabriel, qui venait m’extraire de ma rêverie.
– C’est vous… remarquai-je d’une voix sans timbre. Qu’est-ce que vous faites là ?
– Il n’y avait plus personne à l’auberge. Je me demandais ce qui se passait. Si j’avais su que votre sœur se mariait, je vous aurais félicitée hier, déjà.
– C’est elle qui se marie, pas moi.
– Certes…
Il eut l’air un peu mal à l’aise… il me lançait constamment des regards en biais que j’évitais de croiser. À ce moment là, déjà, il m’inspirait un peu de pitié, il y avait chez lui quelque chose d’à la fois adorable et agaçant. Je crois bien qu’il m’aimait. Le pauvre…
– Je suis heureux de vous revoir. osa-t-il prononcer après un long silence.
Je ne répondis pas tout de suite, mon regard fixait obstinément les couronnes de rose, assez loin à présent pour se confondre avec les étincelles lunaires qui flottaient sur l’océan. Je ne voulais pas répondre, mais il le fallait bien.
– Moi aussi.
Cette simple réponse fit briller sur le visage de mon interlocuteur un gigantesque sourire.
– Écoutez…
Une fois de plus, il m’avait pris la main.
Ce n’était pas approprié… Dans un élan de ressentiment, je m’écartai de lui, je me moquai bien qu’il cessât de sourire.
Je sentais le regard d’Anna me brûler l’échine quelque part derrière moi.

Un raclement de gorge dans notre dos vint nous libérer de la gêne soudaine qui s’était immiscée entre nous. D’un seul geste, nous nous étions retournés.
C’était la première fois que je rencontrai Anthony.
Encore quelqu’un d’entièrement étranger au village… Ce qui m’avait directement marqué, plus encore que son étrange allure, courbée et aplatie, et que son accoutrement singulier, c’était son regard à la fois sombre et fuyant qui s’était animé, pour l’occasion, d’une lueur quelque peu effrayée.
– Maître… de toute évidence, il s’adressait à Gabriel. Il s’était incliné si bas que son nez parut toucher ses orteils… Vous devriez rassembler vos affaires, votre père n’attend pas…
Gabriel regarda successivement celui qui semblait être son valet et moi.
– Bien… finit-il par dire… je reviens ! ajouta-t-il à mon attention, comme si je m’en souciais.
Une fois qu’il se fut éloigné, Anthony se rapprocha de moi, et me parla avec une familiarité étonnante, comme si nous nous connaissions depuis toujours, et sans doute fallait-il que nous nous connaissions depuis toujours pour que son message gagne un semblant de sens.

– Je n’ai pas de conseil à vous donner…
Je fronçai les sourcils. Quel intérêt y avait-il à me le signaler, alors ?
– …mais à votre place, je m’éloignerais de tout ça tant qu’il en est encore temps.

C’étaient les premiers mots qu’Anthony avait partagés avec moi, il avait placé notre rencontre sous le signe de la singularité, comme s’il voulait que je m’en souvienne, sans doute parce qu’il fallait que je m’en souvienne. Mais moi, là, au milieu du froid, du rouge et du blanc, je ne l’ai évidemment pas écouté.



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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeMar 21 Jan - 12:54


Chapitre III : Le plus beau jour d'une vie

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"Vous savez que, quand j'étais bête, je ne pouvais néanmoins me résoudre à vous épouser; comment voulez-vous qu'ayant l'esprit que vous m'avez donné,  je prenne aujourd'hui une décision que je n'ai pu prendre dans ce temps-là ?
Si vous pensiez tout de bon à m'épouser, vous avez eu grand tort de m'ôter ma bêtise, et de me faire voir plus clair que je ne voyais."

-Charles Perrault, Riquet à la houppe.

Tap. Tap. Tap. Le même tapotement, simple et régulier, le mouvement continu de ses ongles qui un à un venaient tomber sur le même barreau. Tap. Tap. Tap. Un rythme soutenu, sans aucune dissonance, à aucun moment, comme une partition qu’il aurait consciencieusement révisée, encore et encore. Tap. Tap. Tap. Et sans jamais s’en lasser. Encore trois petits « tap » harmonieux, puis un moment de silence, comme orchestré lui aussi, un profond soupir, et trois « tap ». Et ça recommençait. Puis il se lassait, il regardait autour de lui, mais autour de lui, il n’y avait rien à voir, il n’y avait que les ombres, la moisissure. Il n’y avait rien de plus harmonieux, de plus tempéré à cet endroit que le glissement de ses doigts sur le barreau de sa cage, que ce rythme soutenu. On ne voyait que du noir, on ne sentait que l’urine et le moisi, on ne goûtait que des plats sans saveur, on ne touchait que de l’humide et du rugueux… Alors on écoutait ces trois « tap », et quelque chose prenait sens dans ce monde délaissé par l’harmonie elle-même. Puis soudain, il brisa l’ordre auditif, sa voix, amusée, rauque de ne pas assez parler résonna en lieu et place des trois « tap », et ce monde redevint un chaos miniature.
– On s’ennuie !
Une voix, aussitôt, lui répondit, la mélodie harmonieuse se mua en duo désenchanté.
– C’est pas mon problème.
C’était une voix masculine, sèche, un grommellement, un hurlement d’ogre, sans miel ni mélodie. Leurs pupilles se défièrent un moment. Le gardien fit glisser une assiette remplie d’une mixture aussi indescriptible qu’inappétissante dans la cage. Son occupant la zieuta un instant sans chercher à y toucher. Les yeux du gardien l’avaient quitté depuis longtemps, mais pas ceux du prisonnier, qui continuait d’observer son interlocuteur d’un instant, le regard animé d’une lueur malicieuse.
– Ça pourrait le devenir…
Un sourire malsain venait de se déposer sur son visage. Finie la mélodie… Il l’avait gâchée, de toute façon… D’un geste rapide, il agrippa le poignet du gardien avec force, il attendit, patiemment, qu’il revête une légère teinte violacée. De sa main libre, le gardien tapait du poing contre les barreaux, incapable d’atteindre sa victime. Puis il y eut ce bruit sec. Il avait retourné le poignet du gardien jusqu’à entendre les os craquer. De son autre main, il serra alors son cou avec violence. Son sourire s’agrandissait à mesure que sa victime suffoquait. Ses yeux s’élargirent, fixant ceux de son agresseur, toujours habités par un désagréable pétillement. Il ne disparut pas quand le gardien tomba à genoux, le cou rouge-orangé, déjà presque mort. Sa tête se cogna contre le fer d’un barreau qui imprima un creux profond au milieu de son crâne virant au rouge vif. Il tenta de respirer plusieurs minutes, puis, abandonnant de lui-même, il tomba au sol, les yeux grand ouverts.
Le prisonnier prit une grande inspiration en rejetant sa tête en arrière, le sourire radieux.
– Ça devient intéressant.
Enfin…



– Éléonore !
Anna tambourinait à la porte de ma chambre comme si sa vie en dépendait.
Je me réveillai, un œil après l’autre. Le regard flou, je fixai un moment le plafond. Une atmosphère étrange semblait prendre plaisir à s’appesantir tout autour de moi. Des commérages, des cris, des rumeurs me parvenaient depuis la fenêtre ouverte. Une agitation inhabituelle semblait bouleverser tout le village, des ordres étaient braillés, les murmures se faisaient si nombreux qu’ils finissaient par ne former qu’une seule et immense voix. Je me redressai, jetai un rapide coup d’œil dehors. Sur la plage, un rassemblement inhabituel. Quelques-uns couraient, d’autres discutaient vivement, mais je ne parvenais pas à comprendre le sens de leurs conversations. Tous étaient vêtus de leurs tenues les plus somptueuses. On avait sorti les frusques des grands soirs, des grandes cérémonies… Avais-je omis un événement quelconque ? Je détachai mon regard de la fenêtre et ouvrit à Anna.
– Qu’est-ce qui se passe ? marmonnai-je en m’aplatissant les cheveux du plat de la main.
Un seul coup d’œil à ma sœur me suffit à comprendre que j’avais vu juste. Il se passait quelque chose d’inhabituel. Voire d’exceptionnel. Elle avait l’élégance des plus belles festivités… Joyeux lendemain de deuil dissimulé. Elle avait mis sa robe rose, celle que l’on considérait comme la plus belle car il en débordait le plus de dentelles et de froufrous superflus.
– La visite de la famille royale !
Les yeux d’Anna pétillaient tandis que mon bâillement interrompait sa course jusqu’à mes lèvres, se bloquant dans ma gorge. La famille royale. Encore eux.
– Vraiment ?… Qu’est-ce qu’ils viennent faire ici ?
– Je ne sais pas… mais Gabriel sera également là.
Je me sentis blanchir. Oh non…
– Génial…
Anna afficha un sourire à la fois espiègle et malsain.
– Tu ferais mieux de t’habiller avant qu’ils n’arrivent.
Je haussai les épaules.
– Je doute que ça leur fasse quoi que ce soit.
Je cherchai malgré tout la tenue la plus présentable de ma garde-robe, ce qui était cela dit aisé, la garde-robe étant minuscule et le nombre de vêtements « présentables » en ma possession, si du moins il y en avait, plus que risible.
La rumeur s’amplifiait un peu plus à chaque minute, au point que je commençai à penser que tous ces bruits allaient me crever les tympans. Je ne prenais pas part à toute cette agitation, je m’en sentais complètement étrangère. Et pourtant, j’étais certainement la plus concernée, et je ne l’ignorais pas complètement alors. Une fois habillée, je quittai ma chambre. Mes parents, en bas des escaliers, droits comme des piquets, l’air un brin angoissé, m’attendaient, apparemment.
– C’est tout ce que tu as trouvé à te mettre ? Questionna sèchement ma mère en m’observant de haut en bas.
– Pourquoi, tu as l’intention de m’acheter quelque chose d’autre ? ironisai-je.
Ma robe était tâchée, trouée par endroit, et elle avait perdu le ruban qui devait lui faire office de ceinture si bien qu’elle me donnait une étrange allure rectangulaire, mais malgré tout, c’était toujours ce que j’avais de mieux à me mettre.
– Bientôt tu en auras les moyens.
Maman s’approcha de moi, détachant sa propre ceinture pour la serrer autour de ma taille.
– Au risque de me répéter… Qu’est-ce que ça peut leur faire ? demandai-je d’un ton un peu sec.
Il était bien plus facile d’ignorer l’évidence.
– Tu n’as donc pas deviné, ma chérie ? C’est pour toi qu’ils viennent.
J’avais plus ou moins deviné, bien sûr. C’était Gabriel. C’était de nouveau Gabriel.
– Tu as dû faire une très bonne impression au prince Gabriel, hier. constata mon père. Il a fait venir toute sa famille rien que pour toi.
– Et tu nous fera honneur, n’est-ce pas ?
Le ton de maman avait quelque chose de menaçant.
Je baissai les yeux.
– Il faudra bien.

La famille royale ne s’était jamais aventurée dans le village de Piqiiel, pourquoi l’aurait-elle fait ? Ce petit village n’avait rien de particulier. Il était minuscule, ne comportait qu’un nombre minime de commerces peu fructueux, n’avait jamais accueilli quiconque dont la vie fut mémorable. Il n’était pas particulièrement beau, un simple village en bordure d’océan, aux maisons colorées et sans harmonie. Il faisait toujours froid, à cause de l’eau… mais c’était à Piqiiel, cependant, que j’habitais, et cela suffisait au bonheur d’un prince un peu naïf.
Ils étaient arrivés en grande pompe, l’escorte qui accompagnait la famille royale représentait le double des habitants du village. Ils étaient venus à bord d’un carrosse immense, d’une blancheur éclatante, sur lequel les rayons de soleil rebondissaient pour se répandre tout autour de lui. Ils étaient escortés par des dizaines de cavaliers, et quelques fées qui brandissaient leur baguette vers tous les curieux qui s’approchaient d’un peu trop près de la famille. Le carrosse parcourut sa route à travers le village, indifférent à la foule qui cherchait inlassablement à découvrir un visage, à obtenir un mot sur les raisons de cette visite exceptionnelle. Il s’arrêta pile devant la masure de bois, l’une des plus misérables. Ce fut le roi Edgar qui en sortit le premier. Et le silence suivit son apparition, exigé sans un mot par l’aura impressionnante qu’il dégageait. Ce fut lui qui toqua à la porte de la masure, du plat de son index, suivi de près par sa femme, qui jetait des regards hautains tout autour d’elle, vraisemblablement agacée par cette visite de courtoisie, et par Gabriel, qui, à l’inverse semblait rayonner d’un bonheur incommensurable. Ce fut ma mère qui ouvrit la porte, déjà inclinée avant même que son regard ne se soit posé sur ses royaux invités.
– Vous faites un immense honneur à notre foyer.
– C’est peu de le dire. commenta la reine en jugeant du regard l’intérieur modeste de son hôte.
Maman les conduisit jusqu’à la pauvre pièce qui nous tenait lieu de salon, là où nous avions tous été obligés de nous rendre, et où nous attendions, debout, puisque les chaises étaient réservées aux arrivants. Et sur nos visages, anxiété, fascination… ou simple gêne.
– Éléonore !
À l’instant où les yeux de Gabriel se posèrent sur moi, son regard s’illumina. Effrayant. Il se précipita vers moi dans un élan incertain, qu’il refreina au dernier moment, tandis que je retenais un mouvement de recul.
Enfin, une fois l’instant de l’hésitation passée, il me baisa la main. Le large sourire qui s’étalait sur son visage lui donnait un air profondément idiot.
– Quel plaisir de vous revoir !
– Le plaisir est partagé. répondis-je sans en penser mot.
– Je sais… Enfin, je veux dire, vraiment je…
Gabriel ne trouvait plus ses mots, son sourire lui dévorait la moitié du visage si bien que je m’interrogeai sur la façon dont il parvenait encore à articuler ces quelques mots.
Avant même d’avoir eu le temps de réfléchir à une nouvelle réponse à la fois onctueuse et mensongère, le prince avait posé son genou droit au sol, et m’observait d’en bas avec des yeux d’amoureux transi.
– Je sais que je ne me trompe pas. Pour moi, tout est très clair, je te veux à mes côtés pour le reste de ma vie.
– Humm… heu.
– Tu veux bien m’épouser ?
Il tira de sa poche une bague toute faite d’or et de diamants. Elle n’était pas spécialement belle, et avait l’air trop petite. Je pouvais sentir le regard brillant et brûlant d’Anna derrière mon épaule comme si celui-ci lui lançait des éclairs vifs à m’en transpercer l’omoplate. Quelques étoiles s’étaient également allumées dans les yeux de mes parents, qui se tenaient l’un à l’autre la main avec une certaine émotion. Ce spectacle avait quelque chose d’à la fois poignant et agaçant. Toutes les pupilles convergeaient vers ma petite personne, qui bien loin de s’en sentir flattée, aurait mieux voulu s’enterrer six pieds sous terre et ne reparaître à la surface qu’une fois l’assurance faite que mon prince y était à son tour. Je ne répondis pas. Le sourire du prince avait tendance à se transformer en grimace à mesure que le temps passait et que sa position inconfortable le rendait susceptible à une soudaine saute d’humeur.
– Oh… bien… je…
Le regard que maman me lança était si glacial que je me sentis frissonner.
– Je suppose, oui…
Gabriel fronça les sourcils.
– Tu… supposes ?
– Je veux dire… oui. Oui…
Gabriel rayonna. Je lui tendis une main au bout de laquelle il fit glisser l’anneau d’or. Il se redressa et me serra si fort dans ses bras que je crus étouffer. Cette étreinte avait quelque chose d’agréable, peut-être parce que le bonheur que le prince avait à me sentir dans ses bras semblait étrangement communicatif… mais en même temps, j’avais l’impression d’étouffer entre ces bras tout fins et un peu tremblants, ou du moins de ne pas être là où je devrais.
Le reste ressembla à un rituel mondain qui s’accomplissait dans un automatisme tel qu’il semblait échapper à tout le monde. Je rejoignis maman et Anna, qui échangèrent quelques répliques enthousiastes au sujet de la bague que j’avais au doigt, et d’un ton expéditif et indifférent, Edgar établit le programme des festivités qui devaient avoir lieu la semaine suivante.
L’annonce fut faite officiellement dans tout le village dès le départ de la famille royale. La jeune Éléonore allait se marier, seulement deux semaines après le mariage de la cadette, Victoria. Et surtout, elle se mariait au prince de Féérie. La nouvelle en étonnait plus d’un, moi la première.


