Une bonne nouvelle... ou pas (Bertille)

Orchide en revenait à peine de ce qu’elle avait discuté avec Odelle, de ce qu’elles s’étaient dites. La jeune ogresse avait eu l’intention de se rendre chez son amie sorcière dans le but de lui demander un peu d’aider, pour trouver une solution afin de passer l’océan et pouvoir se rendre de l’autre côté. C’était ce qu’elle désirait le plus depuis des années, se rendre de l’autre côté afin de retrouver ce garçon qui avait osé tuer toute sa famille et le manger avec grand appétit. Elle ne pensait pas que ça serait si facile. Elle s’était dit qu’elle allait devoir trouver un subterfuge afin de passer, mais non… c’était juste tellement facile.

Parce que cette barrière n’existait plus, tout simplement et donc Orchide et Bertille pouvaient simplement se contenter de prendre un bateau et de se rendre de l’autre côté. Orchide ne pensait vraiment pas que ça serait si simple, qu’elles allaient pouvoir s’en sortir si facilement. Elles allaient donc pouvoir traverser et se rendre de l’autre côté, et enfin retrouver Michael et Victoria, la fille de Bertille qui se trouvait de l’autre côté depuis un petit temps maintenant. C’était justement parce que Bertille avait apprit que sa fille avait été envoyé de l’autre côté qu’elle avait fini par accepter qu’elles fassent cette traverser, autant dire qu’elle avait plus que hâte de se rendre de chez elles pour lui annoncer la très bonne nouvelle. Parce que c’était une sacrée nouvelle.

Elle avait couru d’ailleurs sur le chemin du retour pour se rendre chez elle aussi rapidement que possible. Son amie devait y être, elle devait l’attendre et elle allait sauter de joie quand elle allait apprendre ce qu’elle avait à lui annoncer. Ce fut donc rapidement qu’elle arriva devant la maison qu’elles occupaient toutes les deux depuis un long moment maintenant, et elle s’arrêta à peine pour ouvrir la porte. Elle l’ouvrit tout de même bien sûr, quand même, avant de rentrer dans la maison pour ne pas se prendre la tête…

« Bertille ! » Appela-t-elle, criant dans l’entrée de la maison afin de savoir où se trouvait son amie pour qu’elle puisse lui parler très rapidement. Elle avança dans les pièces afin de pouvoir enfin trouver Bertille et quand elle la vit, elle s’approcha vivement d’elle donc. « J’ai une super nouvelle, prépare toi ! » Tant qu’à faire, la jeune ogresse devait bien avouer qu’elle avait envie de mettre un peu d’effet dans la situation. « Il n’y a plus de barrière, on va pouvoir traverser l’océan et tu vas pouvoir retrouver ta fille ! »

Elle aurait pu prendre la peine d’attendre un peu pour lui annoncer la nouvelle, afin de ménager le suspense, mais ça avait été beaucoup trop tentant de lui annoncer la vérité. Il n’y avait plus aucune barrière, donc rien n’allait empêcher Bertille de retrouver Victoria et Orchide, Michael. C’était parfait. Enfin, c’était ce qu’elle pensait, mais elle allait rapidement déchanter.

Bertille avait le sentiment de ne plus vivre pour rien, comme si tout ce qu’elle avait enduré, tout ce qu’elle avait vécu, tout ce qui l’avait encouragé à survivre n’avait jamais été qu’un tissu infect de mensonges. Elle se sentait fatiguée, démunie, comme privée de tout ce qu’il lui restait encore d’elle. Elle s’était toujours sentie incomplète, elle avait cru que quand elle retrouverait Victoria, elle saurait de nouveau revenir à elle-même… Et maintenant, elle ne savait plus qui elle était ni pourquoi elle vivait. Elle ne savait plus rien… Sa place, sa raison d’être, son devenir… Elle songeait qu’elle n’était retenue à la vi que par un fil d’une finesse remarquable, parce que Nathaniel était enfermé et qu’elle voulait le secourir… Mais après ça ? Plus rien. Même la promesse qu’elle avait faite à Orchide lui paraissait à présent dérisoire. Rien n’importait, rien ne comptait, tout était faussé… Victoria était morte, et Bertille ne savait plus vivre.

