Comme on se retrouver... (Daphnée/Anthony)

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aphnée ne regrettait pas son choix. Elle ne dirait pas qu'il était le meilleur, ou que son quotidien était idéal, maintenant qu'elle avait pris ses marques de l'autre côté de l'océan, mais elle avait l'impression d'appartenir à cet endroit quoi qu'il en soit. Elle vivait loin de la sorcière, elle n'avait plus à craindre la menace qu'elle représentait ne s'abatte sur elle, ses nuits n'étaient plus peuplés des mêmes incessants cauchemars, la cicatrice dans son dos avait cessé de lui faire mal, et sa peau qui avait pris de la couleur depuis qu'elle l'exposait au soleil du royaume du bout de l'océan, dissimulait tout ce que des années de prison avaient altéré dans son apparence. Elle avait trouvé sa place, et elle n'en changerait pas. C'était dit, c'était décidé. Mais on avait beau fuir son passé, celui-ci vous rattrapait toujours.

Daphnée ne pouvait pas prétendre avoir totalement coupé les ponts avec Féerie. Certes, cela faisait de longues semaines qu'elle avait pris la fuite en compagnie de Gorav et elle ne comptait jamais retrouver les bois et forêts de Féerie, ni sa température continentale... Mais le simple fait qu'elle soit toujours en contact avec Gorav, qu'elle lui demande régulièrement des nouvelles d'Anthony et d'Eleonore, en disait long sur son inaptitude à tourner totalement la page. Non, elle ne le pouvait pas. Et surtout, elle ne le voulait pas réellement. Dans un monde idéal, Eleonore et Anthony seraient là, avec elle, pas en train de risque leur vie pour un royaume de pacotille, aux ordres d'un psychopathe totalement instable mentalement...

Daphnée ne pensait pas les revoir un jour, même si elle le voudrait... et pourtant... Ce jour-là, la chance tourna, sans qu'elle s'y soit attendue ne serait-ce qu'un seul instant. Est-ce que c'était de la chance, elle n'en savait rien. Quand elle se retrouva face à Anthony et Eleonore, elle crut un instant à un mirage. Elle hésita, heureuse et apeurée dans le même ton. Elle avait eu envie de les voir, de tout son coeur, et elle était heureuse de constater qu'ils allaient bien. Mais elle était partie sans signaler son absence. Et ils auraient de bonnes raisons de lui en vouloir. Et s'ils étaient ici pour elle, est-ce que ça signifiait qu'ils voudraient qu'elle reparte avec eux.

L'estomac noué, elle songea un instant à prendre la fuite, mais elle n'en fit rien malgré tout. Elle ne pouvait pas juste partir, elle avait eu trop besoin de les voir, de leur parler, elle ne pouvait pas passer à côté de cette opportunité. Alors, d'une voix pâle accompagnée d'un sourire tout aussi pâle, elle aventura une question sans être certaine de vouloir entendre la réponse malgré tout.

-Qu... qu'est-ce que vous faites ici ?

Elle ne savait pas faire le tri dans ses émotions. Elle voulait les serrer dans ses bras et pourtant, elle restait là, immobile, à les observer de ses yeux ronds.

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aphnée se mordilla la lèvre inférieure, légèrement embarassée quand Anthony répondit qu'Eleonore et lui la cherchaient. Oh, elle s'en doutait, le monde était bien trop vaste pour que ce soit le hasard qui les ait placés sur son chemin, mais elle s'en voulait de leur avoir fait faire tout ce chemin, juste pour la retrouver. La jeune fille aurait voulu que son absence passe inaperçue. Certes, elle voulait manquer à Anthony et Eleonore, mais elle ne voulait pas qu'ils fassent des pieds et des mains pour revenir vers elle. Parce que, maintenant, elle devrait s'excuser auprès d'eux, se justifier, et même si elle le leur devait, elle avait peur de parler de tout ça. Elle comprit, en entendant la froideur de ton d'Anthony, qu'il lui en voulait, qu'il était vexé, pire, déçu, et elle détestait ça... et pourtant, la décision qu'elle avait prise, elle l'aurait reprise cent fois s'il l'avait fallu. Elle baissa les yeux, incapable de soutenir le regard de ses interlocuteurs, et hocha doucement la tête quand Anthony constata qu'elle avait l'air d'aller bien.