– C’est une tradition, cette robe. Ma mère l’avait déjà portée avant moi.
Je me tournais et retournais face au miroir. C’était une robe blanche et vaporeuse. Volumineuse et arrondie, j’avais l’impression qu’on m’avait collé un nuage difforme sur le corps, sans doute en partie parce que j’étais bien plus petite et menue que ne l’étaient celles qui l’avaient portée précédemment. Je grimaçai en observant le résultat. On aurait dit que mon corps était parcouru de cascades laiteuses, ce qui avait pu sembler élégant sur ses précédents possesseurs me donnait un air informe et inesthétique. La reine l’avait également remarqué, elle tournait autour de moi, m’observant sous tous les angles, comme si elle cherchait celui d’où, enfin, sa future belle-fille ressemblerait à quelque chose.
– Bon… Il faudra quelques retouches, bien sûr. Mais nos fées sont d’excellentes couturières, vous serez ravissante, vous verrez…
– Je vous remercie… répondis-je, quoique demeurant profondément sceptique.
Je m’observai encore un moment, dubitative, quand je sentis un poids étrange contre ma jambe qui me fit sursauter. Un chat venait de se faufiler sous ma robe.
– Ce n’est rien, c’est Pluto, notre chat. me rassura la reine en prenant le matou entre ses mains.
C’était un chat noir et maigrelet, en le regardant de plus près, je vis qu’il n’avait qu’un seul œil. L’autre demeurait résolument fermé, marqué par une profonde cicatrice.
– Qu’est-ce qu’il…
– C’est une longue histoire.
Le chat s’extirpa des mains de sa maîtresse pour s’enfuir plusieurs mètres plus loin.
– Je vais demander à Anthony d’amener la robe à repriser. Restez ici, je reviens.
Je regardais la reine s’en aller avec un certain soulagement. Tandis que je me changeais, mon regard s’attarda sur la pièce où je me trouvais. Je n’avais jamais vu de chambre aussi grande. Le lit, qui s’appuyait contre le plus grand des quatre murs, faisait au moins cinq fois la taille du mien, et était couvert de draps faits de tissus que je découvrais pour la première fois. Des tapis pourpres de toute beauté masquaient un parquet de bois ciré, et les tableaux fixés aux murs portaient la griffe des plus grands peintres de l’époque. L’un d’entre eux attira plus particulièrement mon attention, sans doute parce qu’il était le seul à présenter un visage qui me soit étranger, chacun des autres tableaux représentant un membre de la famille royale. Sur ce tableau figurait une jeune fille d’une dizaine d’années, au visage fin et étrangement familier, sa longue chevelure brune encadrait son visage de boucles bien dessinées. Ses yeux bleu océan semblaient me suivre du regard où que je me tienne dans la pièce.
– C’est Bertille, la fille du roi. expliqua une voix masculine vers laquelle je me retournai brusquement, un peu surprise.
C’était Anthony. Cet homme avait un profil caractéristique, celui du parfait serviteur, chaque fois que je le voyais, je ne pouvais m’empêcher de sentir un élan de compassion m’envahir, et plus encore à ce moment-là, en le voyant ainsi, dans l’encadrement de la porte, le dos courbé, la main appuyée sur la poignée… En dépit de la façon étrange dont il s’était adressé à moi.
– Je suis venu chercher…
– La robe, oui… Je l’ai laissée sur la chaise.
– Ah…
Anthony se dirigea vers la chaise et pris la tenue dans ses mains.
– Anthony ?
– Oui, mademoiselle ?
– Pourquoi n’ai-je jamais entendu parler d’elle, de Bertille ?
Anthony ne répondit pas tout de suite, semblant hésiter.
– Certainement parce qu’elle est morte. lâcha-t-il finalement.
– Oh…
Je jetai un nouveau coup d’œil au tableau. Je comprenais mieux maintenant ce que j’avais pu trouver de familier à cette petite fille. Elle avait la même chevelure épaisse, le même sourire quiet et naïf que son frère. J’étais surprise qu’une telle tragédie ne soit jamais parvenue jusqu’à mes oreilles, si lointaine fussent-elle à ce genre d’événements.
– C’était il y a dix ans, expliqua Anthony, qui semblait ressentir ma curiosité. Elle était très fragile. La maladie l’a consumée.
– Je n’en ai jamais rien su…
– Comme beaucoup de gens. Le peuple n’a pas besoin de connaître ses dirigeants dans leur moments de faiblesse. Ils doivent être forts en toutes circonstances, vous comprenez.
Son ton ne semblait pas convaincu.
– Je ne sais pas trop…
– Vous le saurez très bientôt, quoi qu’il en soit. remarqua le serviteur en désignant de sa main libre la robe de mariée.
– Oui…
Je sentis mon estomac se serrer, être une princesse me paraissait une perspective de plus en plus éprouvante.
– Vous allez bien ?
J’haussai les épaules. Anthony me lançait des regards soucieux.
– Ça doit être le plus beau jour de ma vie, non ?
– Vous ne voulez pas l’épouser.
C’était un constat. On ne peut plus vrai. Et douloureux. Je ne répondis pas. Qui était-il, exactement ? Chacune des paroles qu’il prononçait résonnait à mon oreille comme autant d’avertissements.
– Je ne suis certainement pas de bon conseil… Mais si vous ne le voulez pas, ne le faites pas.
En prononçant ces mots, son teint pâlissait, comme s’il culpabilisait immédiatement de ce qu’il venait juste de dire.
– Ça a l’air simple… Mais j’ai le sentiment d’être…
– …Emprisonnée ?
Le regard d’Anthony sembla changer soudainement. Le mien non. Je ne pouvais pas comprendre, pas encore, ce que ce terme signifiait, et toute l’horreur qu’il pouvait bien représenter.
– Comment ça ?
– Peu importe. Écoutez… Vivre dans ce château, ça étouffe. J’en sais quelque chose.
– Sauf que tu es un domestique… et que moi je serais une princesse.
Je me mordis la lèvre, c’était sorti tout seul, et pourtant, je ressentais malgré moi une certaine sympathie pour ce serviteur. Mais ce dernier ne semblait ni vexé, ni quoi que ce soit d’autre. Il semblait avoir l’habitude de refouler son agacement, quand bien même celui-ci pouvait être légitime.
– Vous avez raison, ça change tout. se contenta-t-il de répliquer d’une voix faible.
Je pris place sur la chaise où ma robe était déposée plus tôt, laissant un large soupir s’échapper de mes lèvres, les paupières closes. Je frottais vivement le bout de mes doigts glacés sur mon front. Anthony avait tourné les talons, apparemment sur le point de s’en aller.
– Attends… lui sommai-je alors que sa main s’approchait de la poignée.
– Oui ?
– Il se passera quoi, si je refuse ?
Un sourire étrange avait parcouru furtivement le visage de mon interlocuteur, comme un peu de mélancolie et de dégoût.
– Ceux qui refusent…
Il semblait réfléchir à la réponse à donner.
– …Personne ne refuse.
Et sur ces mots, il s’en alla, me laissant avec l’étrange impression qu’il était au fait de quelque chose, de quelque chose d’important. Et qui m’échappait totalement. Évidemment, c’était le cas.


La nuit était tombée depuis plusieurs heures. Je ne courais plus aucun risque. J’avais ouvert la porte de ma chambre le plus doucement possible. Les couloirs et escaliers étaient déserts. N’osant pas le moindre éclairage qui aurait pu me faire repérer, je mesurai chacun de mes pas afin de ne pas tomber ou glisser. Je ne savais pas ce que j’allais faire. Retourner auprès de mes parents revenait à être reconduite ici dans la minute… Mais je ne voyais pas d’autres solutions. Il était hors de question que je reste, j’avais ce pressentiment étrange, ce mauvais goût dans la bouche, qui m’assuraient que ma place n’était nulle part ailleurs… qu’ailleurs. Loin de ces gens. J’étais proche de la sortie. Je contenais mon souffle, prête à fuir les gardiens qui attendraient sans doute devant la porte. Mais avant que je n’atteigne la sortie, l’obscurité fut troublée par une unique lueur, accompagnée d’un ronronnement. En haut des escaliers, l’œil unique de Pluto était fixé sur moi.
– Pourquoi nous faire faux bond ?
C’était la voix d’Edgar. Quelque part à côté de l’œil.
– Je… j’allais…
– Ici on ne fuit pas. m’interrompit le roi. Il n’y a aucune raison de fuir.



Dernière édition par Nathaniel le Lun 26 Oct - 13:01, édité 1 fois
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeMar 21 Jan - 12:55


Chapitre IV : L'île des soupirs

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"Il était autrefois un pays où les nuits étaient sombres, et le ciel couvrait cette contrée comme un drap noir. La lune n'y sortait jamais, pas une seule étoile ne scintillait dans l'obscurité. Les ténèbres y régnaient comme à la création du monde. "

-Les frères Grimm, La lune.

– Je… voulais juste faire un tour…
– À cette heure-ci ?
Le noir m’empêchait de distinguer l’expression de son visage, mais il me semblait qu’il me fusillait du regard, même si sa voix avait quelque chose de mielleux, d’où ne s’échappait en apparence ni colère ni déception.
– Approche-toi…
Je remontai les marches que j’avais descendues plus tôt, docile, jusqu’à me trouver au niveau du roi.
– Seigneur, je vous promets… m’inquiétai-je en m’inclinant.
– Pourquoi a-t-il fallu que tu compliques les choses ? m’interrompit Edgar, de toute évidence peu soucieux des excuses que je pourrais lui donner.
– Seigneur, je…
– Nous comptions t’offrir tellement. Vraiment.
Il caressa mon visage du bout de ses doigts fins. Je me sentis frissonner.
– Pourquoi refuser ?
J’étais paralysée, je n’osai plus bouger, et à peine respirer. Comme si le contact des doigts glacés sur ma peau blanche m’avait statufiée.
– J’ai conscience du privilège que vous m’accordez, mais… je ne me sens pas prête, c’est tout. Peut-être que si vous nous laissiez davantage de temps, à Gabriel et à moi…
– Sais-tu ce qui arrive à ceux qui refusent, Éléonore ? m’interrogea Edgar, ignorant ces derniers propos.
Je fis non de la tête. Cette question me rappelait désagréablement celle que j’avais moi-même posée à Anthony quelques heures plus tôt.
– Personne ne le sait. Personne ne refuse. Tu sais pourquoi ? Parce que personne n’est obligé, personne n’est soumis, et les choix individuels font le bonheur de tous. Toujours. Parce que tout le monde agit en vue d’une harmonie générale, tu comprends ?
Il marqua une pause.
– Féérie apporte à tous ce dont ils ont besoin, ni plus ni moins. J’essaie d’être le meilleur monarque possible. Je veux que cela perdure, tu sais…
Je sentis les larmes me monter aux yeux sans comprendre pourquoi, j’avais l’impression d’être redevenue une gamine, réprimandée sévèrement pour une bêtise honteuse.
– Tu as peut-être besoin de comprendre.
Il déposa sa main sur mon épaule.
– Ne t’en fais pas, je vais t’aider.

Je n’avais pas vraiment compris comment j’en étais arrivée là, Edgar m’avait fait attendre plusieurs heures dans son bureau, dans le plus parfait silence, et je ne devinais rien de ce à quoi il s’affairait. Puis il me demanda de le suivre. Ce que je fis, avec la sensation d’être à demi inconsciente. Il m’avait conduite jusqu’à la plage, m’avait fait ôter mes chaussures, et m’avait sommée de marcher sur le sable mouillé, jusqu’à ce que mes pieds entrent en contact avec l’eau glacée, et je m’étais exécutée sans l’ombre d’un refus, extérieure à moi-même. Mes yeux s’étaient posés sur l’océan extrêmement calme, seulement animé par de fines vaguelettes qui brillaient sous l’effet de quelques éclats d’étoiles. Sans que j’en sache l’origine, un frisson avait traversé tout mon corps.
– Il ne va pas tarder.
Je ne répondis pas, loin de vouloir aggraver la situation. Je tremblais de tous mes membres, et je savais que le froid qui me parcourait l’échine n’était pas le seul effet du vent frais qui venait continuellement me caresser la peau. Bien sûr, je m’interrogeai, mais je n’osais pas poser la moindre question. Ce ne fut pas nécessaire, finalement. Après quelques instants, je compris enfin à quoi Edgar faisait référence. Une vapeur épaisse s’était soudainement élevée au-dessus de l’océan. Bientôt, elle s’assombrit, devint plus compacte, jusqu’à se métamorphoser progressivement en une barque de bois noir. À son bord, un homme d’apparence très âgée, les cheveux gris et gras, riait nerveusement.
– En route, petite !
Je jetai un coup d’œil à la barque, elle n’avait pas l’air très solide, puis mon regard se posa sur Edgar, qui m’invitait d’un geste de la tête à suivre le vieil homme. Je n’avais pas le choix, je montai donc à bord de l’embarcation, certaine qu’elle allait s’effondrer sous mon poids. Sitôt assise, elle s’éloigna, à une vitesse impressionnante. Après quelques secondes, la plage n’était plus visible.
Les choses s’étaient produites si rapidement que je ne réalisai que progressivement ce qui m’arrivait.
Où m’emmenait-on ? Vers l’autre bout de l’océan, certainement. Je ressentis un léger pincement au cœur à cette idée. Peut-être verrais-je Victoria ? (Quelle idiote) Peut-être voulait-on seulement me rassurer ? Me montrer qu’elle allait bien, et que j’irai bien, moi aussi…
– Où est-ce qu’on va ? avais-je finalement osé demander au vieillard qui menait silencieusement sa barque, sans l’aide de la moindre rame.
– L’île des soupirs, répondit-il d’une voix semblable à un grognement.
– Oh… je grimaçai.
Cette information ne m’aidait en rien, et certainement pas à me rassurer. L’île des soupirs… Sympathique, comme nom. Je n’y comprenais toujours rien. Résignée, je laissai la barque me conduire.
Le trajet fut infiniment long, des heures d’une route d’autant plus lassante que celui qui m’accompagnait ne lâchait mot.
Puis enfin, enveloppée de nuages, l’île apparut. C’était une île gigantesque. Elle formait un immense escalier de verdure, décoré de fleurs colorées et de statues de marbre, au sommet duquel s’élevait un château grisâtre, qui ne comportait quasiment aucune fenêtre.
– Bon voyage ! Souffla le vieillard en m’invitant à quitter la barque.
Je m’exécutai maladroitement. J’eus un moment l’espoir que le vieillard me conduirait, mais à peine avais-je mis les pieds au sol, qu’une fois retournée, la barque avait disparu, et avec elle l’autre passager muet. Mes yeux se levèrent alors vers le château. L’endroit était magnifique. À mesure que je montais les marches qui menaient à l’édifice, je pus apprécier le parfum de ces fleurs géantes et multicolores que je n’avais jamais vues nulle part ailleurs, j’entendis le cri de quelques paons perdus parmi les feuilles. J’avais l’impression que chacune des statues m’observait, m’adressant quelque sourire confiant.
Puis j’arrivai devant la porte du château. Sans être vraiment différent de tous les châteaux que j’avais pu observer (encore qu’il y en eut fort peu), celui-ci avait quelque chose de profondément inhospitalier. Avant que je ne pose mes mains sur la porte, celle-ci s’était ouverte d’elle-même, sur une femme âgée, à l’air sévère et hautain.
– Vous êtes la nouvelle recrue ?
– Euh…
– Bien sûr que c’est vous. Allez, entrez !
La femme m’emmena jusqu’à un salon circulaire, seulement éclairé de quelques torches, comme l’étaient toutes les autres pièces, dénué de fenêtres. Tout était si sombre à l’intérieur que chaque pas nécessitait d’avoir été précisément calculé.
– Edgar ne vous a pas expliqué, n’est-ce pas ?
– Rien du tout, acquiesçai-je.
– Charron non plus ?
Je fis non de la tête sans être vraiment certaine de savoir de qui elle parlait. Le vieillard de la barque, sans doute…
– Bon…
La vieille femme m’arrêta sur place.
– Je m’appelle Emma. Je dirige le pensionnat.
Je fronçai les sourcils.
– Un pensionnat ?
Je m’imaginai alors devoir vivre à l’écart de tout, de ma famille et de mes amis, dans une résidence où d’autres réfractaires comme moi se laissaient entendre raison. Je n’étais finalement pas si loin que cela de la vérité. Quelque chose remuait à l’intérieur de mon estomac, cette idée ne me mettait pas très à l’aise.
Emma opina du chef, sans se justifier pour autant.
Elle me fixa un moment, comme perdue dans ses pensées. Ce ne fut qu’après quelques minutes qu’elle sembla reprendre ses esprits.
– Suis-moi, tu comprendras mieux.
Nous franchîmes encore quelques portes, jusqu’à pénétrer dans un immense couloir, si grand que je ne parvenais pas à en distinguer le fond. À peine entrées à l’intérieur, une infecte odeur de moisissure et autres parfums que je préférais ne pas me hasarder à identifier vint se loger dans mes narines. À gauche et à droite, une série impressionnante de cages collées les unes aux autres semblait s’étendre à l’infini. Il y avait des gens à l’intérieur. J’eus l’impression que des centaines d’yeux s’étaient soudainement posés sur moi, et c’était certainement le cas. Quelque part dans cet espace obscur, quelqu’un sifflait, et son sifflement se répétait en écho, indéfiniment.
– Ce sont nos pensionnaires.
– Dans des cages…
Je me sentis trembler. Allais-je finir dans l’une de ces cages, moi aussi ?
– Je sais. Tu penses qu’ils mériteraient plus d’espace, plus de lumière. Mais ils sont bien.
– Qui sont-ils, exactement ?
– Des malades.
Le sifflement fut remplacé un instant par un ricanement amer.
– Je sais, il te faudra peut-être un moment pour te faire à cette idée. Notre pensionnat accueille des malades à un stade très élevé. Ils n’ont plus rien… Ils ne sont plus vraiment humains. Seulement, les tuer serait cruel…
Le ricanement reprit de plus belle.
– Et… moi je viens faire quoi, là-dedans ?
Il y avait une pointe d’anxiété dans ma voix.
– Notre dernier gardien… a voulu prendre un peu de repos. Tu vas le remplacer.
Je me sentis à moitié soulagée.
– Mais… je n’y connais rien. Pourquoi Edgar veut-il que je le fasse ?
– Ce n’est pas bien compliqué, tu verras. Je pense que notre roi a seulement voulu t’apprendre la valeur des choses… Viens. Je vais t’expliquer.
Elle me fit traverser le couloir. J’évitai minutieusement le regard de tous les pensionnaires auprès desquels nous passions. Ils avaient l’air si vides, si inconsistants… à mesure que je m’approchais des cages, ceux qui s’y trouvaient se recroquevillaient dans le coin le plus éloigné. Ils étaient dans un état misérable, les ongles couverts de crasse, les cheveux emmêlés, les vêtements déchirés, le visage blafard et squelettique. Je comprenais mieux en quoi ces gens devaient être malades, ils affichaient une telle indifférence à être enfermés ici, semblaient livrés à un tel abandon d’eux-mêmes… Ces gens n’étaient sans doute pas faits pour vivre comme l’étaient tous les autres.
– Il est tard, constata Emma brisant par l’écho de sa voix le silence pesant qu’avait entraîné la découverte déroutante des lieux. Vous aurez le temps de faire plus ample connaissance dans la matinée.
Emma me conduisit jusqu’à une longue armoire de fer qu’elle ouvrit d’un geste un peu brusque. Chacune de ses étagères était recouverte de grands seaux métalliques à l’intérieur desquels baignait une mixture blanchâtre et grumeleuse.
– Tu rempliras leur gamelle avec ça. Ils mangent une fois le matin, une fois le soir. Entre temps, tu te contentes de faire ta ronde, et de t’assurer de leur santé… dans la mesure du possible.
Je m’entendis déglutir avec difficulté.
– Tu t’en sortiras ?
– Je crois, oui…
– On va se reposer. Tu pourras te mettre au travail une fois réveillée.