Elle n’avait pas quitté son lit depuis son retour chez elle, après sa conversation houleuse avec Anthony, venu lui confirmer les dires de cette fille étrange, Eleonore, qui s’était prétendue l’amie de Nathaniel, et qu’elle était obligée de croire à présent. Orchide n’était pas là. C’était tant mieux, sans doute, la jeune femme ne se sentait pas capable de dire quoi que ce soit. Elle aurait voulu fermer les yeux, plonger dans un profond sommeil et si possible ne jamais se réveiller, mais elle avait beau vouloir, le sommeil ne voulait pas d’elle, avec cet odieux sentiment qu’il ne voudrait plus jamais d’elle dorénavant.

Combien de temps s’était écoulé avant qu’Orchide ne revienne, elle n’en savait rien. Elle se redressa vaguement en l’entendant l’appeler, essuya ses yeux humide et épuisé d’un revers de sa manche. Orchide paraissait d’excellente humeur. Et Bertille n’aurait pas pu imaginer un tel contraste avec son état d’esprit. Elle chercha à se composer une figure et une attitude détachée, d’abord, quand son amie vint la trouver. Mais ça ne dura pas longtemps. Il n’y avait plus de barrière. Elles allaient pouvoir traverser l’océan. Elle allait pouvoir retrouver sa fille. Ces mots glissèrent sur elle comme s’ils étaient lointain. Sa fille. Jamais elle ne retrouverait sa fille, jamais.

Elle tenta de prononcer un mot, deux. Aucun son ne s’échappa de ses lèvres. A la place, un sanglot, puis un autre : elle fondit en larmes. Elle avait pour principe de ne jamais pleurer, elle voulait croire que personne au monde ne méritait ses larmes. Mais si, quelqu’un le méritait. Victoria le méritait… autant qu’elle n’avait pas mérité son sort.

-Elle est morte, finit-elle par articuler alors, sans contexte ni explication, parce que c’est tout ce qu’elle réussissait finalement à dire. Un horrible constat. Amer… qui le rendait plus réel que jamais. Victoria est morte.

Et elle, elle ne savait plus du tout ce qu’elle allait devenir. Sa fille, l’océan… Cet endroit. Tout. Tout était flou. Plus rien n’avait de sens, plus rien ne comptait réellement. Et elle-même ne comptait plus pour rien.

Orchide s’attendait à ce que Bertille saute de joie comme elle était capable de le faire en cet instant précis. Elle avait attendu pendant si longtemps de pouvoir traverser l’océan pour retrouver le garçon qui avait détruit sa famille. Maintenant, elles étaient sur la même longueur d’onde, elles allaient pouvoir traverser cet océan et en prime elles n’avaient pas besoin de chercher une solution pour passer de l’autre côté, il suffisait simplement qu’elle trouve une embarcation et qu’elles se lancent. Parce qu’il n’y avait plus de barrière et donc c’était juste simple. Bertille allait donc pouvoir retrouver sa fille facilement. Enfin, facilement c’était peut-être un peu rapidement dit, mais au moins elles pouvaient passer de l’autre côté facilement et ça leur permettait d’approcher un peu plus de leur objectif. Bientôt, Bertille allait donc retrouver Victoria et Orchide s’attendait à ce qu’elle soit heureuse.

Mais ce ne fut pas le cas. Orchide ne comprit pas quand elle commença à voir des larmes couler le long des joues de son amie. Forcément, la demi-ogresse s’inquiéta immédiatement pour elle, se demandant ce qui pouvait bien arriver. Elle avait envie de lui poser tout un tas de question, mais elle voyait bien que Bertille essayait de lui dire quelque chose. Et elle finit par lui dire… Elle était morte, Victoria était morte. La joie et l’enthousiasme que Orchide ressentait jusqu’à présent disparu aussitôt en entendant les mots de Bertille.

« Comment ? » Demanda-t-elle, tentant d’analyser un peu la situation. Comment elle pouvait apprendre tout d’un coup que la fille de son amie était morte ? Qu’est-ce qui s’était passé ? Il y avait tout un tas de question qu’elle se posait. Elle n’avait pas envie d’envahir la jeune femme de question non plus, mais en même temps elle se posait des questions, elle avait envie d’en savoir plus. Pas par curiosité malsaine ou autre, simplement parce que c’était un but qu’elles avaient depuis qu’elles se connaissaient, retrouver Victoria comme Orchide souhaitait retrouver ce Michael.