-Je vais bien...

C'était le cas. Sa vie de ce côté-ci de l'océan n'était pas idéale, loin de là, et par certains aspects, Féerie lui manquait. Surtout, les deux personnes qu'elle avait sous les yeux lui manquaient. Mais elle savait qu'elle avait fait les bons choix. Ici, la vie était dure, mais elle lui appartenait quoi qu'il en soit, et c'était tout ce qu'elle avait désiré. C'était un désir égoïste, mais elle avait voulu survivre, survivre loin de la sorcière, se laisser juune nouvelle chance, et celle-ci impliquait de s'éloigner de ceux qui comptaient pourtant pour elle.

-Et vous... ça va ?

Elle n'osait toujours pas lever les yeux. Elle avait le sentiment qu'ils allaient bien, mais ça restait difficile à dire malgré tout. Parce qu'elle savait que eux n'avaient pas pris la fuite, eux avaient décidé de faire confiance à Nathaniel, quand bien même ce dernier ne le méritait pas le moins du monde.

-Vous n'auriez pas dû venir ici pour moi..., ajouta-t-elle, au comble de la honte et de l'embarras.

Elle le savait, ne pas les prévenir était une faute impardonnable, et ils avaient toutes les raisons du monde de lui en vouloir. Bien souvent, elle culpabilisait pour ça, pour les avoir abandonnés, mais qu'y pouvait-elle ? Elle ne pouvait envisager de revenir en arrière... Et elle savait pourquoi elle n'avait rien dit. Elle savait que si elle avait choisi de leur en parler, elle n'aurait pas eu le courage de les abandonner. Le seul moyen qu'elle avait trouvé pour renoncer à eux, ça avait été cette rupture ferme et définitive. Lâche aussi, sans doute, et immature évidemment. Mais après tout, elle n'était qu'une enfant.

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i Anthony, ni Eleonore ne répondirent à sa question quand elle leur demanda s'ils allaient bien. La jeune fille s'en sentit malheureuse et décontenancée. Elle aurait voulu mériter qu'ils lui répondent, qu'ils apaisent un peu ses inquiétudes... mais en même temps, pourquoi prendraient-ils la peine de lui dire comment ils se sentaient alors que c'était elle qui leur avait tourné le dos. Sans leur venue, elle aurait continué de ne pas savoir comment les choses se passaient pour eux, elle aurait sans doute à peine su s'ils étaient encore en vie, à moins que Gorav n'ait eu l'occasion de l'apprendre et de l'en prévenir, bien sûr.

Chez l'un comme chez l'autre de ses interlocuteurs, elle ne ressentait et percevait qu'une profonde amertume, qu'elle avait sans doute bien mérité, et évidemment, ça lui serrait le coeur. Elle était heureuse de les revoir, mais quitte à les revoir, elle aurait préféré qu'ils ne soient pas autant déçus par elle... mais cela rendrait sans doute les adieux plus supportables pour eux... en revanche pas pour elle, qui tout en s'étant habituée à ne pas compter pour grand-monde, avait été heureuse de compter pour ces deux personnes qu'elle aimait si profondément.

-Une dernière fois... ? répéta Daphnée, désarçonnée.

Elle n'irait pas dire s'être imaginée qu'il n'était pas possible qu'ils ne se revoient jamais. C'était effectivement une éventualité. Mais une part d'elle, étonnamment optimiste, avait voulu croire qu'ils finiraient par échapper à leur condition. plus tard, dans longtemps, ils pourraient de nouveau être réunis, mais ce n'était pas pour tout de suite... Ce le pourrait, s'ils n'étaient pas aussi obstinés à renverser le trône, s'ils n'étaient pas aussi soumis à la volonté de Nathaniel... Nathaniel dont elle ignorait tout de l'enfermement (et ne s'en attristerait sans doute pas si elle devait l'apprendre).