Quelques couloirs et escaliers plus loin, j’étais arrivée dans ce qui devait être ma chambre, l’une des rares pièces du château à bénéficier d’une fenêtre, à travers laquelle filtrait un mince rayon de lune, qui éclairait un lit d’apparence peu confortable et une chaise en bois. Emma m’y laissa seule, à la suite d’un « bonne nuit » à peine audible. J’allais m’asseoir sur mon lit, je me sentais horriblement nauséeuse, l’espace tournait autour de moi tandis que ça me montait à la gorge. Jusqu’à ce que je ne le retienne plus. Des éclats de vomissure transparents arrosèrent le sol jusqu’à ce que je me redresse, le teint blafard, le front perlé de transpiration.
J’allais mourir, ici.
Il y avait cette odeur putride qui caressait mes narines à chaque courant d’air frais que la fenêtre amenait jusqu’à moi, plus prononcée encore que dans les geôles. Je ne le supportai pas. Me sentant faible, abominable, je pris parti de m’appuyer sur le rebord de la fenêtre, qui offrait une vue terrifiante. En bas, des centaines et des centaines de tombes formaient un champ funèbre et gigantesque. De l’autre côté de l’île, il n’y avait ni verdure, ni paons, ni fleurs colorées, juste ce gigantesque cimetière… Et quelque part au milieu de ce fouillis morbide, une silhouette bleuâtre donnait l’impression de danser, je crus même un moment entendre son chant, si du moins elle chantait. Je fermai les yeux, tentant de me détacher de cette image en me retournant, rejoignant mon lit dans les draps duquel je vins me rouler tel un fœtus, l’estomac noué.

Je ne dormis pas de la nuit. Je m’étais contentée d’attendre le jour, le cœur presque arrêté, les yeux grand ouverts, fixés au plafond, l’ouïe masquée par mon oreiller, le nez bouché par la couverture piquante que je pressais contre mes narines, pour oublier l’odeur, les chants et les sifflements. L’air me manquait souvent, et je m’occupai ainsi, à savourer l’oubli dans l’absence d’air jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, je doive me résigner à boire un nouveau bol de cet atmosphère putride qui gonflait soudainement mon estomac. Je n’attendis pas le vrai lever du jour, dès qu’un peu d’orangé éclaira le cimetière, je me levai d’un bond, tant et si bien que la tête me tourna subitement. Je m’engageai dans le couloir encore sombre, mais à peine avais-je fait quelques mètres que j’entendis des pas s’approcher de moi. Je reconnus à peine Emma dans l’obscurité ambiante, la vielle femme, à l’inverse, n’eut aucune hésitation. Elle s’approcha au plus près de moi, les yeux plissés, s’appliquant à détailler le visage de sa « nouvelle recrue ».
– Tu n’as pas dormi, constata-t-elle sans étonnement. Ca viendra, ne t’en fais pas.
Elle m’observa encore un moment.
– Mange quelque chose, ça ira mieux après.
Je n’en étais pas sûre du tout, à vrai dire, l’intérieur de mon ventre continuait de remuer violemment. Je me laissai cependant conduire jusqu’à une pièce plus grande et plus éclairée que toutes celles que j’avais découvertes jusqu’alors. Une grande table en hêtre siégeait en son milieu. Assiettes et couverts y étaient d’ores et déjà posés. Je m’assis, commençai à manger sans le moindre appétit dans un silence de mort, sous le regard d’Emma, qui elle ne touchait à rien. Après quelques bouchées de ce qui ressemblait vaguement à des œufs brouillés, le goût en moins, je reposai ma cuillère, et plantai mon regard dans celui de la gérante des lieux.
– J’aurais une question…
– Vas-y.
– Edgar vous a dit combien de temps je devrais rester ?
Emma ne répondit pas de suite, semblant réfléchir. Puis, après un moment…
– Les premiers jours sont les plus compliqués, ça ira mieux après.
Je ne mangeai rien de plus.

Il le fallait, je retournai aux cages. Je les retrouvai comme je les avais laissées, sombres et horrifiantes… Je pris un seau de nourriture et commençai ma ronde. À chacune des cages, je tentais de distinguer un pensionnaire d’un autre, mais ils se ressemblaient tous, il n’y avait rien qui permette de les identifier. Était-ce à cela qu’on reconnaissait les malades ? Sur chacune des cages, un nom était gravé en lettres de fer. Je me disais que je ne parviendrais à en retenir que quelques uns, les plus différents, comme cette fille, Marianne, à laquelle il manquait un pied, ou peut-être ce petit garçon, Victor, si jeune… Pour la plupart, ils se fondaient dans la masse misérable des malades, certains n’avaient même plus de noms, la rouille les avait effacés, mais on ne s’en souciait pas, ces gens allaient mourir. Je poursuivais mon avancée le long du couloir, si long que quand je pouvais me croire au bout, j’en étais en fait bien loin. Mon geste devint très rapidement mécanique, je sortais la gamelle, y versait un peu du seau, la glissait sous la cage, et passait à la suivante. Je nourrissais des ombres, si squelettiques pouvaient-elles être, si affamées semblaient-elles, elles ne touchaient pas à leurs assiettes, mais leurs yeux brillaient soudainement depuis leurs cages, alors qu’ils me regardaient enfin, pas par curiosité cela dit, juste par réflexe.

Puis mon regard tomba sur elle.
La cage indiquait qu’elle s’appelait Daphnée, elle devait avoir une dizaine d’années, ses cheveux bruns, courts et bouclés entouraient un visage arrondi, mis en valeur par de jolis yeux noisette, un peu plus grands que la moyenne. Elle n’était pas comme les autres malades. Elle avait l’air heureuse. Un large sourire éclairait son minois angélique. Elle faisait le tour de sa cage d’un pas léger, le regard au plafond. Quand je vins lui donner sa gamelle, elle mangea immédiatement. Je ne savais pas exactement pourquoi la petite malade, qui pourtant n’avait pas grande ressemblance avec ma sœur, m’avait fait penser à Victoria. Sans doute parce qu’il y avait peut-être dans cette cage l’unique souffle d’humanité parmi toutes ces cellules, et sa proximité me rassurait. Je m’agenouillai, les mains agrippées aux barreaux.
– Bonjour ! Soufflai-je si bas que l’écho ne tint pas compte de mes propos.
La petite fille continua de manger sans répondre.
– Elle ne dira rien.
Je me redressai d’un bond, surprise d’entendre une voix humaine. Elle venait de la cage qui faisait face à celle de Daphnée, je n’en reconnus pas de suite le pensionnaire, caché par le noir. L’inscription rouillée de sa cellule indiquait le nom de Nathaniel. Très vite, sa silhouette se détacha de l’ombre, alors que les mains du prisonnier empoignaient les barreaux de sa cage. C’était un jeune homme d’une vingtaine d’années, grand, maigre, le visage creusé par la faim, le teint laiteux, et les cheveux longs, sales, noirs et emmêlés. Il souriait, mais d’un sourire à la fois déstabilisant et désagréable. Nos yeux se rencontrèrent. Son regard me glaça et le mien retomba directement jusqu’à mes chaussures.
– Elle ne s’adresse qu’aux gens qui le méritent.
– Comment le sais-tu ?
– Elle n’a jamais parlé à personne, ici… Mais elle se parle à elle-même, parfois.
J’évitais toujours le regard de Nathaniel et préférais remplir sa gamelle. Mais au moment où je déposai l’assiette sous la cage, ma main fut aplatie contre la pierre au sol. Je fus immobilisée, tandis que Nathaniel, qui m’écrasait les doigts du bout de ses semelles, fléchissait les genoux pour s’abaisser à mon niveau, le même sourire toujours plaqué sur le visage.
– Ne sois pas si pressée, tu n’as rien d’autre que nous, ici, ton remède à l’ennui, c’est nous.
Je serrais les dents, ma main droite prenait des teintes violacées.
– Ce serait pas moi, plutôt, ton remède ? parvins-je à articuler.
Nathaniel fit semblant de réfléchir un moment avant de lâcher ma main.
– Les recrues d’Edgar n’ont jamais le temps de nous distraire bien longtemps. La chair fraîche, ça pourrit vite.
Je me frottais la main du bout du pouce, je faisais du mieux que je pouvais pour ne pas sembler déstabilisée par les propos énigmatiques de mon interlocuteur.
– …mais tu ne ressemble pas aux recrues habituelles… Depuis quand Edgar embauche des femmes gardiennes ?
Je ne répondis rien.
– Je me disais aussi… Qu’est-ce que tu fais là, alors ?
J’eus un moment d’hésitation, puis prit le parti de répondre honnêtement.
– J’ai refusé d’épouser son fils.
– Amusant…
– Et toi ?
– Pardon ?
– Tu ne ressemble pas aux autres malades…
Le sourire de Nathaniel s’élargit.
– J’ai l’air humain, hein ? J’ai l’air réel, pas vrai ? En regardant de près on pourrait presque penser que je suis ton semblable…
La lueur qui brillait dans le regard du prisonnier me mettait de plus en plus mal à l’aise.
– Non… En fait, tu sembles encore plus malade que tous ces gens…
– Ou lucide…
Je tentai de ne plus l’écouter, Nathaniel parvenait à me déstabiliser avec une aisance incroyable. Il y était parvenu dès notre rencontre, il y parviendrait toujours.
Je tournai les talons, mais son regard fixe continuait d’enflammer mon échine.
– Tu ne fuiras pas longtemps ! s’exclama-t-il d’une voix chantante.
J’avais préféré ne pas y croire, même si je savais déjà qu’il avait raison. Il n’y avait pas de barques pour l’autre sens. J’étais la gardienne d’âmes muettes, et celle de cette coquille bavarde.

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Nathaniel
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeMar 21 Jan - 12:56


Chapitre V : Le murmure de l'ogre

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"Pauvre ombre ! dit la princesse. Elle doit être fort malheureuse : un être aussi mobile qui se trouve claquemuré dans une étroite cellule !"

-Hans Christian Andersen, L'Ombre.


– Il était une fois une jeune fille, la plus belle qu’il ait jamais été donné de voir au royaume, pauvre en biens, elle était cependant riche en vertus, et surtout en âme. Elle vivait dans une maison de bois et de paille, en bordure de forêt, et saluait le jour sans jamais rien demander. Elle était si belle et si douce que tous la nommaient demoiselle fleur, car elle en avait le teint, et ce pouvoir étrange de propager la joie où qu’elle se trouve.
Il y avait au château, une jeune prince, riche d’esprit mais dépourvu d’âme. Il errait entre les pierres, n’y avait jamais froid, mangeait sans faim, parlait sans émotion. Ses parents, effrayés par cette coquille vide, demandèrent conseil à une fée puissante mais malicieuse, qui conseilla aux parents, de laisser le jeune hère en forêt sur-le-champ. « Là seulement », affirma-t-elle « est caché ce qui lui manque ». Les parents furent surpris et agacés de cette réponse. Abandonner leur fils, ils n’y songeaient pas, mais la fée leur promit qu’il leur reviendrait bien assez tôt, plus vivant et rempli que tantôt. Ils firent donc ainsi que la fée le demanda, car on ne peut désobéir à un ordre magique sans en craindre les représailles. Le lendemain, ils envoyèrent la coquille vide à dos de cheval dans la forêt. Et, que quelques sorciers l’aient voulu ou non, pour la première fois, dans toute son existence, la coquille se perdit. Il dut bien vite s’arrêter auprès de la pauvre cabane où demoiselle fleur vivait, afin de quérir son chemin. Demoiselle fleur ouvrit à la coquille vide, ils échangèrent un regard. La coquille vide ne sut plus demander son chemin, il demeura devant la porte, rendu muet par quelque sort. Demoiselle fleur, bien trop naïve, cru voir dans ses yeux cet éclair fascinant, qui dans les siens brillait incessamment. Quand la coquille embrassa la fleur, il avala son âme. La coquille s’éclaira d’un halo magnifique, la fleur perdit toute clarté, son teint de rose terni et grisâtre, ses yeux lavande devenus noirs observaient s’en aller ce beau pâtre, qui lui avait laissé l’inconsistance d’une coquille vide, dont on eut aspiré l’essence. Et la coquille bienheureuse connut toutes les félicités, car ainsi que la fée l’avait annoncé, il était revenu, et chargé d’âme.
– Je n’arrive pas à croire que ces histoires existent toujours… railla Nathaniel dans mon dos.
Je l’ignorai sublimement.
Assise sur le sol, les bras enroulés autour de mes genoux, je regardais Daphnée, qui n’avait pas bougé durant tout mon récit. ses grands yeux fixés sur les barreaux de sa cage, la bouche entrouverte, elle restait immobile, et toujours aussi muette.
Avec un léger soupir, je me redressai.
– Je ne sais pas ce que tu cherches à faire, mais je t’ai déjà dit que c’était inutile. continua la voix dans mon dos.
-Victoria adore cette histoire. soufflai-je sans regarder le prisonnier.
– Personne n’aime cette histoire, elle est ridicule.
– C’est un conte très populaire. rétorquai-je en me tournant enfin vers mon interlocuteur.
– Je doute qu’il s’agisse d’un gage de qualité.
J’haussai les épaules et me retournai à nouveau vers Daphnée, décidée à ignorer Nathaniel, une fois n’est pas coutume.

Voilà une semaine que je vivais sur l’île, et en dépit de ce qu’Emma m’avait assuré, je continuais à détester cet endroit, je ne me faisais toujours pas à ces paires d’yeux vides qui me suivaient à chacune de mes rondes, ni à la puanteur ambiante. Je n’avais toujours pas d’appétit, je ne trouvais toujours pas le sommeil. Et pour couronner le tout, j’étais seule. Emma passait la majeure partie de son temps enfermée dans son bureau, et elle était apparemment la seule résidente de l’île qui ne soit pas « malade ». Alors, malgré moi, je finissais toujours par me retrouver devant la même cage, celle de Daphnée, qui continuait de me refuser obstinément la moindre parole, bien qu’elle semblait guetter et apprécier chacune de mes visites. La voir m’apaisait. Elle avait beau être enfermée, elle avait beau être malade, son visage demeurait serein, et son attitude tranquille.
Seulement, chacune de mes visites à Daphnée impliquait de me voir confrontée à Nathaniel, Nathaniel qui semblait le seul être doué de parole dans ce monde environné de barreaux. Sa présence m’insupportait… Il ne prononçait pas la moindre phrase sans que celle-ci ne soit teintée de sarcasme, et ce sourire, ce sourire mauvais qui ne quittait jamais son visage, avait le don de m’effrayer. Sa présence m’agaçait, oui, ou du moins me mettait mal à l’aise, et pourtant, je pense que je n’aurais su m’en défaire. Il était le seul à parler, et si ses propos avaient le don de me perturber, ils existaient, au moins. Sans lui, tout n’aurait été que silence, et moi-même je serais devenue silence, il était celui par qui mes lèvres continuaient de bouger, par qui la parole ne me quittait pas.

Plus je parlais à Nathaniel, plus celui-ci m’intriguait, je n’arrivais pas à le cerner, et il faisait tout pour que je n’y parvienne pas alors que lui-même, en un claquement de doigts, en un regard, semblait tout savoir de moi, et me connaître mieux que moi même.
– Dis moi…
– Quoi ?
– À quoi ressemble le fils d’Edgar ?
– Je ne vois pas en quoi ça peut t’intéresser.
– C’est juste… que je ne l’ai pas connu.
Je fronçai les sourcils, mais cette expression se perdait dans le vide, puisque je me résignais toujours à ne pas regarder dans sa direction, même quand je m’adressais à lui.
– Et alors ?
– Alors je suis curieux… Le rejeton d’Edgar… J’ignorais qu’il avait un fils…
La façon dont Nathaniel parlait d’Edgar (et il ne cessait jamais de parler de lui, toujours en des termes peu élogieux) était toujours familière, intrigante, comme s’il ne voyait pas en lui le monarque que je le reconnaissais évidemment être et par principe.
– Tu dois être enfermé ici depuis longtemps, alors.
Il émit un léger rire moqueur.
– Tu n’as même pas idée. À l’époque, ce gosse n’était même pas encore né.
– Bien sûr… fis-je en m’adressant toujours aux barreaux de la cage opposée à la sienne. Vous devez avoir le même âge.
– Vraiment ? Il poussa un léger soupir. Le temps passe ! ajouta-t-il, ironique. Dis-moi, Éléonore…
– Quoi encore ?
Je n’avais pas à me retourner, je savais qu’il souriait.
Il agrippa la pointe de ma capuche avec poigne, me forçant à me tourner vers lui, ses yeux noirs inspectaient chaque millimètre de ma peau rendue plus pâle encore que d’habitude par le manque de sommeil.
– …Que pouvait-il bien avoir de si repoussant pour que tu refuses de l’épouser ?
Mon regard accepta enfin de soutenir le sien. Je ne savais pas quoi répondre. J’y avais réfléchi, et à plus d’une reprise au cours de mes nuits sans sommeil, et à chaque fois, la même question s’imposait à mon esprit : pourquoi est-ce que j’avais fait ça ? Maintenant que Gabriel n’était plus à proximité, et que l’angoisse d’un mariage imminent n’était plus d’actualité, je commençais à sérieusement douter de mon attitude. J’avais eu peur, mais à choisir entre une vie passée à nourrir des semi-humains en cage et une vie de princesse en compagnie d’un prince attentionnée, je devais bien être la seule imbécile à avoir choisi la première solution. Et Gabriel, était-il si désagréable que cela ? C’était plutôt tout l’inverse. Et qu’espérais-je d’autre, moi ? Alors que tout le monde désespérait de me voir mariée un jour, voilà que le plus beau parti de Féérie s’offrait à moi. On me proposait la richesse, l’amour, la tranquillité sur un plateau d’argent et voilà où j’en étais, je crevais de faim, de froid, de sommeil et de peur, sur une île perdue au milieu de nulle part et la seule personne avec qui je pouvais parler était un malade à tendances psychotiques.
– Rien… Il n’avait rien… de repoussant.
J’aurais préféré trouver un joli mensonge à lui fournir mais ces quelques mots furent les seuls que je sus prononcer, et ils ne me donnaient pas l’avantage.
– Vraiment… Il ne doit pas tenir de son paternel, alors.
On en revenait toujours à Edgar, comme un sujet obsédant, qui illuminait le regard de mon interlocuteur d’une lueur effrayante.
– Je ne sais pas.
J’hésitai un moment, mais puisque la conversation était engagée…
– Pourquoi parles-tu d’Edgar ainsi ?
– Ainsi ?
– Sans le moindre égard…
– C’est que je ne lui en dois aucun. Il écarta les bras et fit un tour sur lui-même. Tout ce que tu vois là, c’est son œuvre ! Il empoigna les barreaux de sa cage. On est loin de ta cage dorée, princesse, ici, les cages sont en fer et en rouille, Edgar est le premier à le savoir. Il nous a créés ainsi.
– Je ne comprends pas…
– Tu devrais vite apprendre. Et quand tu auras compris, peut-être que tu sera malade, toi aussi.
Cette remarque fut suivie d’un ricanement amusé qui me donna la chair de poule.
– Je ne sais même pas pourquoi je parle encore avec toi…
Et c’est vrai, je ne savais pas. J’aurais peut-être dû me contenter de l’ignorer définitivement. À force de constater mon manque d’intérêt, il aurait peut-être cessé d’insister, arrêté de parler. Mais je n’y arrivais pas.