Cela dit avant de dire quoi que ce soit, la demi-ogresse brisa quand même l’espace entre elle et son amie pour la prendre dans ses bras. Elle sentait bien que Bertille n’était pas bien – en même temps, ça se voyait quand même, elle ne l’avait jamais vu pleurer depuis qu’elle la connaissait, et pourtant on ne pouvait pas dire que la jeune femme avait eu une vie facile –, elle avait envie de la soutenir. Et pas seulement parce que ça changeait leur plan, surtout parce que Bertille était sa seule amie, sa seule famille à présent et qu’elle ne supportait pas de la voir dans un tel état. Orchide n’en revenait pas du changement d’atmosphère tout d’un coup. Alors que Orchide était au sommet de la joie parce qu’elle pensait qu’elle allait enfin pouvoir venger sa famille, elle découvrait que la fille de Bertille était morte, alors que c’était l’une des personnes qu’elle cherchait.

Bertille ne fut pas capable de répondre quoi que ce soit quand en un seul mot, Orchide sembla lui poser un bon milliard de questions. Elle avait envie de lui apprendre ce qu'il en était, elle avait envie de lui faire le récit détaillé de la situation, elle avait envie de lui apprendre dans le détail ce qu'elle avait appris elle-même, mais les mots restaient bloqués au creux de sa gorge, elle ne réussissait pas à les faire dépasser du seuil de ses lèvres. La douleur était trop terrible, prégnante, et elle ne réussissait qu'à pleurer, encore et encore, toutes les larmes de son coeur.

Bertille se laissa entièrement sombrer dans les bras de son amie, son unique amie, et elle ne suit combien de temps elle resta là, à se satisfaire de cette étreinte, sanglotante. Elle savait simplement que ce geste amical lui faisait du bien. Bertille n'aurait plus rien si elle n'avait Orchide. Elle était la seule raison qu'il lui restait encore de se battre, de survivre... Parce que la demi-ogresse aussi n'avait qu'elle. Elle et son désir de vengeance. La jeune femme serait-elle capable de supporter ce constat ? En cet instant, Bertille se sentait un peu mieux, parce que Orchide était à ses côtés.

Ce n'était pas ce qui allait lui rendre sa fille, mais c'était ce qui lui rendait un semblant d'espoir... Ce ne fut qu'après ces longues minutes de sanglot silencieux, qu'elle parvint à reprendre une contenance. Elle se recula d'un léger pas, essuya son visage d'un revers de manche et prit une grande inspiration. Dans tous les cas, il fallait qu'elle parle, qu'elle exorcise. Il le fallait vraiment. Garder tout cela pour elle... elle allait exploser.

-Mon père a fini par la trouver trop encombrante. Il l'a fait assassiner. C'est sa soeur... enfin, sa soeur adoptive, qui me l'a apprit.

Beaucoup d'information en très peu de temps, beaucoup d'informations qui en dissimulaient bien plus. Elle avait prononcé ces mots, "mon père", avec un dégoût certain et affiché. Elle le haïssait tant... mais pour admettre toute l'horreur de la situation, il fallait au moins mettre ceci au clair. En faisant tuer Victoria, Edgar avait commandité l'assassinat de sa propre fille. Quant aux circonstances de sa rencontre avec Eleonore, elle-même n'y voyait pas encore suffisamment clair pour savoir mettre des mots sur tout cela. Tout ce qu'elle avait cru, s'était imaginée, tout s'évaporait, tout partait soudainement en fumée... Elle-même ne savait plus qu'en dire ni plus qu'en penser... Elle avait juste besoin qu'Orchide lui assure de rester à son côté, quand bien même Bertille ne savait plus ce que ça signifiait, ce qu'allaient être à présent ses ambitions, et de quelle façon les choses allaient se passer à présent.

-L'autre royaume... c'est ce qu'ils disent des personnes qu'ils tuent ou font emprisonner. Elle marqua une légère pause. Michael est peut-être mort, lui aussi.