-Qu'est-ce qui se passe ?

Pourquoi prendre la décision de la revoir juste pour lui dire ça. Certes, elle aurait pu accepter et apprécier l'idée qu'ils aient compris son choix, mais une part d'elle aurait voulu qu'ils cherchent en réalité à la faire revenir. Bien sûr, elle aurait refusé, évidemment qu'elle aurait refusé, ils en avaient peut-être pas juste l'envie... Elle n'en savait rien. Elle restait quoi qu'il en soit une enfant, une enfant qui essayait d'être heureuse et de fuir à tout prix ses démons, peu importe les sacrifices que cela exigeait de sa part. Sauf que là, elle était inquiète, elle craignait de manquer quelque chose, une chose qu'on ne lui aurait pas dite. Elle pourrait dire que ça ne la concernait pas, mais ce serait tout de même mentir. Même s'ils n'y croiraient peut-être pas, elle tenait à Eleonore, elle tenait à Anthony, et elle aimerait vraiment, vraiment, savoir comment ils allaient.

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aphnée s'était isolée de son plein gré, elle avait fui sans demander l'opinion de qui que ce soit, sans prévenir de crainte qu'on la retienne. Elle n'était pas en droit de demander quoi que ce soit au sujet de ce qui se passait à Féerie. Et d'ailleurs, elle avait voulu, autant que possible, ne plus rien savoir de ces histoires. Mais elle ne réussissait pas à se montrer totalement indifférente... Encore moins quand elle avait Eleonore et Anthony sous les yeux. Elle ne voulait plus se mêler des affaires de Féerie, parce qu'elle en avait trop souffert et qu'elle ne se pensait pas capable de faire quoi que ce soit qui puisse représenter une différence. Mais elle ne cesserait jamais de s'inquiéter pour les deux personnes qu'elle avait sous les yeux.

Peut-être qu'ils n'y croiraient pas, c'était même très probable, d'autant qu'elle ressentait bien que l'un et l'autre lui en voulaient, mais c'était le cas. Elle n'avait pas voulu que les choses se passent de cette manière, mais il n'y avait pas de bonne manière. Elle avait écouté son instinct de survie, tout simplement... Et sa survie devait tolérer des coeurs à briser... Il n'y avait pas eu d'autres moyens ni d'autres solutions. D'autant plus qu'elle savait pertinemment que jamais ils ne l'auraient suivi dans tous les cas. Au moins, ils se souciaient d'elle. En témoignaient les questions qu'Anthony posait, et où Daphnée décelait une véritable volonté de s'assurer qu'elle allait bien.

-Je... vois au jour le jour. J'ai rencontré un... négociant, je travaille pour lui, ça m'aide à m'en sortir, même si..., répondit évasivement Daphnée. Elle marqua une pause, elle n'en pouvait plus de ce sentiment de malaise. Pour elle, c'était pire que tout. Je suis désolée, se sentit-elle obligée de s'excuser. Je devais juste... m'éloigner d'elle, et de lui. Je pouvais plus... Et si vous aviez cherché à me retenir, j'aurais pas pu...

Son discours était embrouillé, mais elle se sentait l'obligation de se justifier. Elle était heureuse de retrouver Eleonore et Anthony, ils lui avaient manqué. Mais si elle devait payer ces retrouvailles d'une terrible amertume, alors elle préférerait ne pas les voir du tout, c'est tout ce qu'elle avait redouté.

-Dites moi ce qui se passe, s'il vous plaît. Je m'en fais puisque je m'en fais pour vous, dit-elle avec la voix un peu tremblante.

Elle se disait qu'ils ne la croiraient pas. Mais puisqu'elle les avait sous les yeux, elle devait rétablir la vérité, elle ne voulait pas qu'ils s'imaginent qu'elle s'en moquait, que ça lui était égal, d'être partie sans se retourner. Ce n'était pas le cas. C'était plus compliqué que ça.