– Je peux vous poser un question ?
Je tournais et retournais ma cuillère dans mon bol de cette unique et quotidienne mixture insipide.
Emma leva les yeux de son assiette pour me regarder. Elle n’était pas habituée à m’entendre parler à l’heure des rares repas qu’elle partageait avec moi. Ce n’était pas faute d’avoir tenté à plusieurs reprises le premier jour d’engager la conversation, mais elle s’était alors contentée de réponses concises et froides, aussi avais-je alors abandonné, jusqu’ici.
– Bien sûr. acquiesça-t-elle.
– Qui était Nathaniel ? Je veux dire… avant qu’il n’arrive ici ?
Son regard sembla changer un peu. Ou peut-être n’était-ce qu’une impression de ma part ?
– Je te l’ai dit, tous nos pensionnaires sont malades.
À nouveau, c’était une réponse courte et sèche.
– Je sais, répliquai-je, décidée à insister, mais il ne ressemble pas aux autres. Il parle, il me regarde dans les yeux…
– Tu ne dois pas privilégier un pensionnaire d’un autre, Éléonore, ils doivent tous obtenir la même attention de ta part. Et s’il te plaît – et son regard me suppliait, en effet, drôle de contraste avec la froideur dont elle avait tantôt fait preuve – évite de trop t’approcher de Nathaniel.
Je savais que je n’obtiendrais rien de plus d’elle à ce sujet.
– Emma…
La concernée poussa un soupir.
– Oui ?
– Pourquoi on ne parle jamais de cette île ?
– Personne n’a envie de connaître cette île. Et personnellement, je ne vois pas ce que ça pourrait apporter à qui que ce soit de la connaître.
– Mais… tous ces gens ont bien de la famille, non ? Est-ce qu’ils savent que…
– Edgar aurait mieux fait de nous amener un autre de ses gardes ! soupira Emma. Ils ne posent pas de questions sans arrêt.

J’avais du mal à croire que mes prédécesseurs n’aient jamais eu la moindre question à poser au sujet de cette île étrange et de ses pensionnaires. Allongée sur mon lit, les yeux fixés au plafond, ces questions venaient se bousculer dans ma tête. J’étais certaine qu’Emma en savait beaucoup plus que ce qu’elle disait. J’imaginais mal en effet qu’on puisse accepter de veiller ainsi sur une flopée de malades dans un endroit aussi hostile, sans être un minimum renseigné sur ce qui se passait exactement dans ce pensionnat. Mais peut-être qu’Emma n’avait rien accepté du tout, qu’elle avait été forcée à faire tout ça, tout comme moi, parce qu’elle avait fait une erreur ? L’existence de cette île, cette île horrible, ne pouvait que me faire cogiter. Qui aurait pu imaginer que Féérie abritait un secret aussi terrible ? Pourquoi cette notion de « maladie » m’avait toujours semblé si abstraite avant d’arriver ici ? Qu’est-ce qui faisait qu’on devenait soudainement malade ? Est-ce que ces gens avaient été comme moi, de simples Féériens, avant d’atterrir dans ces cages ? Est-ce que je finirais par tomber malade, moi aussi, ainsi que me le prédisait Nathaniel ? Trop de questions… C’était peut-être ce qui me dérangeait tant, chez mon pensionnaire bavard, s’il n’avait pas été là, j’aurais pu être convaincue que ces gens n’étaient plus rien, juste des enveloppes dépourvues d’âme… Mais lui parlait, il agissait comme un humain… Pas un humain normal, il dégageait une aura trop effrayante pour que j’ai un jour pu me décider à voir en lui un véritable être humain, mais quelque chose qui s’en approchait d’un peu trop près, et faisait vaciller la moindre conviction qui aurait pu naître dans mon esprit.
Je n’arrivais pas à faire le point sur ce qui m’arrivait. Trop de choses en trop peu de temps. J’aurais voulu enfin dormir, me réveiller dans notre petite masure, retrouver mes parents, retrouver Victoria et Anna. Et que rien ne se soit passé. Mais non, même dans le peu de rêves que je pouvais faire, je ne trouvais pas de refuge, ce n’était jamais le rire naïf de Victoria ou le sourire tendre d’Anna qui m’attendaient au cœur du sommeil, mais toujours le sifflement, le sifflement que j’avais entendu la première fois que j’avais mis les pieds dans l’immense pièce cernée de cages, et le sourire malsain de Nathaniel qui s’élevait au dessus de mon rêve à la manière d’un croissant de lune, tout prêt à me dévorer.

Cette nuit, comme toutes les autres, je n’avais donc pas dormi, ou à peine. Je m’étais appuyée contre le rebord de la fenêtre, attirant la fraîcheur à moi. Au bout d’une semaine, je commençais à peine à m’habituer à la puanteur, et « habituer » était encore un trop grand mot. Je m’étais également fait au paysage, observer le cimetière ne me dérangeait plus autant, je m’amusais à compter les tombes, ça avait quelque chose d’apaisant. Et cette forme bleutée, qui continuait de danser entre les pierres tombales et que je ne savais définir avait sur moi un effet hypnotique. Au loin, j’apercevais la barque qui m’avait conduite jusqu’ici, elle faisait sans cesse l’aller-retour, de Féérie à l’île, toujours conduite par le même vieillard. Il s’en allait toujours seul, et revenait les bras chargés de ce qui ressemblait à un immense tas de draps roulés en boule qu’il jetait négligemment dans un immense trou creusé dans la terre. C’était étrange, la barque semblait avancer avec une lenteur infinie, et pourtant, pour avoir été à son bord, je savais que son rythme était diablement rapide. C’était là le seul bruit qui se distinguait dans le silence de la nuit, le mouvement de la barque à la surface d’une eau calme et stagnante. ça deviendrait mon quotidien, et je m’y ferais, tout comme Emma me l’avait prédit, mais d’une manière qu’elle n’avait sans doute pas prévue.
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Nathaniel
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeMar 21 Jan - 12:57


Chapitre VI : Marianne

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"L'aînée alla dans sa chambre pour essayer le soulier en compagnie de sa mère. Mais elle ne put y faire entrer le gros orteil, car la chaussure tait trop petite pour elle; alors sa mère lui tendit un couteau en lui disant :
- Coupe-toi ce doigt; quand tu seras reine, tu n’auras plus besoin d'aller à pied."

-Les frères Grimm, Cendrillon.


Cet infini transparent ne l’avait jamais angoissé, jamais tenté, jamais, même, intrigué. Il était là, point imposant et infime à la fois d’un paysage qu’il avait apprivoisé tant et si bien qu’il avait fini par ne plus rien représenter. Rien d’autre, tout du moins, qu’une immensité uniforme, qui, au mieux, pouvait seulement lui procurer ce sentiment de fierté, celui que l’on ressent lorsque l’on possède et que l’on sait posséder, propre à tout aspirant à la monarchie. Il lui semblait le découvrir sous un jour différent, à présent. Et pourtant, il ne savait rien… Et parce qu’il ne savait rien, justement, l’abime chantait à son oreille avec une douceur infinie, mélodie envoutante. Il voulait céder à l’appel de cette sirène. Pour la première fois, le désarroi guidait un esprit qui, certes, n’avait jamais été des plus avisés, mais qui tout du moins, avait su se nourrir d’une passion pour la vie qu’il sentait le déserter, à présent. À quoi bon la vie, sans elle ? À quoi bon le chant des sirènes ? À quoi bon l’océan ? Il le voyait se perdre dans l’inaccessible et, pour la première fois, il caressait le rêve de s’y noyer.
Encore eut-il fallu qu’il soit moins lâche.

Dans un léger soupir, il détourna son regard de l’eau pour le poser sur Anthony. Celui-ci attendait, visiblement mal à l’aise, dans un silence qui se rapprochait presque du recueillement. Il ne voulait ou n’osait rien dire, et attendit que Gabriel prenne la parole avant que de se permettre la moindre réaction. Il était l’oiseau de mauvaise augure. C’était un rôle qui lui avait plus d’une fois collé à la peau, et il y avait au passage perdu plus d’une plume. Cette nouvelle, plus que les autres, lui avait été pénible à annoncer. Parce qu’il ne l’approuvait pas, d’une part, et d’autre part, parce que lire dans les yeux de Gabriel ces émotions terribles qu’il ne lui arrivait jamais de manifester lui était bien plus difficile que cela avait pu l’être en d’autres circonstances. Cette fragilité, part intégrante de sa personnalité, qui se laissait découvrir plus que d’ordinaire encore à cette heure, n’était l’héritage de personne… De son père ou de sa mère, il n’avait ni la froideur, ni l’absence d’affect. Au contraire, ce qu’il y avait d’émotion en lui aurait certainement su compenser les lacunes en la matière de ses deux parents réunis. À l’heure actuelle, Anthony se serait bien gardé de le savoir si prompt au désespoir et à la mélancolie… Mais il était évidemment bien trop tard. La décision ne revenait à aucun d’entre eux. L’un comme l’autre n’étaient jamais que les pions dociles d’un jeu de dupes dont l’un ne saisissait pas les règles, et l’autre les avait apprises bien trop tard.

– Je n’y retournerai pas. dit le prince d’un ton qui semblait décidé, mais ne parvenait en rien à convaincre son serviteur. Je me fiche de ce qu’il dit ou de ce qu’il veut. Je vais la chercher et mettre fin à tout ça. Ses prunelles se plantèrent dans celles de son interlocuteur. Et je t’interdis de me retenir ou de lui en parler.
Un vague haussement d’épaules fut la première réaction d’Anthony. L’on ne décidait jamais rien, à Féerie. Ces instants courageux, de bravoure chevaleresque, ne duraient jamais qu’un temps infime…
– S’ils n’y sont pas parvenus, tu n’y parviendras pas davantage. Gabriel… c’est simplement…
– Tu veux que je cède à leur marché odieux ? Sous le seul prétexte que c’est plus simple comme ça ? Je ne peux pas, je… Il baissa les yeux. Déjà, sans que rien ne fut pourtant dit, l’évidence crue lui sautait au visage. L’inéluctable. Tu renoncerais si facilement, toi ? Même en sachant que c’est perdu d’avance…
Doucement, avec cette forme d’hésitation qui le caractérisait si bien et guidait presque chacun de ses gestes, chacune de ses attitudes, et presque chacune de ses pensées, Anthony déposa sur l’épaule de Gabriel une main qui se voulait rassurante, et qui, pourtant, se refermant sur lui, scellait un destin qu’il ne souhaitait pas voir s’accomplir.
– Oui.


Je ne comptais plus les jours. J’aurais pu être là depuis quelques semaines seulement, ou depuis une innommable éternité, je n’en savais rien, je m’en moquais… Chaque seconde, chaque minute, chaque heure, similaires les unes aux autres, voilà ce qu’était ma vie. Cette île me vidait de mon énergie, de mon cœur, de ma compassion, de mes rêves, de mes illusions comme l’on aspire le contenu d’un coquillage pour ne plus en faire qu’un ornement sans intérêt, à la différence que je n’avais pas davantage pour moi une beauté qui aurait su faire oublier le vide qu’il y avait à l’intérieur de moi. L’on me creusait, l’on m’arrachait à mon être, l’on me vidait de ma substance… Oh, l’île des soupirs, comme je la haïssais ! Comme j’exécrais ce qu’elle faisait de moi ! Les jours passant, l’enveloppe humaine, car ainsi devais-je me faire nommer, n’était plus que mécanisme corporel, qui avec une profonde lassitude, une horreur d’elle-même et de ceux qu’elle servait, évoluait dans ce monde sombre et clos, dans un silence pesant, qu’interrompait seulement l’ogre en cage qui veillait sur mes jours et hantait mes nuits. Je n’étais plus effrayée. Mes sens anesthésiés par ce temps semblant si long passé auprès de mes « malades » ne s’offusquaient plus de tout ce en quoi ces lieux les irritaient à leur découverte, je ne m’interrogeai plus. Je devenais l’image la plus concrète possible de ce que je devais apprendre avoir toujours été : ni plus ni moins qu’un simple pantin. De chair et de sang, certes, mais quelle importance, quelle différence ça faisait ? Je ne m’accrochais plus au vain espoir qu’aucun d’eux ne m’offre un peu de ce bonheur qui semblait appartenir à un passé si lointain, dorénavant. Ils ne disaient rien, ne faisaient rien, ils observaient, c’est tout. Daphnée, le seul sourire engageant de tous les visages, niait toujours mon existence et mes tentatives afin de lui parler demeuraient vaines, quand Nathaniel, de son côté, ne m’ignorait malheureusement pas suffisamment.

Depuis cette conversation si brève, ce repas à peine avalé que j’avais pu échanger avec Emma, je n’avais plus la moindre nouvelle d’elle. Elle passait la plupart de son temps cloîtrée dans son bureau, ne m’offrant rien de ce soutien que j’avais naïvement voulu espérer de sa part. J’étais seule. Seule au milieu d’ombres. Et le silence enveloppait chaque journée, me bordait chaque nuit, si fort que j’étouffais presque. De ce temps passé sur l’île des soupirs, j’ai le souvenir de ce calme oppressant, de ce sentiment d’être en bordure de néant… Le moindre soupçon de son se voyait amplifié à mon oreille qui guettait chacun d’entre eux.

Puis un jour, le cri le plus déchirant qu’il m’ait jamais été donné d’entendre, si terrifiant qu’il peut encore hurler à mon cerveau gelé… La nuit était tombée depuis plusieurs heures déjà. La forme bleuâtre flottait comme à son habitude sur son domaine de croix et de terre, et moi, comme à mon habitude, je dormais de ce demi-sommeil auquel je ne m’abandonnais jamais totalement, de crainte, sûrement, de ne jamais me réveiller. Le cri, transperçant mes tympans autant que le voile silencieux déposé sur ma vie, me hérissa le poil. Je me levai d’un bond, l’estomac noué. Il provenait des cages.

L’envie de l’ignorer et de retourner à mes non-rêves m’avait d’abord saisie, cette voix douloureuse ne m’appelait pas, elle n’appelait personne, et mon angoisse, trop réelle pour s’évanouir comme l’avaient si bien fait mes espoirs, m’invitait autant à la prudence qu’à la plus stupide des témérités. Jamais je ne m’étais montrée véritablement courageuse, et pourquoi l’aurais-je été ? Je n’avais, longtemps, rien eu à défier, et voilà que je me défiais de tout. Mais pouvais-je laisser s’exprimer la souffrance sans tenter au moins de la soulager ? Il sembla que non, au vu de ce que mes pas plus que moi-même m’engagèrent à faire. Quelle corrélation pouvait-il y avoir encore entre mon esprit et mes actes, je l’ignore. Je sais seulement avoir quitté la chambre, et m’être rendue, d’un pas de plus en plus pressant, jusqu’aux geôles. Je n’y étais pas attendue. Quand j’arrivais enfin dans ce long couloir devenu mon enfer quotidien, je découvrais le spectacle morbide dont mon cerveau visiblement défaillant, par des moyens qu’il n’avait finalement pas su atteindre, avait voulu me préserver.

Jamais il ne m’avait été donné de voir autant de sang de ma vie. J’ignorais même qu’on pût en perdre autant. Comme tout humain normalement constitué, il m’était arrivé, bien sûr, de me blesser de m’écorcher, de me faire mal, mais ce que je découvrais à cette heure était à mille lieues de tout ce que je m’imaginais pouvoir connaître, de ce que violence pouvait-être,  des extrêmes qu’elle pouvait atteindre, du désespoir auquel elle pouvait mener. Tout ce à quoi j’avais toujours refusé de m’exposer, ou du moins, tout ce à quoi l’on avait refusé de m’exposer, ce à quoi j’avais jusqu’ici consenti, avec bonheur et aveuglement. Ce fut d’abord cette traînée de sang qui vint couler jusque sous mes semelles qui attira mon attention. Quelques pas plus loin où la flaque cramoisie était bien plus grande, recouvrant le sol en pierre d’amarante, Emma était à genoux, sa robe beige à même le sang, serrant contre ses bras cette même femme qui avait hurlé plus tôt, et qui, secouée de spasmes, murmurait à présent d’incompréhensibles prières.

C’était Marianne, je n’avais retenu son nom qu’en raison de cette singularité qui était la sienne, ce pied droit tronqué, qui avait, semble-t-il, été arraché, de gré ou de force, à une jambe frêle et squelettique (qui ne l’avait peut-être pas toujours été, par ailleurs). C’était sur l’autre pied, cette fois, que la jeune femme à peine plus âgée que je ne l’étais alors, s’était acharnée. Le témoin et acteur de sa folie reposait encore entre ses doigts tremblants : cette gamelle de fer que j’avais pris pour habitude de lui tendre remplie de cette nourriture répugnante qu’était son repas quotidien. Elle l’avait, semble-t-il, frappé avec violence et à de nombreuses reprises contre un pied et une cheville en tous points ou presque tuméfiés. Le rebord de cet objet que je pensais inoffensif avait traversé sa chaire, séparant presque intégralement le pied de l’un de ses orteils, ne tenant plus qu’à un os ignoblement mis à nu. Dégoûtée, consternée, incapable de faire encore un pas ou de prononcer le moindre mot. Je demeurais là, les larmes au bord des yeux, la nausée au creux de la gorge.

Inévitablement, Emma s’aperçut de ma présence. Il ne fallut qu’un regard de sa part pour que je comprenne que quelque chose avait changé. Elle n’était plus cette entité froide et autoritaire, sûre d’elle, tantôt intimidante, tantôt rassurante. L’angoisse et la panique marquaient chacun de ses traits, et quand elle s’adressa à moi, ce fut d’une voix chevrotante que je lui reconnus à peine.
– Va t’en ! Me somma-t-elle d’un ton qui me sembla presque suppliant, et qui l’était sans doute.
En moi, deux intentions très distinctes se menaient bataille, celle d’obéir sur le champ et de m’éloigner de cette scène, première d’une tragédie en trop d’actes morbides, la plus marquante pour moi, et celle de rester, quoi que je n’eus pas alors la moindre idée de ce qu’il aurait été possible pour moi de faire.
– Va t’en, je te dis ! Répéta-t-elle, mi énervée, mi agacée.
Un frisson dans mon échine vint rappeler mon corps tout entier à ses capacités physiques, et, dans un bref hochement de tête, je m’exécutais finalement. Mes pas furent d’abord lents, et lourds, si lourds, comme si le sang collé à mes semelles donnait à chacun de mes mouvements une difficulté nouvelle, mais plus je m’éloignais de cette cage maudite, plus les gémissements de Marianne se faisaient lointains, et plus mes pas parvenaient à s’accélérer. Ce fut finalement presque en courant que je rejoignis ma chambre et m’y enfermais.