Orchide n’en revenait pas de découvrir que la fille de Bertille était morte, mais elle avait de toute façon besoin d’explication, elle avait besoin de comprendre et surtout de savoir comment c’était possible que la fille de Bertille soit morte, alors qu’elles avaient appris qu’elle était passé dans l’autre monde. Mais pour l’heure, la demi-ogresse se contenta surtout de garder son amie dans ses bras, pour lui communiquer tout son soutien. Elle était bien placée pour savoir que la jeune femme tenait à trouver sa fille, qu’elle avait besoin de la revoir. Elle faisait tout pour la retrouver, elle cherchait à la revoir, et ça depuis de nombreuses années. C’était ce qui lui avait permis de tenir tout ce temps et maintenant, elle apprenait qu’elle n’était plus. Orchide ne pouvait pas complètement se mettre à la place de Bertille, mais en même temps elle était capable de savoir ce que c’était que de tout perdre. Parce que de son côté, elle avait tout perdue également.

Finalement, après un long moment, Bertille reprit la parole, apprenant à Orchide l’horrible vérité. Son père, le roi donc, avait fini par se dire que Victoria était trop encombrante. Est-ce que Orchide était réellement surprise ? Non pas vraiment non. Il avait donc fait assassiner la jeune fille. La demi-ogresse serra des dents en entendant ces mots, elle n’en revenait pas qu’il en soit arrivé là. Et c’était apparemment… la sœur adoptive de Victoria qui lui avait appris. Orchide ne savait pas du tout comment assimiler toutes les informations que son amie était en train de lui donner. La sœur adoptive de Victoria ? Son père qui l’avait tué. Et on en revenait toujours au même, elles étaient si sûres qu’elles se trouvaient dans l’autre monde. Mais avant que Orchide n’ait eu le temps de poser de nouvelle question, la jeune femme reprit la parole. L’autre monde, c’était ce qu’on disait des personnes qui était mortes ou emprisonner. Encore une fois, ce n’était pas entièrement quelque chose qui devait surprendre Orchide, mais l’information n’était pas des plus évidente à entendre. Surtout quand Bertille mentionna Michael.

« Non, il ne peut pas être mort. » La demi-ogresse ne devrait peut-être pas se faire de faux espoirs, mais il était impossible qu’elle commence à se dire que le jeune homme qui avait prit la vie de toute sa famille puisse avoir disparu, sans qu’elle n’ait rien fait. Il était hors de question que ça arrive, même si elle ne pouvait pas réellement le décider non plus. Même si ça remettait forcément en cause le fait que Michael puisse se trouver de l’autre côté. « Ça veut dire que ta fille n’a jamais été dans l’autre monde ? »

Elle n’y pouvait rien, elle avait besoin de savoir, elle avait besoin d’avoir confirmation. Parce qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de se demander en même temps comment les choses allaient se passer maintenant, ce que Bertille allait faire.

Bertille se doutait de ce qu'allait être la réaction de sa meilleure amie. A force, elle la connaissait par coeur, elle savait pertinemment qu'elle n'allait pas se contenter d'encaisser la nouvelle sans rien dire, c'était même impossible. Cela faisait des années qu'elle ruminait sa vengeance, elle ne laisserait pas les circonstances la lui enlever, peu importe comment. Mais si Michael était mort, il ne serait pas possible de le rescusciter, tout comme Bertille devait renoncer à espérer serrer un jour sa fille dans ses bras. Elle comprenait qu'Orchide ne veuille pas se satisfaire de sa suggestion, qu'elle veuille tout de même tenter par tous les moyens de retrouver le garçon qui avait tué son père (qui l'avait quand même sérieusement mérité, mais c'était un débat dans lequel Bertille ne rentrait jamais, c'était préférable elle l'avait bien compris) et brisé sa famille. Il fallait tout de même qu'elles prennent en considération les nouvelles informations dont elles disposaient, parce que malheureusement, elles étaient immuables : Victoria était morte et tout ce qu'elles avaient pensé savoir au sujet du royaume du bout de l'océan n'était jamais qu'un épais tissu de mensonge. Bertille fit non de la tête quand Orchide lui demanda si sa fille avait un jour été dans l'autre monde.

