Bertille

Il était une fois, à une époque oubliée de tous, un homme qui se rêvait roi mais n'en était que le conseiller. A cette époque, l'homme avait une épouse et l'aimait plus que tout. Sa femme, Esther, partageait ses sentiments, mais pas la fidélité sans faille que lui vouait son époux. Quand l'homme s'absenta, de plus en plus souvent, de plus en plus longuement, de l'autre côté de l'océan, dans ce pays étranger où tout restait à découvrir et où Féerie venait d'établir ses premières colonies, Esther prit un amant. Qui était-il ? Que faisait-il ? Nul ne le saura jamais sinon elle, qui devait enterrer son secret avec elle quand, morte en couche, elle abandonna son mari absent et sa fille adultère.

Edgar n'ignora pas que Bertille n'était pas sa fille, aussi ne la considéra-t-il jamais comme telle. Il l'ignora, la négligea... non, en fait, il la haït, profondément, viscéralement. Bertille grandit au château, et elle dut ses premiers éclats de rire, ses premiers moments de joie, à un homme qui la prit sous son aile, un jeune homme qui peut-être reconnut en elle l'enfant de rien qu'il était lui-même : il s'appelait Nathaniel. Jusqu'à ses six ans, Bertille grandit dans une relative innocence... Jusqu'à ce que le roi de l'époque, Dorian Lydre, ordonne à Nathaniel de rejoindre les colonies de l'autre côté de l'océan. Il lui promit de revenir. Elle ne le revit plus jamais.

Peu d'années plus tard, une guerre éclata. Trop petite pour comprendre alors, Bertille ignora tout des terribles événements qui se déroulèrent alors. Tout ce dont elle se souvient alors, ce fut du retour des armées Féeriennes... Dorian Lydre était mort, Nathaniel aussi, pensait-elle alors. Edgar Basiel était le nouveau roi de Féerie. Et Bertille devenait son unique héritière... puisqu'en dépit de toute la haine que le roi lui portait, et puisqu'il n'avait jamais avoué à quiconque l'infidélité de sa défunte épouse, elle restait légitime. Peu de gens en eurent conscience, pourtant, tant Edgar Basiel s'appliqua à faire oublier à tous qu'il avait une fille... Et surtout à sa nouvelle femme, qu'il épousa peu de temps après son retour, et qui lui offrit un héritier digne de ce nom : Gabriel.

Presque tout le monde l'oublia, à l'exception d'Anthony, qui semblait seul à se soucier d'elle. Et Edgar... qui à présent de retour, et parce que Bertille ressemblait trop à sa femme, sans doute, lui fit subir les pires supplices imaginables, dans le plus entier secret.

Bertille avait quinze ans quand elle tomba enceinte. Et c'était trop, pour le roi. Il refusa que quiconque apprenne la vérité. Bertille accoucha dans le plus grand secret. Elle n'eut guère le temps de prendre sa fille dans ses bras, il la fit enfermer dans une haute tour sans porte et aux fenêtre trop haute pour qu'elle puisse envisager de s'échapper. Bertille y demeura plusieurs années. Elle dut sa survie à Anthony, qui dans un premier temps prit le risque de venir la trouver et de lui apporter de quoi survivre. Elle ne sut jamais d'où il venait, par où il repartait. Il ne la laissa pas repartir avec elle, il refusa de lui répondre quand elle lui demandait des nouvelles de sa fille... Il ne consentit à lui dire qu'une seule et unique chose : on l'avait appelée Victoria.
Et un jour, Anthony ne vint plus...

Ce fut l'improbable chevelure de Bertille qui lui sauva la vie. Elle parvint à s'enfuir. Elle envisagea de retourner au château, de réclamer de voir sa fille, mais elle n'imaginait que trop ce qui l'attendrait alors... Alors Bertille s'éloigna, se fit oublier pendant près de dix ans, changea de nom et vivota, allant de villange en village, offrant ses services, peu importe lesquels au tout-venant du moment que cela pouvait lui permettre de survivre.

Dernièrement, pourtant, quelque chose a changé, quelque chose qui l'a convaincue de rejoindre Piquiel en espérant ne pas y être reconnue. La rumeur enfle, l'on parle de prisonniers en fuite, l'on parle d'un homme que le roi aurait capturé pour la seconde fois, un homme qui s'appellerait Nathaniel.

Pour Bertille, il n'est plus temps de se cacher, mais plutôt de reprendre sa place. Et surtout, surtout, de retrouver sa fille...