Il y a plus de larmes versées sur la terre qu'il n'y a d'eau dans l'océan | Anthony & Achab

Anthony ne pouvait pas toujours se permettre de sortir du château, c’était difficile pour lui de ne pas éveiller les soupçons de Edgar. Cela dit, depuis que Nathaniel se trouvait enfermé – même s’il espérait que ça n’allait pas non plus durer trop longtemps –, il osait croire que son ancien ami n’aurait pas de soupçon contre lui. Anthony se devait quand même de se montrer particulièrement prudent, il n’avait pas le choix, il pensait aux rebelles évidemment à longueur de temps parce qu’il n’avait pas envie de leur faire prendre un risque, de les abandonner. Au vu de la situation de Nathaniel, il ne pouvait pas vraiment se permettre de prendre de risque donc et d’abandonner à son tour les rebelles.

Cela dit, il pouvait quand même potentiellement se permettre de s’absenter de temps en temps du château, ce qu’il fit en cet instant précis. Il n’avait pas de vrai but, pour une fois. Il devrait peut-être s’approcher des rebelles, mais en même temps il n’avait pas grand-chose à leur apporter. Et en vérité, l’homme devait bien avouer qu’il avait besoin d’être un peu seul. De se retrouver avec lui-même dans le but de réfléchir un peu. Il avait besoin de se retrouver avec lui-même, de se reposer peut-être un peu. Mine de rien, on lui en demandait beaucoup quand même.

Il décida de se rendre sur la plage. Il observa un long moment l’océan sous ses yeux, cet océan qu’il avait déjà traversé de nouveau depuis la destruction de la barrière, même si ce n’était pas non plus une partie de plaisir pour lui. Il n’y arrivait pas, il ne pouvait pas s’empêcher de penser au passé, de penser à ce qui s’était passé. Anthony avait conscience qu’il ne devait pas vivre dans le passé, qu’il devait penser à tourner la page, mais avec tous les événements récents, avec les questions du prince, Anthony ne pouvait pas réellement se retenir de penser au passé. Justement. Et c’était bien ça le souci.

À force de se promener sur la plage, les pensées de Anthony se tournèrent de nouveau vers le passé, vers un ami de longue date. Il savait que Achab avait son bateau tout proche. Cela faisait un moment qu’ils ne s’étaient pas vu, Anthony n’avait pas eu l’occasion de le croiser depuis que la barrière avait été détruite. Forcément, il se posait des questions, il se demandait comment l’homme allait, comment il prenait la situation. Bien sans doute, vu qu’il avait toujours adoré naviguer sur les mers. Il décida d’aller faire un tour dans le coin, sans pour autant savoir s’il allait bel et bien tomber sur l’homme en question. Ce qui fut le cas pourtant. Achab, en l’entendant arriver, se retourna et sembla surpris de le voir. Anthony l’observa un instant, avant d’afficher un léger sourire.

« Je ne veux pas te déranger. Si c’est le cas, je ne resterais pas. »

Il avait eu besoin d’être un peu seul, mais la compagnie de Achab lui était agréable.

Anthony afficha un léger sourire quand son interlocuteur affirma qu’il ne le dérangeait jamais. Ce n’était pas toujours évident de comprendre Achab, de le cerner complètement. Anthony espérait pouvoir affirmer qu’il le connaissait mieux que personne, parce que leur amitié était forte, mais il ne pouvait pas toujours bien interpréter les attitudes du navigateur. Ce n’était pas facile dans tous les cas et Anthony avait malheureusement toujours peur d’être indélicat. Enfin, il appréciait d’entendre l’homme affirmer qu’il ne le dérangeait pas, parce qu’il avait peut-être plus besoin encore qu’il n’osait l’admettre de sa compagnie.

La question de Achab était en soit très claire et précise, mais Anthony trouvait cela difficile de répondre. Tout était de toute façon difficile ces derniers temps. Au point que plus le temps passait, moins Anthony se disait qu’il avait les épaules pour supporter tout ça. Mais s’il devait lâcher maintenant, il avait conscience que beaucoup de personne en souffrirait à cause de lui. Pas parce qu’il pouvait forcément faire quelque chose, mais juste parce que beaucoup de personne comptait sur lui. C’était tellement difficile en fait… il avait besoin de soutien, pour une fois il avait besoin de soutien.

