Dans la gueule de l'ogre (Orchide & Bertille)

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e grand jour approchait à grands pas. Combien de fois l'avaient-elles espéré et imaginé, Orchide et elle ? Elle ne saurait le dire. Trop de fois, sans doute. Dès l'instant où Bertille s'était laissé prendre aux mensonges d'un père qu'elle haïssait pourtant, elle avait rêvé le moment où elle retrouverait sa fille et pourrait la serrer dans ses bras, comme elle se doutait qu'Orchide, de son côté, serait ravi de planter ses crocs d'ogresse dans la chair plus si fraîche de ce Michael qui était très probablement mort au même titre que Victoria. Bertille n'en voulait pas à sa meilleure amie de bercer d'illusions en dépit de ses avertissements. C'était compréhensible.

Sans ces illusions, elles n'avaient plus rien. Orchide avait encore l'espoir de pouvoir venger ses parents et ses soeurs. Et Bertille, elle... eh bien, elle n'avait plus que sa meilleure amie. Enfin non, ce n'était pas tout à fait vrai. Il y avait Nathaniel, aussi, mais d'où elle se trouvait, elle ne pouvait rien pour lui, alors qu'elle pouvait peut-être activement aider la demi-ogresse à retrouver la chair de sa chair. Bertille l'avait bien compris, le voyage qu'elles s'apprêtaient à faire ne ressemblerait à rien de ce qu'elles s'étaient imaginés, mais au moins, elles iraient quelque part, concrètement, et c'était sans doute mieux que de ruminer des rêves impossibles ou d'anciennes vengeances sans que le lendemain, rien de nouveau n'ait supplanté les espoirs de la veille.

Le départ était pour bientôt, mais pour le moment, elles n'avaient pas quitté Féerie. Pour le moment, les deux jeunes femmes devaient mettre le peu qu'elles avaient d'affaires en ordre afin de pouvoir appréhender cette expédition convenablement, en espérant que le capitaine de fortune qu'elles s'étaient miraculeusement trouvé ne leur ferait pas faux bond. Elles marchaient à travers un chemin de forêt pour retourner chez elles. A l'affût, Bertille restait aux aguets. Depuis qu'un garde royal était venu frapper à sa porte, elle était terrifiée à l'idée d'avoir été démasquée. Certes, rien ne s'était passé après la visite de ce Joseph Ells, mais elle préférerait ne pas tenter le diable.

Raison pour laquelle tous ses sens furent en alerte quand elle entendit du mouvement depuis les hauteurs de la forêt. Son coeur s'arrêta un instant. Un passage d'animal sauvage ? Pire ? Elles furent rapidement fixées. Et Bertille n'en revenait pas.

-Glenn ! Tout comme Michael ignorait le nom de Bertille sans le savoir, l'inverse était également vrai. Malgré tout, même s'ils ne s'étaient pas vus depuis bien longtemps, elle n'eut aucun mal à le reconnaître. Je ne me serais jamais imaginée te croiser ici... qu'est-ce que tu fais là ? Elle tourna son regard vers sa meilleure amie. Je te présente Orchide. Puis, s'adressant à elle. Glenn est un ami. Comme pour la rassurer. Mais on ne s'est pas vus depuis... je ne sais même plus.

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ertille avait bien remarqué que Glenn semblait un peu tendu, mais elle n'y avait pas réellement prêté garde ou accordé trop d'attention, elle mettait cela sur le compte de sa rencontre avec Orchide, qui avait de quoi intimider n'importe qui. Bertille non plus ne faisait pas la fière la première fois qu'elle avait rencontré celle qui entre-temps était devenue sa meilleure amie. Certes, elle n'était qu'à moitié ogresse, mais tout de même, sa taille imposante ne laissait pas indifférent.