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aphnée ne parvint pas à s'en empêcher. Un fin sourire décora ses lèvres en apprenant que Nathaniel se trouvait à nouveau prisonnier. On la trouverait peut-être cruelle, mais la jeune fille ne se voyait pas s'émouvoir du sort d'un homme qui l'aurait sacrifiée sans aucun scrupule si l'occasion s'était présentée. Le seul intérêt de Nathaniel avait été de permettre aux prisonniers de l'île des soupirs de s'échapper, et encore, Daphnée estimait que le mérite en revenait avant tout et surtout à ses deux interlocuteurs. Et c'était tout le temps comme ça. On attribuait à Nathaniel une place et un mérite qu'il n'aurait jamais dû s'approprier.

Oui, c'était une très bonne chose qu'une rébellion se soit organisée. Oui, c'était une très bonne chose que l'on recherche activement à détrôner Edgar, qui ne méritait définitivement pas sa couronne. Mais dans ce vent de révolte, Nathaniel n'avait pas sa place. Faire les choses selon ses règles, c'était prendre le risque de se faire avoir en fin de compte. Alors pour elle, l'emprisonnement de Nathaniel était une bonne nouvelle. Le seul risque - qui n'était pas négligeable, serait qu'il les trahisse, mais Daphnée pensait qu'il ne le ferait pas, pas part considération envers Eleonore et Anthony, mais parce qu'il avait encore besoin d'eux, de les utiliser, en gros. Alors oui, la situation était compliquée, ça c'est évident, et elle regrettait qu'elle le soit autant pour eux. Mais ils pouvaient très bien s'en sortir malgré tout. Ils pouvaient mieux s'en sortir, même. Ils n'avaient besoin de personne, juste de leurs certitudes et de leurs convictions, et c'était suffisant. Ils devaient accepter de suivre d'autres directives que celles imposées par Nathaniel. Et c'était tant mieux comme ça.

-Vous n'avez pas besoin de lui, répliqua Daphnée, catégorique. Elle devrait peut-être s'inquiéter de la tournure que la situation avait prise pour eux, mais ce n'était pas le cas. A ses yeux, ce qu'ils avaient à de plus dangereux dans leur entourage, c'était Nathaniel. Celui qui était supposé les motiver et les mener le plus loin était surtout celui qui pourrait les détruire l'un après l'autre s'il devait le décider. Vous n'avez jamais eu besoin de lui. Maintenant qu'il n'est plus là, vous allez vouloir faire les choses d'une autre manière. Plus juste.

Ils étaient totalement capables, à eux deux, de mener une révolution, ils étaient totalement capables de descendre le roi de son trône, d'y nommer un roi plus juste. Si une nouvelle histoire devait se construire, il était important qu'elle se construise sans Nathaniel. Elle comprenait qu'il soit difficile pour eux de l'admettre, parce qu'ils étaient sous emprise tous les deux. Mais c'était plus simple de les libérer de cette emprise si on les y forçait.

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aphnée avait beau être la plus jeune et la moins expérimentée des trois, elle pensait quand même être celle qui était dans le vrai, en ce qui concernait Nathaniel, sans doute parce que, contrairement à ses interlocuteurs, le fugitif n'avait jamais cherché à la manipuler. Oui, il avait voulu se servir d'elle, mais il n'avait pas ressenti le besoin de l'amadouer, il avait sans doute estimé que ce n'était pas nécessaire puisque son affection envers les deux personnes qui se trouvaient justement sous ses yeux suffisait à ce qu'elle prenne la décision de rester, du moins au début. Les réactions d'Anthony comme d'Eleonore lui confirmaient qu'elle avait fait le bon choix au bout du compte. Leur obstination à vouloir croire en Nathaniel quoi qu'il fasse et quoi qu'il décide, alors même qu'il était avéré qu'il avait été prêt à la sacrifier à la sorcière dans ses seuls bas intérêts, en disait long sur le pouvoir de persuasion de ce type dangereux, qui méritait très largement de pourrir dans les geôles du château d'Edgar Basiel.