« Je me promenais. » Ce qui était vrai. « Et, mes… pas m’ont mené ici. » Ce qui était vrai aussi.

À la base le serviteur du roi n’avait pas spécialement prévu de revoir le marin, mais visiblement ses pas l’avaient tout simplement mené à lui. Est-ce que c’était un signe ou non ? L’homme n’en savait trop rien, mais en soit-ce n’était pas plus mal. Parce qu’il devait bien avouer qu’il appréciait vraiment la présence de Achab et que l’homme lui avait manqué tout ce temps.

« Comment tu vas depuis le temps ? » Demanda–il.

Anthony devait bien avouer qu’il n’avait pas forcément envie de s’attarder sur lui-même. Et il se demandait sincèrement comment allait Achab. Il était justement le genre de personne qui avait dû subir la situation, malheureusement. Il avait de la chance cependant d’être encore en vie et d’avoir été en partie libre. Il n’avait pas été libre de voguer comme il aurait surement aimé le faire, mais il n’avait pas été enfermé entre des murs, dans une tour, dans un rôle qui ne lui allait pas. Même s’il avait été enfermé dans ce royaume en devant abandonner une destinée. Au fond, tout le monde avait perdu quelque chose avec cette guerre terminée, avec cette barrière mise en place et le pouvoir de Edgar. Tout le monde sauf Edgar.

Achab lui apprit qu’il ne s’était pas aussi bien senti depuis très longtemps, depuis qu’il avait apprit que la barrière n’existait plus. Anthony ne put s’empêcher d’afficher un léger sourire en coin, peu étonné par la réaction du marin. L’homme en était un justement, de marin, il vivait sur la mer et cela depuis tellement d’année. Il avait dû se limiter énormément avec cette barrière, alors il était tout à fait normal que l’homme soit enfin heureux de pouvoir être un peu plus libéré. Le serviteur du roi n’était donc pas étonné par la réponse de son interlocuteur, et il devait même bien avouer qu’il… appréciait en quelque sorte que l’homme retrouve un peu son bonheur d’antan. Et ce dernier avait le sentiment d’avoir rajeuni de dix ans, ce qu’il comprenait pouvait être très agréable. Quand de son côté, Anthony avait le sentiment d’être plus vieux qu’il ne l’était avec tout ce qu’il avait sur les épaules.

En tout cas, Anthony n’en voulait absolument pas à Achab de se montrer à ce point égoïste en affirmant qu’il appréciait que la barrière soit levée, c’était tout à fait naturel. Pour un voyageur comme lui, c’était forcément compliqué de devoir se contenter de mer peu profonde, sans pouvoir réaliser son rêve d’exploration. Donc non, Anthony ne lui reprocherait en aucun cas d’être égoïste, il considérait même que c’était plutôt une bonne chose de l’être par moment.

« Je ne suis pas spécialement étonné que tu sois heureux de cette nouvelle. »

C’était le cas, vraiment, ça n’était pas étonnant. La destruction de la barrière ouvrait de nouvelles possibilités (ou plutôt rendait de vieilles possibilités). Et mine de rien, l’homme savait bien que la disparition de la barrière donnait la possibilité de changer beaucoup de chose, redonnait un souffle incroyable sur certaines choses. Apportant d’autres soucis également, mais ça c’était autre chose.

« Eh bien… je dois bien t’avouer que tout n’est pas facile. » Répondit-il, en toute honnêteté. Ce serait sans doute beaucoup mieux qu’il ne dise rien du tout, qu’il se contente de faire comme si de rien n’était. Après tout, ce n’était pas comme s’il avait la possibilité de parler de ses soucis avec quelqu’un. Et c’était évident qu’il ne faudrait pas qu’il parle de trop ce qui le préoccupait avec Achab non plus, et en même temps il avait quand même le sentiment d’être bien souvent seul. « Contrairement à toi, je n’ai pas vraiment l’impression de rajeunir. » Ajouta-t-il, sur le ton de l’humour, mais en étant bien trop sérieux en même temps.