Sans oublier qu'en cet instant, elle se montrait relativement renfrognée, ce qui devait nettement déstabiliser Glenn, qui en temps normal (enfin, elle disait ça mais ils ne s'étaient pas revus depuis si longtemps qu'elle ne pouvait présumer de rien) se montrait beaucoup plus enjoué. Elle ne savait pas trop, d'ailleurs, si les deux seraient susceptibles de s'apprécier, mais ils allaient devoir accepter la compagnie l'un de l'autre encore un petit moment, car la jeune femme n'avait pas l'intention de laisser déguerpir son ami dans l'immédiat.

Glenn lui apprit qu'il s'était engagé dans une partie de chasse peu fructueuse. Cette réponse amusa beaucoup la jeune femme, qui portant ne pouvait pas franchement moquer son amie quand elle-même, même après tout ce temps à arpenter les forêts de Féerie, était demeurée si peu douée pour l'art de la chasse.

-En fait, on s'apprêtait à rentrer chez nous. Orchide m'héberge chez elle depuis... des années, maintenant. On est vraiment pas loin. Et notre dîner est déjà chassé, si ça te dit de te joindre à nous pour le repas ? suggéra-t-elle en passant son regard de Glenn à Orchide, d'Orchide à Glenn.

Elle craignait fort que l'initiative ne plaise pas, mais alors pas du tout à son amie, mais en même temps, ce serait plus agréable de bavarder autour d'une table qu'au milieu des arbres, surtout qu'au coeur de la forêt, le danger pouvait venir de partout, chose dont tous ici, ils avaient forcément conscience. Bertille pensait bien connaître sa meilleure amie, à force, elle savait que ce n'était pas son truc, de sociabiliser, et que tant qu'à faire elle s'épargnerait bien ce genre de dîner protocolaires au possible. Mais Bertille avait envie de penser que si elle y trouvait son compte en mangeant des gamins humains avec Odelle Saurre, elle pouvait bien consentir à ce qu'elle-même trouve son compte en lui imposant un dîner à trois juste une fois. Ce n'est pas comme si Bertille invitait des gens constamment chez eux, après tout. C'était même la première fois que ça arrivait depuis les débuts de leur colocation, alors elle supposait que ce n'était quand même pas trop lui demander que de lui accorder cette faveur. Enfin, encore fallait-il que Glenn accepte, aussi. Il avait peut-être d'autres chats à fouetter de son côté.

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ertille se sentait partagée, mal à l'aise... Elle aurait voulu qu'Orchide se montre plus ouverte, plus agréable envers Glenn, mais elle ne pouvait pas non plus lui reprocher de réagir comme elle le faisait. Orchide avait une personnalité très sauvage (que Bertille avait aussi par certains aspects), elle se justifiait par son expérience et son histoire, et il était donc tout à fait normal qu'elle se défie de ce jeune homme qu'elle ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam quand bien même Bertille, elle, le connaissait. Et encore, le connaissait-elle vraiment ? De toute évidence non, puisqu'elle ne savait ni son vrai nom ni sa véritable histoire (et tant mieux, pour le coup). Elle ne l'avait pas revu depuis des années... il pouvait avoir changé, il pouvait avoir été manipulé, il pouvait être passé à l'ennemi... Autant de possibilités qu'elle aurait tout intérêt à prendre en compte... Mais elle n'en avait pas envie. Même si les circonstances les avait naturellement éloignés, elle continuait de considérer Glenn comme un ami, et elle n'aimait pas l'idée de juste l'abandonner là en pleine forêt, sans savoir quand ils se reverraient... peut-être jamais, vu comme les choses semblaient parties et au regard de ses projets avec Orchide.

Finalement, la réponse de Glenn lui retira une épine du pied. Qu'importe ce qu'en pensait Orchide, le jeune homme était bien décidé à insister, et la demi-ogresse n'allait donc avoir d'autre choix que de se plier à la majorité... en espérant que Glenn n'allait pas lui faire amèrement regretter son choix par la suite. Cela, c'était une chose qu'elle n'était pas capable de savoir encore.

-Oh là, tellement de choses que je ne saurais pas par quoi commencer, confirma Bertille dans un fin sourire en faisant chemin jusqu'à la maison, vu que l'invitation était acceptée.