Bien sûr, elle n'avait aucune preuve concrète de ce qu'elle avançait, et peut-être qu'elle ne pouvait pas réellement faire confiance à cette jeune femme qu'elle ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam et qui s'étaient ainsi permis de briser ses rêves et ses espoirs en quelques mots. Mais tout ce qu'elle lui avait dit faisait sens, et surtout, elle n'aurait pas élaboré un mensonge aussi tarabiscoté sans raison. Il avait une origine valable. Non, Victoria ne s'était pas mariée de l'autre côté de l'océan. Le jour où tout le monde était venu lui prêter hommage sur la place qui longeait Piquiiel, ce n'était pas pour lui souhaiter une vie maritale longue et heureuse, c'était parce qu'elle avait lâché son dernier souffle... Bien sûr, la plupart des personnes présentes ne devaient pas le savoir, mais ça ne changeait rien. C'était du Edgar tout craché, somme toute. De sa part, Bertille ne devait pas s'attendre à autre chose, en même temps. Elle ne savait pas ce qu'elle s'était imaginée, en fait.

-Non, jamais. Elle poussa un léger soupir. Si tu veux, si c'est possible, si tu veux en avoir le coeur net, on ira de l'autre côté et on cherchera Michael mais... Tu ne dois pas trop espérer. Elle marqua une pause. Et j'aimerais qu'on fasse un détour quelque part avant.

Cette fameuse île des soupirs où le cadavre de sa fille avait été abandonné. Elle avait besoin de s'y rendre pour comprendre... Et elle pensait que cela aiderait aussi Orchide à comprendre.

Ainsi donc, Victoria ne s’était jamais rendue de l’autre côté de l’océan, elle ne s’était pas mariée de l’autre côté. Orchide n’osait pas imaginer ce que ressentait Bertille, parce que de son côté, elle était incapable de se dire que c’était la même chose concernant Michael. Bon, en même temps, Orchide n’avait pas du tout le même attachement avec Michael que Bertille avec Victoria, sa meilleure amie avait envie de retrouver sa fille pour la prendre dans ses bras, pour lui dire qu’elle était sa mère, pour vivre avec elle. Quand de son côté, Orchide avait simplement envie de prendre une vie, afin de venger celles qu’elle avait perdues. Ce n’était pas du tout la même chose qu’elles vivaient donc, et Orchide était incapable de se mettre à la place de son amie. Cela dit, elle compatissait quand même énormément à ce que ressentait Bertille. Elle ne pouvait pas comprendre, mais elle se permettait quand même d’affirmer qu’elle comprenait que c’était difficile. Elle ne savait pas vraiment comment faire pour la soutenir comme il le faudrait, elle avait envie de le faire, mais ce n’était pas évident donc…

Bertille reprit en affirmant que si c’était possible et qu’elle ait bel et bien envie d’en avoir le cœur net concernant Michael, elles allaient pouvoir aller de l’autre côté et le chercher. Orchide serra des dents quand elle entendit sa meilleure amie affirmer qu’elle ne devait pas trop espérer. Elle avait envie de répliquer quelque chose, de se montrait peut-être un peu trop radicale. Elle n’avait aucune envie de se prendre la tête avec sa meilleure amie, surtout en cet instant précis où elle venait de lui apprendre que Victoria était morte. Mais elle n’eut pas le temps de répondre quoi que ce soit, Bertille avait reprit en affirmant qu’elle aimerait qu’elles fassent un détour quelque part avant.

« Tu voudras aller où ? » Demanda-t-elle, parce que forcément elle ne pouvait pas s’empêcher de se poser la question.