Elle regrettait de voir qu'en dépit de l'évidence, une part de doute demeurait chez Anthony, comme une volonté de laisser sa chance à son vieil "ami" alors qu'il devait le connaître bien mieux qu'eux (encore que Daphnée l'avait observé toutes ses années d'enfermement sur l'île des Soupirs, ce n'était pas rien) , et donc savoir de quoi il était capable. Quant à Eleonore... elle semblait si convaincue, si influencée, qu'il semblait qu'elle ait atteint un stade qui ne tolérait aucune rémission. Elle était totalement sous l'emprise de Nathaniel, et cela chagrinait sincèrement Daphnée. Eleonore méritait et valait bien mieux que cela, mais Daphnée savait qu'elle ne serait pas celle qui lui ferait changer d'avis, elle avait déjà essayé. Elle aurait voulu fuir avec celle qu'elle considérait comme une grande soeur, mais elle avait choisi Nathaniel, envers et contre tout.

-Tu penses ça parce que tu es amoureuse de lui, mais tu te trompes, personne n'a besoin de lui. Et s'il a besoin de vous, c'est uniquement pour vous utiliser.

Oui, elle n'y allait pas de main morte. Au point même de suggérer qu'Eleonore puisse être amoureuse de Nathaniel. Est-ce que c'était vrai ? Pas forcément, elle n'en savait rien, mais elle considérait qu'il y avait dans son attachement pour lui quelque chose de beaucoup trop malsain. Alors oui, peut-être que Nathaniel leur accordait, à elle et Anthony, plus d'intérêt que la moyenne, ça ne voulait pas dire qu'il ne les utilisait pas dans les grandes largeurs.

-Il ne vous aime pas, il se fiche de vous, alors ce serait bien, une bonne fois pour toutes, que vous vous protégiez de lui et que vous profitiez de son absence pour rendre ce monde, ces mondes meilleurs, indépendamment de ses plans stupides. Tout ce qui l'intéresse, c'est de tuer Edgar, et après quoi ? Si vous voulez agir, agir vraiment, alors vous en êtes largement capable sans lui.

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ette situation résumait bien ce pour quoi Daphnée n'avait voulu prévenir personne de son départ en dépit de l'affection profonde qu'elle avait pour Eleonore et Anthony. Elle n'avait, à aucun moment, voulu leur faire du mal, mais elle avait su qu'elle ne pourrait définitivement pas justifier son départ sans que cela aboutisse à une situation du genre. Daphnée avait bien compris qu'à ce stade, il n'y avait rien à faire. Son cerveau était complètement lavé par Nathaniel. Peut-être que ça finirait par changer, mais pour l'heure, il était assez évident qu'il n'en était rien, et que ce n'était pas elle qui ferait qu'elle se remettrait en question.

Oui, cette conversation prouvait bien qu'elle n'était vraiment pas prête à entendre un autre discours que celui du fugitif. Elle ne lui avait pas fait l'affront de nier être amoureuse de Nathaniel (même si, au fond, elle devait encore se mentir à elle-même sur la question), mais en attendant, elle continuait, obstinément, à prendre sa défense. La défense de l'indéfendable. Elle déformait ses propos, elle faisait mine de ne pas comprendre, mais Daphnée était convaincue que cela relevait davantage de la mauvaise foi que du quiproquo. Dans le fond, elle savait pertinemment où elle voulait en venir, mais elle préférait faire la sourde oreille. Sans doute estimait-elle que c'était plus simple ainsi. Sauf qu'elle finirait forcément par s'en mordre les doigts, à un moment ou à un autre.

-Ne fais pas semblant de ne pas comprendre, j'ai pas dit que le problème était de tuer Edgar ou non. Mais déclencher une guerre sans se soucier de ses conséquences, puis tuer le roi, ça ne peut pas être un plan viable. Ce n'est pas comme ça qu'on aidera les Féeriens, ce n'est pas comme ça qu'on aidera les gens d'ici.