C’était là ma propre cellule, celle que mon esprit avait bâti, et dans laquelle je consentais à m’enfermer. Je la considérais comme ce qui pouvait le plus à mes yeux s’assimiler à un havre de paix, mais ce n’était qu’un leurre. Un leurre de plus. Où que j’ai vécu, et quel que soit le lieu où j’ai voulu trouver un soupçon d’apaisement, il n’en a jamais rien été, je m’entourais par moi-même de barreaux, parce que c’était plus simple ainsi. Mais même à l’abri de ces derniers, le monde dans cette cruauté bannie jusqu’alors de ces lieux illusoires, avait su me rattraper, et il n’y avait plus rien que je puisse faire pour ignorer l’évidence, si ce n’était tourner en rond, encore et encore, énervée, angoissée, fébrile, en quête d’une solution qui ne pouvait exister. Alors, pour la première fois de ma vie, je décidais de m’échapper. Sans aucun projet précis si ce n’était celui d’être libre. J’allais quitter cette île maudite, perdre mon esprit sous des cieux plus propices, rejoindre Victoria de l’autre côté de l’océan. Mais avant, il me restait une chose à faire. Avant, si stupide mon initiative fut-elle, je voulais parler à Daphnée et lui dire au revoir.

J’attendais donc l’aube, que les murmures oppressants s’estompent, et que la voie soit libre. Comme pour me narguer, il me sembla qu’elle fut bien plus longue à naître que d’ordinaire. Dès que les premiers rayons du soleil firent leur apparition, et sans me permettre d’attendre plus longtemps, mue par une aspiration soudaine, qui m’avait jusqu’ici été étrangère, je retrouvais les cages. Aussi sombres qu’à l’ordinaire, elles me semblaient malgré tout baignées d’un éclairage nouveau. Toute trace de ce qui avait eu lieu ici même la veille avait disparu… Le sol était à présent immaculé, les lieux baignés de silence. Marianne, quant à elle, ne se trouvait désormais plus dans sa cage. À la voir vide, mon cœur se serra, mais je n’oubliais pour autant pas ma décision, souveraine et irrévocable. Je devais m’en aller. Je ne subirais pas ce même sort qui attendait toujours les gardiens de cette île, je ne connaîtrais pas le sort de tous ces malades. J’allais vivre, renaître, aller de l’avant. Comment tant d’espoir avait-il pu naître d’un désespoir si grand ? Même aujourd’hui, je peine à le comprendre. Ce que je peux affirmer, en tous les cas, c’est que la tentative en elle-même, certes montre d’optimisme, était des plus désespérées. J’avançais avec précaution, tentant de me faire la plus silencieuse possible afin de ne pas réveiller tous ces êtres en cage qui dormaient du sommeil de l’injuste. Je jetais un rapide coup d’œil aux cellules alentours, tous leurs occupants semblaient endormis… Y compris Daphnée, que je dus tirer des bras de Morphée, avec autant de douceur que je pus, néanmoins.

– Daphnée… l’interpellais-je à plusieurs reprises, jusqu’à ce que ses yeux sombres s’ouvrent enfin. Pendant un temps, elle ne quitta pas sa position fœtale, se contentant de m’observer sans bouger. Puis, après de longues secondes, elle se redressa, se leva et se rapprocha de moi. – Je… À la voir ainsi, si innocente, l’idée de l’abandonner ici me fut insupportable. Mais je ne pouvais rester. Sans doute étais-je trop lâche, j’en étais quoi qu’il en soit incapable. Je m’en vais, je voulais te prévenir. Je ne reviendrai pas… puis, me mordillant légèrement la lèvre inférieure. Je suis désolée.

Daphnée, comme à son habitude, ne répondit rien, ses yeux ronds se contentèrent de me toiser, et je crus voir son sourire disparaître, tandis qu’un autre naissait juste dans mon dos.
– C’est vrai, tu as l’intention de t’échapper ?
– Ça ne te concerne pas.
– Au contraire, je peux t’aider. La main de Nathaniel, à travers les barreaux de sa cage, vint agripper mon poignet. Par la même, je me tournais vers lui. Une lueur nouvelle était née dans son regard, que je ne lui avais pas connue jusqu’alors, mais connaîtrais souvent par la suite. Où comptes-tu aller ? D’où tu viens, l’on te renverra immédiatement ici, si ce n’est pire.
– Je me passerais très bien de tes conseils.
– Tu as tort. Il est avisé de m’écouter, parfois. Ses doigts se resserrèrent plus fort autour de mon poignet, le marquant de rouge. Emmène-moi avec toi.
– Lâche-moi. Mais il ne m’écoutait pas.
– Tu ne t’en sortiras pas sans un guide, emmène-moi.
Faute de savoir comment réagir autrement, mes dents s’enfoncèrent dans la peau de sa main. Sous l’effet de la surprise et de la douleur, il lâcha prise. Moi je crachais au sol et reculais de plusieurs pas.
– Adieu, Nathaniel.
En quelques secondes, l’intense satisfaction née de l’idée d’être débarrassée de lui, de le chasser de ma vie, me rendit presque heureuse. Mais ces adieux n’auraient pu être plus prématurés.

L’océan n’avait jamais signifié grand chose pour moi, il ne m’invitait ni à l’angoisse, ni à la curiosité, ce qu’il pouvait receler de beauté m’aurait certainement à jamais échappé si certains érudits ne s’étaient pas perdus dans sa contemplation au point d’en décrire avec poésie la beauté, en peinture, en chansons… Mais ces œuvres de l’esprit ne reflétaient en rien ce que je voyais en lui à cet instant. Si sombre et agité était-il, ces vagues qui affluaient dans ma direction semblaient m’appeler, comme si tout à coup, cette étendue liquide me parlait, m’invitait, m’exhortait à la rejoindre. J’avais fait le tour de l’île, nulle terre à l’horizon, nulle trace de la barque de Charron. Qu’importe, l’appel était plus fort. Insensée, insensible à toute logique et à sa froideur glacée, je mettais un pied dans l’eau, puis l’autre. Enfin, je m’immergeai complètement.

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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeMar 21 Jan - 12:59


Chapitre VII : Le conte et l'Histoire

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"Pouvais-je mieux choisir pour me rendre vraisemblable
Ce que la fable a d'incroyable ?"

-LCharles Perrault, À mademoiselle.



Qu’avais-je en tête, exactement ? Qu’attendais-je, en vérité ? Je n’en sais trop rien. Je fuyais, un point c’est tout, et en un acte idiot et désespéré, je cherchais à me libérer. Que n’y suis-je arrivée, cette nuit-là ! Tout aurait été bien plus simple. Mon nom, effacé par l’eau de l’océan, semblable à ceux gravés sur les cages, n’aurait plus rien signifié pour personne. À la place, j’ai attendu qu’on me la vole, qu’on me l’arrache, je n’ai finalement pas même disposé de ma propre mort. Avais-je seulement conscience que je plongeais en cette eau comme on fait le dernier voyage ? Je le crois, oui. Pourtant, à aucun moment, je n’ai pensé : « je vais mourir », je l’ai juste réalisé. Je n’étais sans doute pas prête à l’accueillir, quoi qu’il en soit, cette douce sauveuse. C’est ce qu’il a dû croire aussi. Je ne me souviens pas de grand-chose. Et sur le moment-même, tout avait également été flou. Mon corps tout entier dans une eau glacée, le mouvement vain de mes bras et de mes jambes, qui m’épuisaient en quelques brasses inutiles, le cerveau qui s’endort, les gestes qui, d’un coup, s’interrompent, mon corps qui file vers le fond… Je n’en sais plus grand-chose. Je sais que c’était là, je l’ai su après coup. Je me souviens m’être laissée entraîner dans les abysses sans aucune résistance, je me souviens des paysages sous-marins… Puis la main tendue qui m’avait agrippé le bras, tirée de l’eau et d’un sort qui ne devait pas être le mien. Je me souviens du regard de Charron, de sa faible esquisse de sourire. Puis de mon esprit, de tout mon être, qui s’évanouissaient, du moins temporairement, dans cette barque délabrée qui, déjà, me ramenait sur l’île.

Je ne me réveillai, semble-t-il, qu’une semaine environ plus tard. Ce fut, cette fois, le regard soucieux d’Emma que vinrent découvrir mes paupières ouvertes lorsque, une fois n’est pas coutume, j’avais été recrachée par les ténèbres. Pendant quelques secondes, nos regards se croisèrent sans qu’aucune de nous ne prononce le moindre mot. Fallait-il que je parle ? Et pour dire quoi ? Que j’étais désolée ? Que c’était une erreur ? Je n’en pensais rien. M’enfuir avait été ma décision la plus censée depuis cette demande en mariage qui avait, à tant de titres, gâché ma vie. Je savais bien m’être montrée impulsive et imprudente, mais je ne comptais pas faire amende honorable pour cela. Je ne voulais pas de cette île qui voulait trop de moi. Tant de gardiens m’avaient précédée pour, tous, y connaître la mort. D’autres, comme moi, avaient certainement cherché à se noyer. Eux, y étaient parvenus. Ces lieux me chérissaient-ils donc ? Ils me maintenaient mieux en vie, dans tous les cas, que ne serait jamais parvenue à le faire l’île de Féerie si l’on avait daigné m’y laisser vivre et vieillir. Découvrant un silence qui allait en s’éternisant, ce fut finalement Emma qui le brisa, après avoir déposé un chiffon trempé d’eau chaude sur mon front.
– Marianne… elle n’a pas survécu.
Je m’attendais à des réprimandes, à de sévères reproches… ou, à l’extrême limite, qui sait, à quelques mots agréables qui auraient témoigné de la vague inquiétude que celle qui mettait une grande application à me soigner aurait pu ressentir et du soulagement qu’elle éprouvait à présent qu’elle me savait hors de danger. En lieu et place de cela, voilà qu’elle m’adressait les mots les plus froids et douloureux que l’on puisse imaginer. Je me redressai d’un bond, réalisant seulement quelle douleur traversait tout mon corps à chaque mouvement que je choisissais d’esquisser.
– Emma… je veux m’en aller. Laissez moi m’en aller, s’il vous plaît…
Je savais bien que ces supplications étaient vaines, mais je voulais tout tenter. Quitte à soutenir le regard étrangement tendre que mon interlocutrice m’adressait soudain.
– Je suis désolée, Éléonore, je ne peux pas te laisser partir. Elle détourna son regard. Lorsqu’elle reprit la parole, elle su retrouver, dans le ton de sa voix, plus de cette sévérité que j’avais appris à lui connaître en dépit de la faible fréquence de nos conversations. Repose-toi autant que tu veux, je te relayerai le temps qu’il faudra pour que tu te rétablisses.

Quel temps fallait-il pour se rétablir dans un cas comme le mien ? Il me semblait impossible de seulement envisager pouvoir me sentir mieux. J’aurais pu profiter de cette souplesse de la part d’Emma pour demeurer cloîtrée dans ma chambre et décider de ne plus jamais en sortir. Ou, tout simplement, pour tenter de m’enfuir à nouveau. Je ne fis, finalement, ni l’un ni l’autre. S’il me fallait demeurer captive de cet endroit, il me fallait accepter enfin de le comprendre, et me résigner à entendre ce à quoi j’avais résolument voulu rester sourde. Je gardais sagement le lit jusqu’à gagner plus d’assurance dans mes mouvements, quand le moindre de mes gestes ne me mit plus au supplice, j’abandonnais ma couche et, sans consulter Emma (qui à l’heure tardive où ma résolution avait été prise dormait sans doute déjà), je revenais aux cages, au décor familier, à l’habitude glauque. Cette fois, mes pas qui résonnaient dans l’espace, et qu’il reconnaissait, je le sais, ne m’attirèrent de sa part aucune remarque, aucune interpellation, comme s’il savait… il savait que cette fois, c’est moi qui lui donnerait le privilège d’amorcer la conversation, l’occasion de se penser important. Je m’arrêtai devant sa cellule, il m’adressa un sourire sibyllin, mais ne dit rien. Il attendait de moi cette satisfaction que j’étais contrainte de lui offrir.
– Explique-moi. ordonnai-je seulement, presque impérieuse, plus que je ne l’étais ou pouvait même me permettre de l’être, d’ailleurs.
Pendant un temps qui me sembla infiniment long sans forcément l’être, il ne prononça pas le moindre mot, se contentant de fixer le blanc de mes yeux, son sourire se faisant à présent plus satisfait qu’énigmatique.
– Alors tu ne t’es pas enfuie, finalement ? Ou alors tu n’as pas réussi…
Déterminée à ne pas lui laisser une opportunité supplémentaire de justifier sa mine triomphale, je ne répondis pas.
– Tu n’as pas réussi. sourit-il. Tu aurais dû m’emmener avec toi, à l’heure actuelle, tu serais chez toi. Je me refusais toujours à prononcer le moindre mot. J’attendais, armée d’une patience qui me surprenait moi-même, mon regard soutenant le sien sans en ressentir nulle crainte, pas cette fois. Un temps, le silence se fit, puis, finalement, alors que je ne l’espérai plus vraiment, il ajouta : Ce n’est pas la première fois qu’elle essayait. Mon souffle fut coupé quelques secondes. C’est pour ça qu’on l’a amenée ici. Il marqua une pause, prenant le plus malin des plaisirs à entretenir le suspense. Elle était promise à un prince. Son destin reposait sur une chaussure.
– Une chaussure ?
– Une jeune fille à marier capable d’enfiler cette chaussure abandonnée lors d’un bal pouvait épouser le prince. Elle a tout mis en œuvre pour être cette fille-là. Ou du moins, sa mère l’y a invitée avec insistance. Voyant que la chaussure n’allait pas à son pied, elle a pris un couteau de cuisine, l’a mis entre ses mains. Elle s’est d’abord tranchée les orteils. Mais, vois-tu, les chaussures diminuaient en taille à mesure qu’elle se substituait à sa propre chair, alors…
Un frisson m’envahit l’échine et je blêmis d’horreur, alors que je me laissais croire à ce en quoi je n’avais jamais cru. C’est le timbre tremblant que je reprenais la parole.
– Est-ce là sa maladie ? Cette obsession ?
Nathaniel semblait plus qu’amusé par cette réflexion qu’il devait trouver bien naïve.
– Qu’est-ce seulement pour toi, la maladie, Éléonore ? Sais-tu seulement ce qu’elle signifie ?
À la vérité, je n’en savais rien. Ce qui se rapprochait le plus de la notion de maladie dans mon vocabulaire était certainement cette douleur qui ne m’avait pas encore complètement abandonnée depuis ma presque noyade.
– C’est le monde dont tu viens qui est malade, sclérosé… Edgar a voulu la perfection, nous étions des microbes, des plaies ouvertes, des cicatrices. Il a guéri son monde en nous en éjectant… et il en a fait un semblant de paradis, une utopie de pacotille. Un monde sans souffrance, sans violence, sans horreur… sans rien. Une grande idée à l’application monstrueuse. Un monde aseptisé, pour que les enfants de l’après-guerre, les enfants comme toi, grandissent dans la plus parfaite des naïvetés, dans la plus totale des ignorance. Sans savoir que dire, je me contentais d’écouter, suspendue au moindre de ses mots et il m’en abreuvait jusqu’à la nausée. Il a crée une illusion. Un univers confortable, je n’en doute pas, non, après tout, je n’y ai jamais mis les pieds… Mais les cicatrices forment la mémoire d’un corps. Féerie est un conte, une légende et nous… il lançait son regard à sa gauche et à sa droite, en direction des cages voisines. Nous sommes l’Histoire.
Je fronçai les sourcils. Si je devais très vite comprendre la portée et le sens de ces mots, je n’étais pas certaine alors d’y entendre ce qu’il fallait, ce message qu’il cherchait à me transmettre… et que je finirai par ne saisir que trop bien. Il me voyait, perdue, perplexe, il n’en souriait que d’autant plus.
– Tu as voulu que je t’explique, je t’explique. ajouta-t-il dans un haussement d’épaules. Il laissa passer un nouvel ange alors que son regard toisait la cage face à la sienne. Daphnée, allongée à même le sol de pierre aurait pu donner l’impression de dormir profondément, son ventre se soulevant et s’abaissant lentement au rythme d’un souffle régulier, si ses paupières grandes ouvertes ne luisaient pas dans l’obscurité. Elle a vu son frère se faire manger sous ses yeux. me confia-t-il finalement à voix basse.

L’horreur est une découverte soudaine, mais celle de son ampleur fut pour moi progressive. Il naissait en moi une empathie nouvelle qui ne pouvait que compliquer ma tâche, nuire à ces pensées trop nombreuses qui exerçaient sur mon cerveau une pression telle que ma boîte crânienne semblait sur le point d’exploser. Elle influencerait les pires de mes décisions, et la plus décisive d’entre elles fut sûrement celle qui me vint alors.
Je devais voir la tombe de Marianne.

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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeMar 21 Jan - 21:22

Je veux lire la suite !!!
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeMar 21 Jan - 21:25

T'es un amour Les ailes arrachés 4053995703

Je vais tenter de faire vite Razz
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeMar 21 Jan - 22:29

Dépêches toi je veux la suite aussiiiiiiiiiiii  Les ailes arrachés 2970086863 
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeMar 21 Jan - 22:31

Avec de tels encouragements, je vais m'activer Cool Cool
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeDim 4 Mai - 21:43


Chapitre VIII : La lumière bleue

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"Lorsqu'il fut au fond, il aperçut en effet une flamme bleue qui provenait de la chandelle magique ; une espèce d'étui était à côté, dans lequel on pouvait l'enfermer ; quand on le rouvrait, la flamme brillait de nouveau, et jamais la chandelle ne s'usait."

-Les frères Grimm, La lumière bleue.