Ça n’enlevait pas le fait qu’elle n’avait aucune envie de penser que Michael puisse être mort, il était hors de question qu’elle se mette cette idée en tête. C’était hors de question, ce jeune homme devait forcément être en vie, il fallait qu’il soit en vie pour qu’elle puisse le tuer de ses propres mains. Si jamais quelqu’un avait pris la vie de ce Michael, c’était évident que Orchide aurait un vide dans son existence, parce que c’était un peu autour de tout cela que sa vie tournait depuis ce moment, son envie de se venger. Mais elle avait quand même envie de savoir où son amie avait envie de se rendre avant de se rendre de l’autre côté de l’océan. Elle était quand même heureuse d’entendre son amie affirmer qu’elles allaient quand même se rendre dans le royaume du bout de l’océan ensemble, que même si Victoria ne sera jamais capable d’être retrouvé, Bertille ne l’abandonnerait pas. Elle en était heureuse forcément, même si elle espérait que Bertille n’allait pas seulement lui dire encore et encore de perdre espoir.

Bertille connaissait suffisamment Orchide pour savoir qu'elle ne se laisserait pas convaincre par ses paroles, même si elles étaient bien intentionnées. Elle la connaissait par coeur. C'était logique, elles vivaient ensemble depuis des années, et elles avaient en commun cette même fierté, elles ne supportaient pas d'avoir tort. Surtout quelque chose d'aussi important, d'aussi grave. C'était compréhensible, évidemment. Si Orchide avait dû essayer de la convaincre du fait que Victoria était décédée, elle aussi aurait fait la sourde oreille...

Alors autant ne pas insister. Bertille n'était pas aussi obstinément désireuse de mettre fin aux jours de ce jeune homme qui, autrefois, avait tué avant tout pour protéger sa vie et celle de ses frères, mais elle tiendrait sa promesse d'aider Orchide, et elle la tiendrait avec autant de volonté et de détermination que... eh bien, il ne lui restait pas grand-chose. Aider Orchide à retrouver Michael, réussir à libérer Nathaniel de l'emprise de son père... c'était tout ce qu'il lui restait. Rien d'autre. Alors soit, elles iraient de l'autre côté de l'océan, puisque c'était à présent possible, et Bertille tairait toutes ses réticences concernant Michael. C'était l'espoir qui portait Orchide, tout comme c'était cet espoir qui l'avait portée, elle... Si elle ne devait pas parvenir à la convaincre, ou au moins à réduire ses attentes, elle devait du moins rester à ses côtés.

-L'île des soupirs. C'est là que Nathaniel était enfermée, il y a une prison là-bas. Ils se sont tous échappés.

Son résumé était concis, mais elle était encore sous le coup de l'émotion. Elle avait grand peine à articuler ses propos de manière construite et cohérente. Il lui restait elle-même de nombreuses questions auxquelles elle n'était toujours pas parvenue à répondre malgré ses efforts. Et il lui faudrait du temps pour vraiment parvenir à bout de tout ça et pour comprendre réellement de quoi il retournait. C'était aussi pour cette raison qu'elle tenait à voir l'île et la prison. Elle tenait à les voir de ses propres yeux.

-Et il y a un cimetière aussi. Et... Elle déglutit avec difficulté. Une fosse commune.

Elle ne pensait pas qu'il soit vraiment nécessaire de préciser le fait que dans cette fosse commune, il y avait Victoria. Retrouver le cadavre de sa fille, qui à ce stade avait sans doute déjà atteint un niveau de décomposition tel qu'elle serait très certainement méconnaissable dans tous les cas, ce n'était pas forcément l'idée du siècle, mais Bertille était tout de même décidée. Elle devait retrouver sa fille, la voir, même si c'était... dans cet état. Elle devait se recueillir, accepter la réalité crue, sans artifice. Elle devait offrir une tombe décente à sa fille. Et aussi, elle voulait voir de ces propres yeux cette prison à laquelle elle avait elle-même échappée, parce que son père avait dû estimer faire preuve de clémence en l'enfermant dans une tour.

Orchide appréciait bien sûr énormément que Bertille accepte de l’accompagner quand même de l’autre côté de l’océan, pour qu’elle puisse retrouver Michael. Parce que c’était là où il était, parce qu’il était hors de question qu’il soit mort. Orchide n’y croyait pas une seule seconde, pas parce qu’il tenait à ce qu’il ait une vie heureuse et joyeuse (même si en un sens, ça serait encore plus jouissif de tout lui prendre), mais parce qu’il fallait que ça soit elle qui le tue pour venger ses sœurs. C’était aussi simple que ça. Elle ne laisserait rien l’empêcher d’avoir sa vengeance encore moins… Bertille. Mais elle pouvait compter sur son amie et heureusement, sinon il était évident qu’elle lui en voudrait sacrément.