C'était vrai, il s'en était passé, des choses, depuis sa dernière conversation avec Glenn. Il y avait eu ses errances, sa rencontre avec Eleonore, la vérité sur Victoria... il y avait eu l'arrestation de Nathaniel par Edgar, sa décision de sortir du moins en partie de l'ombre et de ne plus fuir son destin... Mais pour lui parler de tout ça, il faudrait qu'il sache qui elle était vraiment. Et il y a des choses qu'elle n'était pas prête à avouer.

-J'ai pas mal voyagé, surtout...

Et elle savait que c'était un résumé beaucoup, dont Glenn ne se contenterait pas, ce qui était bien évidemment logique, mais elle noyait le poisson tant qu'elle le pouvait.

-Et toi alors ? J'y pense, ton frère n'est pas avec toi ?

Cela ne l'avait pas intriguée tout de suite, mais la dernière fois qu'ils s'étaient vus, il y a quatre-cinq ans de cela, Glenn était accompagné de son petit frère, qui ne le lâchait pas d'une semaine. Il devait avoir bien grandi depuis la dernière fois. A moins que...

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a curiosité de Glenn fit sourire Bertille. Sur ce point, il n'avait clairement pas changé. Malheureusement, elle ne pouvait lui donner que des réponses partielles, de manière générale. Elle avait ses secrets, des secrets bien gardés (et dont seule Orchide avait connaissance, d'ailleurs), elle ne pouvait se permettre de les partager avec qui que ce soit, y compris avec Michael, même si elle n'avait pas la moindre idée de ce que lui-même avait vécu durant ce temps... Et c'était bien ça, le truc. Même si elle gardait pour lui une grande amitié et une certaine affection, ils ne pouvaient pas avoir la moindre idée des chemins qu'ils avaient empruntés l'un et l'autre pour être... eh bien, ne serait-ce que toujours en vie à l'heure actuelle.

-Eh bien c'est exactement la même chose pour moi, je ne saurais sans doute pas nommer la grande majorité des lieux que j'ai visités. Surtout que j'ai passé plus de temps à explorer ces bois qu'ailleurs.

Bien sûr, elle était tentée de lui parler de ses intentions de se rendre de l'autre côté de l'océan, mais elle devinait que ce ne serait pas la plus brillante des idées, et compte tenu du fait qu'Orchide était déjà plus que fermée à la discussion, elle allait de préférence éviter d'aborder ce genre de sujets qui auraient sans doute le don de la faire se fermer plus encore comme une huître, si c'était véritablement possible... ce dont Bertille doutait parfois, à dire vrai... Elle aurait aimé que son amie se montre plus sociable en cet instant, elle n'avait pas forcément envie de jouer les intermédiaires entre les deux tout le temps de leur conversation... Quoique, si elle savait toute la vérité, elle s'arrangerait surtout pour que Glenn se tienne le plus loin possible de la demi-ogresse.

Ceci dit, elle oublia très vite le malaise entre Glenn et Orchide quand elle entendit la réponse de son ami à sa question, une réponse bien sinistre, à laquelle elle ne s'était vraiment pas attendue et qui lui serra le coeur... Ils savaient tous trois ce que ça signifiait. Quand les gardes royaux s'en prenaient à l'un de vos proches, il ne fallait pas trop espérer pouvoir le retrouver... Bien sûr, cela arrivait parfois, mais ce serait compter sur une sacrée chance et un optimisme qui n'était pas vraiment autorisé. Elle savait à quel point Glenn était attaché à son petit frère, et pour cause, il l'avait pratiquement élevé. Elle ne savait trop dans quelle circonstance il avait perdu ses parents et ses autres frères, elle savait juste que c'était le cas... Et ce pauvre gosse... Il devait pas être beaucoup plus âgé que ne le serait Victoria maintenant...

-Oh... Je suis sincèrement désolée, Glenn... Je suppose que tu ne sais pas où ils l'ont emmené ? se risqua-t-elle tout de même.

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