Je ne réfléchissais pas. Cette île avait une influence singulière sur ma pensée, elle la focalisait sur ce à quoi je n’avais jamais daigné ou voulu m’intéresser, au mépris des réflexions les plus logiques et nécessaires. Je n’étais pas sans savoir que me précipiter à grands sauts dans l’inconnu, comme je l’avais fais dans l’océan, n’était ni sage, ni avisé, mais mon besoin de savoir, au-delà de mon instinct, dictait à présent tout ce que je me risquais à faire. Et c’est dans ce mélange d’imprudence et d’impudence que je passais une nouvelle fois le pas de la porte du château, pas pour m’enfuir, cette fois, juste pour comprendre. Je ne planifiais rien, j’agissais selon ma conscience, ou en tous cas, quelque chose qui s’y assimilait. J’avais à peine pris le soin de dissimuler les grincements ou le claquement des portes dans mon dos, ni n’avais songé à me couvrir en dépit de la fraîcheur nocturne, tout prenait un intérêt moindre, seul résidait l’objectif. Les marches duveteuse d’une mousse confortable qui m’accueillaient à la sortie, jouaient parfaitement leurs rôles de leurre, et le cerveau un instant anesthésié de senteurs fleuries, j’en aurais presque pu oublier le paysage qui m’attendait, celui-là même qui m’accueillait à ma fenêtre chaque soir, chaque nuit que je passais dans ma chambre. Ces fleurs, cette végétation, ces contours idylliques, servaient-ils à cacher la misère, ou se plaisaient-ils à marquer un contraste plus violent avec la réalité quand celle-ci finissait par vous frapper douloureusement, comme une gifle en plein visage ? J’optai sans mal pour la seconde option, tant l’île semblait prendre un malin plaisir à me voir souffrir, rivalisant pour cela d’imagination. Et tant, également, le contraste en question était bien trop brutal pour ne pas avoir été voulu. C’était passer du blanc au noir, du clair à l’obscur, du trop-plein au néant. Quelques pas vers la gauche, puis tout droit, le temps de contourner la bâtisse, et voilà qu’il me tendait sa multitude de bras horizontaux, ce champ de croix.

Il m’accueillit par l’intermédiaire d’un vent glacé et sifflant, un murmure à l’oreille qui rappelait à tout mon être l’interdit de plus que j’étais en train de braver. Avais-je seulement le droit de me trouver ici ? De mémoire, jamais Emma ne me l’avait interdit… Mais j’avais toujours considéré ces lieux certes proches comme des sortes d’inaccessibles, parce qu’il ne pouvait y avoir aucune raison d’aucune sorte pour pousser une autre âme que Charron à errer entre les tombes. Emma n’avait pas eu besoin de m’interdire, parce que l’interdit s’imposait de lui même. Jusqu’à il y a peu, jamais je n’aurais pris une décision à ce point inconséquente, cela m’aurait semblé singulièrement absurde. Tout, absolument tout dans cette étendue sinistre, criait à l’impénétrable. Comme l’on effaçait des noms sur des cages, on extrayait le cimetière à son essence. Ce lieu de recueillement n’avait jamais, c’était une certitude, été construit pour que qui que ce soit puisse s’y recueillir. Tout était peur, ténèbres et inhospitalité. Et qui donc viendrait arroser les cadavres de larmes, quoi qu’il en soit ? Nous étions trois âmes seulement à errer librement sur l’île, et tout bien réfléchi, nous n’étions pas pour autant libres, ni ne pouvions être justement qualifiés d’âmes. Nous étions, c’est tout, avec une capacité de mouvement plus grande. Rien de plus, rien de moins.

Avec prudence, à l’aveuglette, je progressais donc dans ce labyrinthe morbide. Mon regard s’attardait sur chaque tombe, dans l’espoir de trouver la sienne. Qu’y ferais-je, une fois la tombe trouvée ? Je ne savais pas. Je m’excuserais, sans doute. J’offrirais à Marianne ce semblant d’égard humain qu’elle n’avait peut-être jamais connu. Pourquoi se poser la question, en définitive ? Dans l’obscurité, je distinguais à peine les noms gravés dans le bois, et je doutais même que certains soient gravés. Je ne la retrouverais jamais. Je me perdais dans cette gigantesque étendue chrono et nécrophage, et passaient les minutes… les heures, peut-être.

Finalement, exténuée, transie de froid, je m’affalais, m’asseyais sur le sol boueux, entre deux sépultures anonymes, enveloppai ma tête sous l’épais rideau blond et sale de mes cheveux et m’abandonnait à la déception. J’observai la tombe en face de moi, songeai à la multitude des corps étendus sous mes pieds. Ne devrais-je pas accorder une prière à chacun d’entre eux ? Ma vie n’y suffirait pas. Mille existences n’y suffiraient pas… Un constat. Auquel je ne changerais rien. Je pensais devoir m’habituer à ça. Jeter un œil derrière le rideau était une chose, mais cela n’ôtait rien, jamais, à votre statut d’observateur. Prendre conscience, c’est aussi prendre conscience de son impuissance. J’en avais la conviction, du moins. Marionnette impuissante, j’attendais encore qu’on me montre la voie.
Et le guide vint à moi, la lumière dans le noir. Au sens le plus strict du terme.

Elle était là, à quelques mètres seulement de moi. La lumière bleu, cet halo turquoise qui jusque là me toisait alors que je me trouvais à ma fenêtre. Juste là, presque à ma portée. Immobile, elle m’observait. La lumière m’observait, oui. L’œuvre de mon esprit ? Peut-être. À ce stade, j’étais prête à imaginer ne faire que rêver. Je rêvais ne faire que rêver. Trahie par la fatigue, trahie par l’angoisse, la douleur, ces sentiments autrefois ponctuels devenus immonde et irrévocable quotidien. Cela n’aurait pas eu grand-chose de surprenant, cela aurait tout pu justifier. Oh, comme j’aurais aimé ! Comme j’aurais préféré me bercer au moins de cette illusion-ci ! Car l’hallucination, si elle en était, n’allait pas moins m’obliger à éprouver le moment le plus intensément rude d’un périple intérieur qui ne faisait pourtant que commencer.

Elle n’avait pas d’yeux, pas de corps en soi, simple sphère vaporeuse, et pourtant, j’étais convaincue qu’elle me regardait, qu’elle me faisait signe et m’invitait, comme elle l’avait toujours fait. Avais-je tort ? Ma foi, si le bleu ne siégeait qu’en mon esprit, il ne pouvait que me donner raison. Je me levai, elle sembla s’agiter, je fis un pas, elle accéléra. Et finalement, il me fallut presque courir pour la rattraper et ne pas la perdre de vue. Elle m’entraîna entre les croix, elle me guida à l’extrémité du cimetière. Mes sens, captifs de l’instant, subissaient un affront plus sérieux encore que tous ceux auxquels je les avais exposé jusqu’alors. Plus j’avançais, plus il m’était difficile d’ignorer cette senteur putride, qui faisait glisser à ma gorge une envie, non, un besoin, que je me pressais de retenir, celui que mon cœur avait de manifester son dégoût une fois de plus. La sphère lumineuse s’était arrêtée au-dessus d’un étrange nuage compact, qui ne me semblait rien avoir de naturel. Arrivée à son niveau, je comprenais pourquoi. Le nuage bourdonnait, ses composants m’attaquaient, une volée palpable et uniforme de mouches venues se délecter d’un festin qui, cette fois, obligea tout mon organisme au plus violent des rejets.

Alors que je me remémore ces premiers instants d’horreur, je peine à signaler lequel fut le pire, quelle image devait engendrer le plus grand traumatisme, quel instant réduit à présent  au statut de pure anecdote avait pu le plus remuer tout mon être de l’intérieur. La façon abjecte dont Marianne avait mis fin à ses jours n’était certainement pas loin d’être le spectacle le pire, mais celui-ci devait me changer plus encore, et c’est au détail près que je parviendrais encore à décrire le contenu de cette fosse immonde. Ce n’était pas d’insignifiants morceaux de tissus que Charron transportait dans sa barque mais, cadavre après cadavre, il remplissait cette fosse dont je n’imaginais même pas la profondeur de ces corps que l’on ne prenait en fait plus la peine d’enterrer.

Marianne était de ceux-là, son regard vitreux fixait un ciel qu’elle n’atteindrait peut-être jamais, mais, alors que j’avais passé tant d’heure à supporter les dédales morbides de ce cimetière pour elle, voilà que j’en oubliais presque qu’elle se trouvait là. La lumière, facétieuse, enroulait le bras d’un enfant. Une peau diaphane tachetée de sang. Ce fut presque instinctivement que je dégageais sans presque aucun scrupule les corps au-dessus d’elle qui m’empêchaient de complètement la voir. Et alors, je la découvris. Alors je sus pour de bon.

Elle était à peine reconnaissable, le blond de ses cheveux bruni de sang et de terre, le bras quasi arraché, la chaire et les os à nus grouillant de vers blanchâtres, mais je savais que c’était elle. Elle était là depuis le début. Je la cherchais, tentais par tous les moyens de la trouver… J’avais atteint mon but en toute inconscience, et l’avais finalement rejointe. Elle avait bien entamé sa traversée de l’océan, mais elle n’en avait jamais atteint le bout. D’un geste tremblant, je glissai une main dans sa chevelure, ignorant ce qui grouillait sur et sous mes doigts.

J’avais enfin retrouvé Victoria.


Dernière édition par Nathaniel le Sam 25 Oct - 16:12, édité 1 fois
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeDim 4 Mai - 22:32

Bon je l'ai déjà dit mais j'adooore ce chapitre, j'adore cette histoire et je suis trooop triste T___T

Mais je suis de plus en plus fan Razz
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeMar 6 Mai - 21:11

Mouahaha j'adore tellement ce chapitre et cette fiction dans ses moindres détails Les ailes arrachés 4250895
La suite ! La suite ! La suiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiite !!!!  Les ailes arrachés 2567399638 
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeSam 25 Oct - 16:12


Chapitre IX : La visite

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“Les morts ne font de mal à personne; ce sont les vivants, les méchantes gens qui font du mal ”

-Hans Christian Andersen, Les compagnons de voyage..



Était-ce une honte, le bonheur ? Était-ce une honte de s’abstenir de sourire quand on en mourrait d’envie ? Devait-on nous blâmer de savourer une victoire parce qu’en face, il y avait eu des perdants ? La réponse était si évidente. Non, bien sûr que non. Elle ne portait pas son deuil. Elle savait bien qu’elle n’était pas morte. Elle lui manquait, oui, mais était-ce de sa faute ? Non. Depuis son départ, tout avait reprit sa juste place, celle que toute chose aurait dû avoir dès le commencement. Quel autre mérite avait-elle eu que de se retrouver au meilleur des endroits au meilleur des moments ? C’était elle qui avait prit tous les risques, c’était elle qui méritait cette place qu’on lui attribuait enfin. Elle ne pleurait pas sur son sort. Devait-on lui en vouloir ? Elle se réjouissait de son propre destin, et c’était bien assez.

Elle était parfaite, belle, magnifique dans cette robe vaporeuse aux contours de nuage, elle était comme l’autre aurait dû être. La grande leçon, après tout, n’était-ce pas ceci ? Tout le monde a droit à une fin heureuse. C’était son tour. Après tout ce temps. Après tous ces sacrifices. Il y avait une justice, et elle ornait son doigt à merveille.

Si le choix lui en avait été donné. Elle aurait préféré qu’elle ne vienne pas. Pas parce qu’elle ne voulait plus la revoir, non… Mais parce que ce moment ne serait plus le sien dès lors qu’elle serait là, et elle savait.



C’était comme redécouvrir la lumière après être resté trop longtemps dans le noir, le même sentiment d’aveuglement, la même puissance, la même violence… Je savais qu’il ne me restait plus que deux choix possibles : demeurer aveugle pour de bon… ou m’adapter à cette nouvelle perception. Que valait-il mieux, en définitive ? L’une et l’autre options m’apparaissaient comme ne pouvant qu’aboutir à une douleur plus sourde encore que celle que je n’éprouvais déjà que trop bien. Je ne pouvais pas ignorer, je ne voulais pas savoir, j’étais perdue pour de bon, et pour peu qu’il me vienne l’idée ou l’envie de taire l’évidence, mon esprit me propulsait aussi sec à l’orée des tombes, faisait glisser le sang de Victoria sur ma peau blanche, crisser la terre sous mes ongles, grouiller les parasites sous le lin de ma robe… et son œil vitreux accueillait une nouvelle fois mes larmes vaines, les recueillaient dans des orbites creusées par la mort. Non, c’était évident, j’avais trop vu pour ne plus voir, je ne pouvais y échapper.

Prise d’une sorte de frénésie morbide, voilà que je grattais la terre à côté de la fosse. Encore et encore, mes ongles s’enfonçaient dans le sol, dans un geste vif, tremblant, dicté par… mon inconscience, je crois bien, je cherchais à créer une fosse nouvelle, une sépulture à sa hauteur, mais c’était inutile, alors que je grattais la surface, le trou que je créais se remplissait à nouveau de lui-même. La nuit laissait place à l’aube, et j’étais encore là, délaissée par la fatigue.

Je ne cessai finalement qu’en toute brutalité, quand j’entendis le bruit caractéristique des vagues percutant la barque de Charron. Je me dissimulai alors derrière la croix la plus éloignée que je pus. De loin, je l’observais amarrer.
Il n’était pas seul.
Un homme l’accompagnait. Quand je reconnus celui qui mettait un premier pied sur l’île, mon cœur manqua un battement. Même de loin, je ne pouvais que le reconnaître. Sa silhouette singulière n’était comparable à aucune autre, cette démarche à la fois calme et digne, ce corps maigre mais imposant en même temps. Il était là.

Le roi Edgar, sur l’île.

Durant les minutes qu’il me fallut pour m’extraire enfin de ma cachette et considérer être pour de bon en sécurité, je reprenais conscience de ce que j’avais su ignorer. La fatigue, le froid, tout me rattrapait tout à coup. Et l’obscurité ternissait mes yeux avec violence, mon cœur battait trop vite, puis trop lentement, comme incontrôlable. La tête reposant contre le bois creusé d’une sépulture anonyme, je reprenais conscience de moi après avoir pris conscience du tout qui m’entourait. Dans son horreur la plus totale, dans son inhumanité la plus cruelle. Je devenais un être plus complet que je ne l’avais jamais été, et pourtant, il me semblait ne plus rien savoir de moi, ni d’autrui. Il y a pire chose que de ne rien savoir, c’est d’avoir cru savoir et de découvrir l’étendue de son erreur. La mienne était si grande qu’il me semblait impossible de la racheter. L’assumer était déjà un exploit conséquent.

Quand je fus assurée autant que je le pus qu’Edgar ne me surprendrait pas, je retournais à pas lent en direction de ma chambre. Il était là, un autre humain, une autre âme, cette âme que j’avais admirée avant de réaliser la connaître à peine, et j’étais en proie à l’hésitation. Faire les cent pas dans ma chambre comme c’était le cas à présent, et attendre les conséquences ou l’absence de conséquences de son intervention, de sa visite ? Ou aller à sa rencontre ? Sauf qu’il n’y avait rien de pire dans l’attente que de ne pas savoir ce que l’on attendait. L’appréhension, la douleur, l’horreur, la fatigue, le tout combiné décidèrent à ma place de ce qu’il convenait pour moi de faire. Je ne me vis même pas m’effondrer au sol la joue aplatie contre la pierre.

Les premiers rayons du soleil caressèrent mes paupières, et je les ouvris avec une terrible difficulté. Le ciel était gris et ces rayons ternis par l’ombre, mais ils me réveillèrent avec plus d’aisance que si un bain de lumière intense m’avait noyé d’un seul coup. Je me levais avec cette brusquerie, presque honteuse de m’être abandonnée, même pour quelques heures, à la fatigue. Je n’eus guère à me demander où j’étais, je n’eus pas à me demander qui j’étais, je ne souffris pas de ce sentiment plaisant de confusion qui accompagne les lendemains d’horreur, souvent. Je me rappelais les tombes, Victoria, Edgar, avec une précision et une certitude confondantes. Sans me soucier de ma tenue, des marques de terre et de l’odeur de mort sur mes habits, je quittais précipitamment ma chambre et tambourinait à la porte de celle d’Emma. De toute évidence, je la réveillai… Je n’avais pas la moindre notion du temps, je devinais qu’il était tôt, rien de plus. Ce fut un regard immédiatement soucieux qui se posa sur moi. L’état lamentable de mes frusques n’y aidait pas, je suppose.

– Edgar était là hier soir, n’est-ce pas ? avais-je demandé un peu brusquement.
Elle m’observa quelques secondes sans mot dire avant de daigner me répondre, d’abord par un signe de la tête, puis verbalement.
– Oui…
Une réponse prudente et lacunaire. Bien sûr.
– Éléonore, que s’est-il passé ?
Je ne répondis pas et chassai sa question d’un geste de la main. La vision du cimetière, du cadavre éclairé de bleu, hantait chaque instant d’obscurité, et le moindre clignement d’œil. Je ne pouvais en parler à personne. Je n’avais plus confiance en quiconque.
– Qu’est-ce qu’il a dit ? Pourquoi est-ce qu’il est venu ?
Emma sembla hésiter une nouvelle fois.
– Le roi vient régulièrement sur l’île, il s’enquière de l’état des gardiens et des malades et… il me tient au courant des nouvelles de Féerie.
Je lui adressai un regard surpris. Ces derniers temps, le roi baissait tant et si bien dans mon estime que je peinais à l’imaginer perdre du temps à faire ces sortes d’allers-retours.
– Est-ce qu’il vous arrive de quitter cette île ? demandai-je alors à Emma, que je découvrais tout à coup comme la plus grande prisonnière de tous.
Elle fit « non » de la tête.
– Est-ce que je quitterai l’île un jour ? demandai-je, cette fois plus fébrile.
Elle laissa s’écouler des secondes de silence parmi les plus longues que l’on puisse vivre.
– Justement, oui.
Elle parlait avec immensément de précaution, comme si elle craignait que le moindre des mots qu’elle prononçait puisse avoir d’irréparables conséquences. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine, je n’y croyais pas, je ne pouvais y croire. Et pourtant…
– Edgar m’a apprit qu’Éléonore Odien allait finalement épouser son fils…
Je demeurais interdite. Je ne comprenais plus rien. Avait-il décidé du bon déroulement de la cérémonie sans moi ? …Étais-je pardonnée ? Ma faute expiée, considérait-il que je pouvais toujours prétendre à la main de Gabriel, finalement ? Quelque chose n’allait pas.
– …Il m’a également laissé comprendre que l’absence de sa sœur durant la cérémonie pourrait éveiller des soupçons.