Elle le disait en le pensant plus que sincèrement, clairement. Elle n'allait pas affirmer qu'il était important que le roi de Féerie reste en vie. Ce serait mentir. Elle n'avait aucune envie de le voir rester en vie. Prendre une vie humaine devrait sans doute lui poser un cas de conscience, mais pour tout dire, ce n'était pas le cas, ce n'était pas le cas du tout, même. Elle estimait qu'Edgar devrait mourir, oui, et pas seulement lui. Le sultan de ce royaume le devrait également. Et Nathaniel devrait suivre. Et la sorcière. Non, elle n'avait pas honte de le penser. Elle avait vécu trop d'horreurs pour s'excuser de penser de la sorte. Non, la mort d'Edgar n'était pas la question, la question c'était ce que l'on faisait de sa couronne et de son héritage. Et ça, c'était une chose dont Nathaniel ne se souciait pas du tout, Daphnée était prête à le parier.

-Et une fois de plus, vous n'avez pas besoin de Nathaniel pour tuer Edgar, reprit-elle en tournant son regard vers Anthony.

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aphnée se sentit soulagée d'entendre Anthony lui donner raison. Elle avait eu peur que ce dernier décide de rejeter ses arguments un à un, et sans guère y prêter attention, mais en fin de compte, il acceptait de tenir compte de son opinion et de son point de vue. Au fond, il était sans doute normal qu'il y soit plus sensible que la plupart des gens, quand on y pensait, parce que la guerre, il l'avait connue, il l'avait vue de ses propres yeux. Quand, de leur côté, Daphnée et Eleonore n'avait fait qu'en subir les conséquences, Anthony, lui, était capable de comprendre son déroulement et toute la souffrance que cela induisait.

On ne pouvait pas écouter le témoignage de tous ceux qui avaient beaucoup trop perdu à cause de la guerre et espérer prendre la chose sereinement : non, c'était tout bonnement impossible, vraiment. Alors oui, elle était assez certaine de ce qu'elle avançait, et ça la soulageait véritablement que son interlocuteur se range à son opinion. Eleonore n'avait toujours pas l'air de comprendre, mais cela allait peut-être lui permettre, justement, de voir enfin les choses d'une façon différente. La situation était toujours plus complexe qu'il n'y paraissait, et ça à tout point de vue. Oui, c'était un trop grand risque, et oui, ça allait naturellement les dépasser. Il était plus que temps d'aller au bout de tout ça.

-Profitez que Nathaniel soit enfermé pour agir comme bon lui semble, indépendamment de lui, plutôt que de chercher à le libérer. Quand tout sera fini, vous pourrez faire ce que vous voudrez, mais pour le moment, c'est une très bonne chose qu'il soit enfermé, assura la jeune fille avec autant d'assurance qu'elle était capable. Elle était toute jeune, très certainement trop jeune pour qu'on attende d'elle qu'elle fasse des choix ou prenne des décisions. Mais pour elle, il était important de donner son opinion. Il était important qu'elle soit comprise, enfin. Elle marqua une pause. Si quelqu'un doit tuer Edgar, il faut que ce soit toi, parce qu'il ne se méfie pas de toi. Tu peux faire passer ça pour un accident sans problème, ajouta-t-elle en se tournant vers Anthony, avec un calme bien trop olympien au moment de discuter d'une tentative d'assassinat, mais elle estimait nécessaire. Ainsi, ce sera naturellement le prince Gabriel qui accèdera au trône, et on sait tous que c'est ce qu'il pourrait arriver de mieux à Féerie.

Nathaniel sur un trône, ce n'était pas envisageable, il était beaucoup trop instable. Il serait incapable de régner judicieusement. Et il mènerait deux royaumes à leur perte au lieu d'un. Des solutions pacifistes pouvaient être prises, mais elles devaient être prises par les bonnes personnes. Et il y avait trop d'acteurs particulièrement instables dans cette histoire, et ce n'était tout bonnement pas acceptable.

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