Ce fut comme un cri dans mon crâne, alors que ces propos énigmatiques trouvaient une interprétation bien trop juste au creux de mon cerveau, Un coup supplémentaire à l’intérieur de ma tête, où grandissait une information conséquente, et qui allait tout changer.

Anna allait épouser Gabriel.


Anna allait épouser Gabriel.
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeSam 25 Oct - 17:00

Pour le mariage bien mérité d'Anna, hip hip hip ?! Very Happy
HOURRAAAAAAAAAAAAAA Cool Cool Cool Cool
Enfin la ptite commence à percuter Razz
J'adore ce nouveau chapitre Les ailes arrachés 4250895
( Non tu ne t'en doutais pas, ok ? )
Tu n'as rien perdu de ton talent Les ailes arrachés 4053995703
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeSam 25 Oct - 20:56

J'aiiiiiime Les ailes arrachés 4250895 Les ailes arrachés 4250895
Les ailes arrachés 4053995703 Les ailes arrachés 1173670735 Les ailes arrachés 2215737786 Les ailes arrachés 2567399638 Les ailes arrachés 4202335868 Les ailes arrachés 3279618530

Annaaaaaa Les ailes arrachés 2610868091
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeDim 14 Déc - 14:04


Chapitre X : De l'autre côté du miroir

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“Rien au monde, après l'espérance, n'est plus trompeur que l'apparence”

-Charles Perrault, Griselidis.


Les jours qui suivirent les révélations d’Emma furent parmi les plus longs de mon existence. Partagée entre impatience, appréhension et scrupules, je cueillais les minutes avec une précaution telle qu’elles semblaient s’étendre et s’appesantir. Dans quelques jours, je serais à Féerie, dans quelques jours, je serais chez moi. Je retrouverais mes parents, je retrouverais Anna… Ce que je désirais depuis le premier instant où mes pieds s’étaient posés sur l’île des soupirs. Et pourtant, je n’arrivais pas à me réjouir complètement de cet étrange revers de fortune. Emma n’avait pas su me le dire, ou ne l’avait pas voulu. J’ignorais si quitter l’île signifierait que je n’y retournerais jamais. Elle ne devait pas le savoir elle-même, en fait, elle subissait, au même titre que moi, les exigences et les caprices d’Edgar. À aucun moment et en aucun cas elle n’avait son mot à dire à ce sujet, ni son mot à savoir non plus. J’attendais donc, jour après jour. Je songeais à cette île qui, je le pensais, ne me manquerait pas. Puis je songeais à ses prisonniers. Si je partais, saurais-je oublier Daphnée et tous les autres ? Si je partais, saurais-je oublier Nathaniel ? Non, ne serait-ce que me poser la question était faire preuve d’une naïveté dont je ne peux malheureusement pas me défendre. Jamais je ne pourrais ou saurais les oublier, chaque détail, chaque sensation avait laissé cette emprunte indélébile dans ma mémoire qui encore maintenant me permet de faire mon propre récit dans presque tous ses détails. Je ne pourrais pas les oublier… Mais j’éprouvais une malsaine satisfaction à l’idée de les abandonner à leur sort pour me soustraire enfin à une condition dont je ne voulais pas. Pourtant, il était évident que je reviendrais. La vérité que je détenais n’était pas à laisser entendre par toutes les oreilles, j’étais comme ces prisonniers sans illusions, je devais finir parmi eux… Sauf qu’il me restait encore alors l’illusion fugace que je pourrais m’en sortir, et m’enfuir, une illusion qu’Emma m’aida encore à entretenir quand, à la veille de mon départ, elle vint m’apporter ma robe de parfaite demoiselle d’honneur. C’est vrai, à la clé, il y avait un mariage. Mon attention se focalisait bien plus, à vrai dire, sur mes perspectives d’évasion que sur l’union de ma sœur avec le prince de Féerie, en mon nom qui plus est. Une supercherie de plus. Un beau mensonge auquel tout le monde s’appliquerait à précautionneusement croire.

– C’est que tu ne me dis pas adieu, alors.

C’étaient les derniers et seuls mots que m’avait adressés Nathaniel… alors que je disais au revoir. Et ils me poursuivirent jusqu’à mon départ, au-delà de mon départ, à vrai dire. Rien d’autre, juste cette phrase prononcé d’un ton sibyllin, mais à l’effet dévastateur, parce qu’en moi naissait l’envie étrange de ne pas m’en aller, en même temps que tout mon être désirait me voir partir vers ces eaux d’aspect amical, vers ces terres propices, où le malheur faisait mine de ne pas exister. À l’aube du grand jour, je rejoignis, vêtue de ma tenue d’apparat, la barque du taciturne Charron, il m’attendait, les bras croisé, l’œil luisant d’indifférence. À côté de lui, Emma adoptait une posture quasiment identique. Ni l’un ni l’autre ne s’adressaient la parole, paraissant seulement attendre mon arrivée. Ce ne fut qu’une fois parvenue à leur niveau que la voix d’Emma se mêla au chaos des vagues qui heurtaient mon embarcation prochaine.

-Je voudrais que tu prennes ceci. Elle me tendit une enveloppe cachetée, que j’eus le réflexe de vouloir ouvrir immédiatement, avant qu’elle ne me retienne d’un geste. Ne la lis pas maintenant. Son ton avait cette autorité naturelle qu’on lui retrouvait souvent, et qui pouvait à jamais vous dissuader de désobéir au moindre de ses ordres, plus par crainte de la décevoir que par celle d’être réprimandé. Ne l’ouvre que si la situation te semble urgente.

Je m’exécutai, un peu à contrecœur, et renonçai à décacheter la fameuse enveloppe. Non sans, cependant, la soupeser au préalable. Elle me semblait plus lourde que n’aurait dû l’être un simple courrier. Quand je le pliai pour le mettre dans ma poche, il me sembla qu’il m’opposait une légère résistance, mais je choisis de ne plus y prendre garde. Il était temps de partir. Les traits de Charron ne dissimulaient pas une certaine impatience et, pour ma part, j’admettais avoir hâte également. J’adressai un dernier sourire à Emma. Je n’avais pas davantage envie de la laisser. Ma vie sur cette île était certes un cauchemar, mais même les pires d’entre eux savent s’accompagner d’images douces, rassurantes, ou encore étrangement séduisantes… Qu’importe, je ne voulais pas rester. Et quand bien même l’aurais-je voulu, le choix ne m’en aurait pas été donné. J’embarquais une nouvelle fois, m’élançais dans l’océan. Et l’Enfer, progressivement, devenait une forme minuscule à l’horizon. L’autre Enfer, lui, se rapprochait, et ses contours ne m’avaient jamais paru si menaçants.

Tout me semblait soudainement étranger. Je me sentais terriblement agressée par tout ce qui m’entourait, toutes ces couleurs, ces parfums sucrés, aromatiques, fleuris, cette chaleur… Mes sens se réhabituaient à tout ce qui leur avait été autrefois habituel et plaisant, et au lieu de savourer la douceur qu’aurait dû provoquer en moi toutes ces sensations retrouvées, elles me tournaient la tête, me donneraient presque la nausée. Je me sentais au bord du malaise, alors que j’attendais dans cette grande salle de réception, entièrement vide pour l’heure. Pour oublier mon état, je tentais de me concentrer sur tout ce qui se trouvait autour de moi, à commencer par la tapisserie chargée de motifs de couleur vive, dont le moindre détail accaparait ma concentration. Je m’étais faite aux murs de pierre, aux décors épurés, cette surcharge d’information semblait vouloir mener mon cerveau à l’éclatement. Tout ceci n’avait jamais été complètement familier, mais c’était dorénavant à mille lieues de ce que je semblais capable de tolérer. Je prenais de nombreuses et grandes inspirations. Tentant de rassembler mes esprits et de retrouver mon calme, j’attendais sans savoir quoi. On m’avait déposée là sans rien m’expliquer. Je n’avais croisé personne. Je me sentais comme ceux en cage, mais une cage grandeur nature, aux décors affolants. Piégée. Puis la porte s’ouvrit, assez brusquement, et une masse me serra contre elle avec fermeté. Je n’eus le temps de comprendre ce qui se passait que lorsque notre étreinte se desserra.

– Papa !

C’était bel et bien lui. J’avais peine à y croire. Je savais que j’allais retrouver ma famille, j’avais hâte que cela arrive, vraiment hâte, mais je peinais encore à croire que ce moment était réel. Pendant plusieurs secondes, il ne dit rien, il se contenta de me dévisager du regard.
– Tu es méconnaissable… remarqua-t-il doucement.
Je ne pouvais que le croire sur parole. Je n’avais plus vu mon reflet dans un miroir depuis une éternité, je n’avais pu constater combien, déjà mince pourtant, j’étais amaigrie, au point d’en être devenue squelettique, combien ma peau avait pâli, je n’étais plus que l’ombre de moi-même. L’ombre d’une ombre.
– J’ai eu peur de ne plus te revoir. fis-je en me serrant à nouveau dans ses bras. Il caressa doucement mes cheveux.
– Moi aussi…
– Tu savais où j’étais ? Est-ce que tu sais…
Je n’eus pas le temps de finir ma phrase, la porte s’ouvrit une nouvelle fois, et ce fut comme un vent froid jeté dans l’espace. Automatiquement, je m’inclinais.
– Ça n’a pas d’importance, résonna la voix d’Edgar, déclenchant un frisson dans mon échine. Je tournai mon regard dans sa direction, il était accompagné d’Anthony, qui ne prononçait pas le moindre mot, se contentant de fixer le sol. Le roi s’avança jusqu’à moi, jusqu’à pouvoir parfaitement me toiser, m’adressant un regard que je peinais à soutenir.  Ce moment est un moment de joie. Tu ne voudrais pas venir le gâcher, n’est-ce pas… Anna ?
J’aurais sûrement dû protester ou m’offusquer, à la place, je tournais le regard vers mon père, mais son visage était indéchiffrable. Alors je me contentais d’acquiescer.
– Votre père a raison, ajouta Edgar tout en m’adressant un regard qui glaça chaque parcelle de ma peau. Votre mine laisse à désirer. La cérémonie commence dans quelques heures, il est encore temps d’arranger ça.
Dans quelques heures…
– Est-ce que je pourrais voir maman et Ann… Éléonore.. avant ?
Edgar ne prit pas la peine de me répondre, il adressa un signe de tête à Anthony, Anthony qui, à son tour, me fit signe de le suivre. Du regard, je suppliais mon père de me retenir, il n’en fit rien.

Alors je suivis Anthony.
Pendant plusieurs secondes d’un silence pesant, l’on n’entendit plus que le bruit de nos pas. Jusqu’à ce que je finisse par rompre le silence.
– Est-ce que ma famille sait où il m’a emmenée ?
Il attendit plusieurs longues secondes avant de me répondre d’un hochement de tête. Puis…
– Je suis désolé, Éléonore…
Quel soulagement de l’entendre prononcer mon nom ! Il se tourna vers moi et, pour la première fois, me regarda droit dans les yeux. Tout à coup, il me sembla plus grand.
– J’ai commis une erreur. Je ne recommencerai pas.

Et il ne prononça rien de plus à mon adresse que ces paroles énigmatiques.


Dernière édition par Nathaniel le Ven 16 Jan - 22:38, édité 1 fois
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Gorav Kannha
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Mais Edgar quel méchant voyous !!!!
Je veux la suiiiiite sinon je vais dépériiiir !!! Les ailes arrachés 2314381072
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Gwendall Odien
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Chapitre XI : La maison de pain d'épice

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« Attends encore un peu, jusqu'à ce que la lune soit levée. Alors, nous retrouverons notre chemin. »

-Les frères Grimm, Hansel et Gretel.


J’avais oublié ce que manger à sa faim pouvait signifier, et quelles incomparables sensations accompagnaient l’ingestion des mets les plus délicats. Ce soir-là, je ne mangeais pas, je me bâfrais, et j’eus bien conscience que mon attitude peu protocolaire ainsi que la manière dont je m’étais ruée sur mon assiette pour en faire disparaître le contenu en quelques bouchées seulement n’avait rien de bienséante. Cela m’était égal. Je pouvais sans mal oublier les regards courroucés jetés à la dérobée sur moi tant que l’appétit se rappelait à mon bon souvenir, l’appétit et ces saveurs incroyables, délicates, variées, qui étaient à mon palais comme une révélation gustative. C’était à peu près tout ce que je savais apprécier de la situation. Ils étaient là, pourtant, ceux dont j’avais craint que les visages ne deviennent qu’un lointain souvenir. Mes parents, ma sœur… mais tous semblaient fuir mon regard. Enfin presque. De temps à autres, celui de mon père se posait sur moi, je crois bien, et j’y lisais comme un regret qu’il ne me laissait jamais le temps de définir strictement comme tel. Ma mère, par contre, ne semblait avoir d’yeux que pour sa fille prodigue. Quant à Anna, ma copie identique et qui pourtant n’avait jamais semblé plus différente de moi, je me souviens de m’être demandée à plus d’une reprise si elle avait véritablement remarqué ma présence. Sa main posée sur celle de son nouvel époux (qui lui, par contre, me caressait de regards qui m’invitaient plus que jamais à me concentrer sur mon assiette), elle affichait le sourire rayonnant de la jeune mariée, de la paysanne sortie de sa fange et devenue princesse par un miracle dont j’avais été malgré moi l’actrice. Jamais je ne m’étais sentie si peu à ma place qu’à cet instant. J’avais l’impression d’être happée par cette tablée gigantesque. Plus rien ne semblait avoir de sens, plus rien ne semblait vrai. Comme si, tous autant qu’ils étaient, ils n’étaient plus que des automates joliment déguisés. Les festivités devenues mascarades, les conversations, les rires, les ragots, autant de plaintes à mes oreilles qui me faisaient presque regretter le silence infini de mes nuits passées sur l’île, et ses habitants certes taciturnes et laids, mais vrais, plus vrais que ces faux-êtres qui me faisaient découvrir l’ampleur d’un mot dont j’usais jusqu’alors très légèrement sans jamais trop le comprendre : hypocrisie. Comment pouvait-on rire quand, quelque part au milieu de l’océan, on pleurait, souffrait, mourait, comment pouvait-on être aveugle à la noirceur ? Je ne leur appartenais plus. J’ignore combien de temps j’avais passé sur l’île, mais ce temps avait suffi à taire à jamais mes belles certitudes. Je n’avais jamais su sourire, je le regrettais autrefois, voilà à présent que je me serais haïe de voir mes lèvres ne serait-ce qu’en amorcer l’esquisse, comme un affront fait à ce que l’on ne montre pas, ce qu’il savait et qu’il nous cachait, lui, notre si grand roi, qui trônait à la place d’honneur sur cette table à la blancheur mesquine, qui de son soleil admirait ses sujets avec une suffisance qui m’angoissait toujours mais que je ne respectais plus. Je ne comprenais rien de ce qu’ils se disaient, je ne cherchais pas à comprendre. Cette cérémonie et les commentaires qui en étaient faits n’étaient jamais qu’une illusion de plus, après tout. Les paroles les plus anodines prenaient un goût de fiel, et tout à coup, je comprenais qu’Edgar m’avait sans doute bien mieux usée et détruite en m’envoyant sur l’île qu’en me faisant subir le sort qu’avait vraisemblablement connu Victoria… Victoria… Rire, se gausser, festoyer était danser à même son cadavre grouillant de parasites, comment pouvaient-ils le supporter ? En ne sachant pas, j’imagine, comme moi-même je savais à présent. Et puisque j’étais devenue l’intruse, de celles que l’on enferme dans ces cellules que j’avais eu pour ordre de garder, je ne pouvais donner cher de ma peau. J’entrevoyais dans mon retour à Féerie comme un test, une mise à l’épreuve, et j’échouais lamentablement mais volontairement.

Alors que les premiers convives abandonnaient leur place, je ne quittais pas la mienne, j’ignorais où il convenait que j’aille quoi qu’il en soit. On m’avait jeté à cet endroit précis, et j’en entrevoyais à peine la raison et le sens. Consciente de mon échec, j’appréhendais le pire mais demeurais sereine. Au mieux, pensais-je, me renverrait-on sur l’île, au pire… me retrouverait-on peut-être un jour dans cette même fosse où j’avais moi-même trouvé ma sœur… La perspective de la rejoindre m’inquiétait finalement bien moins que ce que j’aurais cru… Assise, les main posées sur mes genoux, détaillant du regard ma robe de demoiselle d’honneur, mon costume sur mesure, j’attendais donc, alors qu’ils se levaient un à un. À la fin, il ne resta plus qu’Edgar, sa femme, Gabriel, Anna et moi. J’aurais peut-être dû partir avant, qui sait ? Mais où serais-je allée ? Les parents avaient pris congé sans même m’adresser un mot… alors…

– Anna.

Je ne répondis pas. L’espace d’un instant, j’avais oublié mon rôle. Ou plutôt, je ne l’avais jamais vraiment joué. Je m’étais contentée d’exister, et c’était déjà trop, je n’avais rien dit, je n’avais rien fait, la misère de mes traits parlait en ma défaveur, mais quand Éléonore était supposément une princesse, sa sœur Anna n’en demeurait pas moins rien d’autre qu’une pauvre et inutile paysanne. Qu’importe alors que sa peau transparente révèle la maigreur de ses os. Personne ne se souciait d’elle. À part Edgar, qui sait… puisque c’était sa voix qui venait juste de s’élever à mon adresse, bien que, tout en l’ayant reconnue, je n’ai pas voulu tout de suite comprendre que ces mots aient pu être pour moi. Il fallut qu’il répète mon nom d’emprunt une nouvelle fois pour que je lève cette fois la tête, et que mes yeux découvrent le regard gris et terrifiant du maître à penser de toute une terre. Je ne répondis pas, malgré tout, je m’efforçai de soutenir son regard, bien qu’avoir ses yeux dans mon champ de vision me donne presque aussitôt envie de baisser les miens.

– Anthony va t’accompagner jusqu’à ta chambre.

Je suivis instinctivement le regard du roi. Son serviteur était effectivement là, près de la porte. Je ne l’avais pas remarqué et me demandai alors pourquoi, tant il semblait n’avoir de cesse que de me fixer. De nouveau, il me semblait différent, plus grand, comme s’il lui suffisait de lever la tête pour devenir entièrement autre. Ou peut-être était-ce seulement moi qui était désormais différente. Je ne savais plus observer aucun de ces gens ainsi qu’ils m’apparaissaient autrefois, pas même les personnes qui m’avaient pourtant toujours été les plus proches, et que je pensais connaître par cœur. De nouveau, je ne dis rien. Était-ce vrai ? Allais-je avoir une chambre, une vraie ? Ne me renvoyait-on pas sur l’île ? Ou était-ce un traquenard, un de plus ? Dans tous les cas, je ne faisais finalement jamais que m’exécuter. Acquiesçant d’un signe de la tête, j’abandonnais ma place et prenais congé, toujours sans un mot ni à l’adresse du roi, ni à celle des nouveaux mariés. Cette fois, j’en étais certaine, Anna m’observait, mais c’était mon regard à présent qui se refusait au sien.


– De quelle erreur parliez-vous ?

Anthony venait de me conduire dans ce qui vraisemblablement n’était pas les geôles tant attendues mais bel et bien un endroit où il était convenue que je me repose. Un lit, une commode et rien d’autre, mais cette pièce n’en était pas moins la plus somptueuse dans laquelle il m’avait été accordé de passer une nuit depuis bien longtemps. Bien plus confortable, c’est certain, que la chambre qui m’avait accueillie lorsque j’étais encore gardienne, moi qui ne savait plus trop ce que j’étais supposée être à présent. Je venais de m’asseoir sur ce lit dont je craignait toujours que l’on m’extirpe, et cette question avait dépassé le seuil de mes lèvres au moment où le serviteur du roi s’apprêtait à m’abandonner à une solitude à laquelle je ne me sentais tout à coup pas prête, alors même que je n’avais attendue qu’elle tout le temps qu’avait duré ce dîner qui m’avait semblé interminable.

– Excusez-moi ? Me demanda Anthony, qui semblait prêt à se raviser une nouvelle fois, mais je n’avais pas l’intention de le laisser faire, loin de là.
– Vous vous êtes excusé, vous m’avez dit avoir commis une erreur, je veux savoir laquelle.
Je m’attendais à ce qu’il m’embrouille de quelques prétextes oubliables avant de prendre congé, mais il ne bougea pas, il me regarda juste, et il me semblait lire dans son esprit le complexe cheminement de pensée qui l’avait mené jusqu’à ces mots, j’en discernerais l’ampleur plus tard.
– Vous ne méritez pas ce qui vous est arrivé, Éléonore… Il marqua une légère pause. Je ne peux pas me permettre de vous en dire plus, pas maintenant.
Je comprenais qu’il était sincère, mais j’avais besoin d’en savoir plus malgré tout.
– Est-ce que ma famille était au courant de l’endroit où l’on m’a emmenée ? Est-ce qu’elle sait ce qui est arrivé à Victoria ?
Je prononçai ces mots avec rapidité, comme pour ne laisser aucune question m’échapper. Mais alors que je le sentais sur le point de m’inventer une réponse, son attitude changea complètement.
– Que savez-vous concernant Victoria ? Me demanda-t-il un peu abruptement.
Je croisais les bras, j’aurais presque pu tirer un léger sentiment d’orgueil de cette situation si l’objet de ma victoire, et qui en portait presque le nom, n’était pas devenu pour moi synonyme de tragédie.
– Elle est morte. prononçai-je dans un constat tout à coup si réel au beau milieu de tout cet artifice que je ressentis alors la subreptice envie de vomir tripes et boyaux.
Anthony me semblait extrêmement nerveux, il jouait avec ses doigts comme s’il tentait de les arracher à ses mains.
– Je ne peux rien vous dire pour l’instant, pas ici. Pas maintenant…
Je ne cherchais même pas à lui reprocher sa réserve et poussai un soupir tout en balayant l’espace du regard. Les murs avaient des oreilles, je ne pouvais guère en douter, et le simple fait de m’adresser la parole avait l’air d’être pour Anthony le résultat d’un contre-ordre qu’on lui ferait payer chèrement s’il en disait trop, alors je ne comptais pas insister. J’ignorais encore ce que je pensais très exactement d’Anthony, mais ce n’était plus tant la pitié qui animait mon cœur à son égard qu’une sincère sympathie. Parmi tous ces visages retrouvés, dont beaucoup étaient de mes proches, pourtant, il était le seul à savoir m’inspirer une véritable confiance, et cela devenait bien trop rare pour être négligé.
– Je crois que Nathaniel avait raison… soupirai-je pour moi-même tout en considérant dans quelle situation je me trouvais à présent. Je ne savais plus quelle prison était la pire, dorénavant, et Anthony, qui me paraissait être le seul à pouvoir m’accorder un sincère espace de liberté s’y voyait restreint par les barreaux invisibles de sa propre cage. Promettez-moi que vous ne me le cacherez pas toujours.
Je fixai à nouveau le serviteur du roi et constatai alors que son teint était devenu d’une pâleur de fantôme. Il semblait regarder comme une ombre qui se tiendrait derrière moi, et cette ombre avait l’air de le terrifier. Pour autant, il hocha la tête.
– Vous n’aurez pas à attendre très longtemps. affirma-t-il alors avant de se dérober à mon regard à une vitesse folle. J’avais le sentiment qu’il avait aperçu quelque chose, une chose qui à moi avait échappé. Et faute de savoir l’identité de l’ombre, je crus la sentir s’allonger tout à côté de moi, alors que je m’enveloppais dans ces draps soyeux et confortables qui me garantirent la douceur, certes, mais pas le sommeil.

Combien d’heures étais-je restée là, à observer le plafond sans parvenir à m’endormir, comme dans l’attente, l’attente d’être capturée et emmenée loin d’ici, puisque c’était ce qui devait être fait, puisqu’ici n’était pas ma place ? Je ne saurais le dire… Toujours est-il que, quand on toqua avec force à la porte de ma chambre, c’est presque trop docilement que je vins l’ouvrir, comme satisfaite que l’on mette fin à mon attente de future suppliciée.
De l’autre côté de la porte, cependant, ce n’était pas Edgar, qui m’attendait, mais Anna, les traits tendus par ce que j’assimilais à de la panique.

– Élé, il faut que tu t’en ailles. Tout de suite !
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Eleonore Odien
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeDim 29 Mar - 15:38

Niuuuu la suiiiiite !!!!
Je suis tellement fan comme toujours !! Les ailes arrachés 4053995703 Les ailes arrachés 2567399638 Les ailes arrachés 2314381072
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Nathaniel
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeDim 3 Mai - 13:48

Merciiii ma déesse !!  Les ailes arrachés 2567399638  Les ailes arrachés 2567399638  Les ailes arrachés 2567399638


Chapitre XII : Chez Barbe Bleue

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« Ouvrez tout, allez partout, mais pour ce petit cabinet, je vous défends d'y entrer, et je vous le défends de telle sorte, que s'il vous arrive de l'ouvrir il n'y a rien que vous ne deviez attendre de ma colère. »

-Charles Perrault, La Barbe Bleue.




– Anna, qu’est-ce qui se passe ?
J’entrevoyais mille raisons qui justifiaient que je m’en aille. J’étais sous le joug d’un roi cruel qui devait d’un instant à l’autre chercher à me conduire aux geôles dont il m’avait un court instant tirée. Je sentais ma vie suspendue comme à un fil d’une redoutable fragilité… Mais qu’est-ce qu’Anna pouvait bien en savoir ? Rien, elle n’était au courant de rien, ou du moins, je voulais la croire ignorante, car en dépit de cette absence totale de regard à mon adresse au cours du dîner de ses noces, je voulais croire que ma sœur, ma jumelle, ne pouvait pas être l’un des rouages d’une machinerie dont la complexité finissait par terriblement m’angoisser. Mon regard se plantait dans le sien, j’essayais d’y lire un indice, je n’y voyais que de la crainte.
– J’ai pas le temps de t’expliquer, contente-toi de faire ce que je te dis… s’il te plaît.
Les explications à rebours, je commençais à en avoir mon content, et je m’agaçais de plus en plus sérieusement de cette situation, alors qu’on me délivrait tout et ne me précisait rien. D’abord Anthony, à présent elle. Et même Nathaniel, avec sa tendance désagréable à toujours parler par énigmes… J’en avais assez de ces directives sans intentions, et au prix de l’ignorance dont Anna m’avait rendue victime, je crois bien que je méritais de comprendre, cette fois.
– Tu ne m’adresses pas un seul mot tout à l’heure, à présent, tu veux que je m’en aille… si tu cherches à te débarrasser de moi, tu perds ton temps.
Non, je ne m’imaginais pas vraiment, à la vérité, que c’était là ses intentions, même si je n’arrivais pas pour autant à les comprendre. Nous étions nées ensemble, nous avions grandi ensemble. Je pensais la connaître plus que bien d’autres, et parfois plus qu’elle-même, qui se plaisait bien souvent à se donner les apparences de ce qu’elle n’était pas, et à vouloir croire que c’était elle malgré tout, se le martelant si souvent et si fort à un crâne meurtri par une rancœur que je ne savais encore m’expliquer entièrement qu’elle finissait par s’en convaincre. La panique gravée dans chacun de ses traits n’était pas feinte. Elle était véritablement inquiète.
– Élé, on a pas le temps de discuter, il faut que tu partes, il faut qu’il croie que tu t’es enfuie. Elle laissa planer autour de nous un silence angoissant. Si tu ne le fais pas, il te tuera.
J’étais malheureusement bien placée pour savoir qu’il en était tout à fait capable. J’avais tant de questions à l’esprit, la plus oppressante de toutes étant : que savait-elle ? Que savait-elle pour être à ce point convaincue que j’y passerais à mon tour si je daignais respirer un instant de plus l’air de cette chambre ? Mais le temps nous manquait, je lisais comme un sablier dans les yeux de ma sœur, dont les grains s’évaporaient à une vitesse folle.
– Où veux-tu que j’aille ? Il me trouvera si je m’enfuis.
Comme il m’avait trouvée la première fois que j’avais voulu m’échapper de ce même château. Si Anna avait pu rejoindre ma chambre, peut-être n’y avait-il pas de garde à chaque porte pour m’empêcher de m’évader, même si je concevais mal qu’Edgar n’ait pas envisagé le minimum, alors qu’il était évident que je ne pouvais plus que me méfier de lui… quoique la question demeurait entière. Et si je partais, où irais-je ? Je doutais fortement que mes parents daignent m’héberger à l’insu du roi sans me livrer à lui l’instant suivant. Je ne savais plus quoi penser, je ne savais plus en qui croire. J’étais désorientée. Je crois bien que si j’avais pris cette décision que je ne comptais pas envisager au départ, j’aurais eu pour réflexe étrange de vouloir retourner sur l’île. Comme on ressent le besoin irrépressible de revenir au lieu de ses origines. L’île et sa prison m’avaient mis au monde. L’accouchement avait été douloureux, mais à présent, c’était là tout ce qu’il semblait me rester.
– Prends tes affaires et suis-moi. Son ton me semblait à la fois autoritaire… et pourtant quelque part suppliant.
Je m’exécutai. À ce stade, qu’avais-je encore d’options, quoi qu’il en soit ? Rassembler mes affaires était une tâche aisée. Je n’en avais pas. Rien d’autre que mon costume de demoiselle d’honneur, que je portais toujours sur moi, et c’était tout. J’adressai à Anna un regard entendu, pour lui signaler que j’étais fin prête à la suivre, même si je ne savais exactement où.

C’était comme si elle avait toujours vécu dans ce château, elle traversait couloirs, portes dérobées, escaliers, à une vitesse folle, et je me laissais guider sans la moindre idée de l’endroit où elle m’entraînait. Elle parvint, ce qui me sembla par bien des aspects miraculeux, à ne nous faire croiser personne, tandis que nous nous enfoncions de plus en plus profondément dans les ténèbres du domaine d’Edgar, qui me semblait tout à coup plus profond que l’enfer lui-même. Était-ce là qu’elle me guidait ? En enfer ? J’en revenais, pourtant. Elle s’arrêta enfin, face à une porte en bois poussiéreuse, qui nous agressa d’un grincement profondément déplaisant quand Anna l’ouvrit. Cette pièce était sombre, glauque, déplaisante, elle n’avait pas grand-chose que les cages de mes anciens « pensionnaires » puissent avoir à envier, elle était tout aussi sombre. Pas de fenêtre en vue, et épurée, murs de pierre et plusieurs étagères. Elle avait le mérite d’être plus spacieuse, c’est à peu près tout.
– C’est l’ancienne réserve des cuisines. m’expliqua Anna. Plus personne ne vient ici… le roi encore moins.
– Et qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Me tapir là et attendre ?
Anna hocha doucement la tête.
– Juste le temps qu’Edgar te cherche ailleurs qu’ici. Elle marqua une pause. Je viendrai te voir tous les jours, je t’apporterai à boire, à manger… S’il te plaît, ne quitte pas cet endroit.
Je n’étais pas convaincue par les propos d’Anna, ni par ses intentions… Si Edgar fouillait le château de fond en comble, ne commencerait-il pas par les endroits de ce genre dans l’espoir de m’y trouver ? Voulais-je d’Anna pour gardienne de ma nouvelle cage… sans verrou, mais dont l’espace de liberté était tout aussi restreint ? Je n’en savais rien. Mais je voulais lui laisser sa chance, et à moi, me laisser le temps de comprendre. Je ne voyais pas là de solutions, je voyais un répit… et renonçais à savoir ce que ma sœur y voyait, elle. Je me contentais d’écouter et d’opiner du chef.
– D’accord…
Et là, sans signe avant-coureur, alors que j’avais désespéré d’obtenir de sa part le moindre geste d’affection, elle me prit dans ses bras. Ma main qui caressait maladroitement son dos sentait frissonner chaque millimètre carré de son corps. Elle tremblait. Jamais, à aucun moment, je n’avais vu Anna dans cet état, mais je crois bien que je comprenais. On défie difficilement le roi sans en payer les conséquences. Peut-être avait-elle autant peur pour elle, si ce n’est plus que pour moi.
– Désolée…

J’étais lasse des personnes désolées… À entendre le monde, ce dernier m’avait injustement fait du mal et cherchait à se faire pardonner des torts que l’on ne m’explicitait pas quoi qu’il en soit. Je goûtais l’injustice et ignorais tout du cheminement qui m’y avait conduite. Je n’avais rien dit. Mal à l’aise, elle avait refermé la porte derrière moi, et voilà que je me retrouvais cernée par l’obscurité la plus totale. Une vague raie de lumière, sûrement une torche qui brillait dans le couloir, peinait à s’infiltrer dans la pièce dans le fin espace qui séparait la porte du sol. Pour le reste, rien… Alors j’attendis… Une heure, deux heures… Je songeais à l’île, je pensais à Daphnée, à Nathaniel… Combien de temps de solitude et de noir pour perdre la voix, l’espoir, la raison… Je me sentais devenir dingue en une fraction de minute. Le pire n’était pas l’endroit, le pire était de ne rien comprendre… Je me voyais jetée d’un endroit à l’autre, de visages amicaux en visages hostiles, de questions en questions, et plus je cherchais à comprendre, moins les réponses se faisaient jour. Je ne voulais plus attendre. Je ne parlais pas de ces deux heures, mais de ces dix-sept années d’existence. Ma vie… Je me découvrais pantin, marionnette qui se serait emmêlée les pieds dans ses propres fils. Soit, à présent, je coupais les liens, d’un coup sec, et me privais peut-être par la même de l’éventualité d’un destin, soit je me laissais étrangler par ces fils qui me serraient la gorge et le destin n’en serait pas plus glorieux. Voilà, j’étouffais, et comme si ça ne suffisait pas, l’on m’arrosait de « pardon », de mensonges, de menaces, de dangers, de questions… Et je faisais quoi ? J’attendais, je ruminais, je tournais en rond dans cette pièce noire de malheur. En rond, en rond, en rond… Avec la tête qui me tournait, et le vertige à l’aube de mon cerveau…

Puis un bruit sourd, métallique, clinquant. Je retins un instant mon souffle, de crainte que quelqu’un m’ait entendue. Quelque chose venait de tomber de ma poche. Dans la pénombre, je ne découvrais pas où cela avait atterri… Je tâtonnais un instant puis abandonnais, me laissant choir au sol, enfonçant mes cheveux dans la poussière, pressant mon dos contre la pierre froide. Je fermais les yeux, on ne faisait pas la différence, quoi qu’il en soit.
Quand ils se rouvrirent, la lumière qui traversait la porte était plus vive. Je pouvais à présent mieux y voir. Je me redressais, au bord du malaise. À présent assise, mon regard balayait la pièce. Elle me semblait, sous ce jour, un rien moins hostile, un regard à ma gauche me fit découvrir l’objet tombé la veille. L’enveloppe. Celle qu’Emma m’avait remise avant de me confier à la merci d’Edgar. Comment avait-elle pu émettre un son à ce point étrange ? « Ne l’ouvre que si la situation te semble urgente », m’avait-elle intimée. Je ne pensais pas faillir à ma parole en l’ouvrant à présent. D’une main tremblante, d’un geste précipité, je décachetais donc la précieuse enveloppe. Un objet me glissa dans les doigts, j’évitais de justesse qu’il tombe une nouvelle fois. C’était une clé. Petite, rouillée, anodine. Accompagné d’un mot où se reconnaissait l’écriture serrée d’Emma.

« Quand il sera temps de nous délivrer. »


C’était tout. Ces simples mots…

Je devais ajouter Emma, donc, au nombre de ceux qui posaient les questions mais ne donnaient jamais les réponses. La curiosité, m’avait-on déjà dit, était un plaisir bien léger.
« Dès qu’on le perd, il cesse d’être,
Et toujours il coûte trop cher. »
J’en goûtais déjà l’amer revers.
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Eleonore Odien
Eleonore Odien
Rebellion
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Date d'inscription : 21/01/2014

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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeDim 3 Mai - 14:05

J'ai avalé ce chapitre à une vitesse folle et j'ai juste tellement hâte à la suite. Les ailes arrachés 2314381072
C'est fou comme t'arrive trop à nous transporter Les ailes arrachés 2567399638 Les ailes arrachés 2567399638
Que de suspense !!!
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Daphnée
Daphnée
Royaume du bout de l'océan
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeMer 6 Mai - 16:08

Merci ma chérie Les ailes arrachés 4053995703
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Anna Basiel
Anna Basiel
Famille royale
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitimeJeu 7 Mai - 19:18

Ptain c'est FANTASTIQUE !!!
J'me suis encore laissée emportée par tes mots *-*
Un nouveau chapitre sublime ♥️
La suite ! Very Happy
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Message#Sujet: Re: Les ailes arrachés   Les ailes arrachés Icon_minitime

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