La demi-ogresse se doutait que c’était difficile pour Bertille de découvrir que sa fille était morte et elle devait mettre beaucoup de chose en perspective. C’était pour ça qu’elle était prête à accepter de lui accorder ce qu’elle voulait, pour peu qu’elles puissent bel et bien se rendre de l’autre côté de l’océan ensemble. Bertille lui parla de l’île des soupirs, l’endroit où Nathaniel avait été enfermé, une prison, et les prisonniers qui s’étaient évadés. Ça semblait un peu concis à Orchide, mais elle n’en demanda pas plus. De toute façon, Bertille reprit pour expliquer qu’en plus de cette prison, il y avait un cimetière et une fosse commune.

Orchide comprit ce que Bertille voulait faire. Elle n’avait pas besoin de lui dire que sa fille s’y trouvait pour comprendre que justement elle s’y trouvait. Et que c’était pour ça qu’elle tenait à s’y rendre, parce qu’elle avait envie de voir sa fille, qui devait être dans un état horrible. Orchide n’était vraiment pas sûr que ça soit une bonne idée, et elle n’allait pas manquer de l’exprimer.

« Je ne crois pas que ça soit une bonne idée que tu y ailles. » Rétorqua-t-elle, peut-être un peu abruptement. Mais elle disait ça dans le but de protéger sa meilleure amie, parce qu’elle n’avait aucune envie qu’elle se fasse du mal à voir le corps sans vie de Victoria. Elle trouvait ça malsain, elle n’allait pas faire semblant de trouver ça bien. Cependant, ce n’était pas parce qu’elle affirmait qu’elle considérait que c’était une mauvaise idée, qu’elle allait empêcher vraiment son ami de le faire. À choisir, elle espérait quand même réussir à la convaincre de ne pas le faire, mais elle savait qu’elle était un peu trop têtue pour la faire changer d’avis. Comme elle-même et Bertille acceptait de la suivre malgré qu’elle n’avait plus rien à trouver de l’autre côté de l’océan, elle ne pouvait pas l’abandonner elle de son côté. « Mais si tu y tiens vraiment, on pourra voir pour y aller avant. Même si tu ne devrais pas. »

Orchide n’avait pas envie de blesser Bertille, elle disait simplement ce qu’elle pensait et ce qu’elle pensait là tout de suite, c’était que ce n’était pas une bonne idée pour sa meilleure amie d’aller voir le corps de sa fille.

Bertille savait qu'en se confiant à Orchide, elle prenait le risque de l'entendre lui dire ce qu'elle n'avait pas envie d'entendre, mais c'était là une chose qu'elle attendait aussi de sa part, à vrai dire. Ce n'était bien sûr pas agréable que d'être remise à sa place par sa meilleure amie ou que d'entendre une personne que l'on estimait ne pas être d'accord avec nous, mais la jeune femme était tout de même toujours heureuse de pouvoir compter sur l'opinion sans filtre de sa meilleure amie. Sa franchise totale avait régulièrement engendré des frictions entre elles (mais jamais rien de grave), mais elle avait eu le mérite de ne jamais laisser Bertille se reposer sur ses lauriers. Combien de fois la jeune femme s'était-elle remise en question après une réflexion d'Orchide ? Trop de fois pour les dénombrer, honnêtement, et c'était tant mieux. La jeune femme avait cruellement besoin de cela, elle avait besoin de confronter son opinion, car elle savait qu'elle pouvait se laisser régulièrement dépasser par ses émotions et des acquis d'un temps passé qui était pourtant révolu.

Alors oui, elle n'avait pas voulu entendre Orchide lui répliquer si directement que retrouver le cadavre de sa fille sur l'île des Soupirs était une mauvaise idée, mais elle l'acceptait. Et elle s'y attendait un peu dans le même temps, c'est vrai aussi. Elle n'avait pas besoin d'entendre les arguments de sa meilleure amie, elle savait à quoi ils ressembleraient, et elle ne pourrait évidemment pas la contredire. En effet, voir Victoria en chair (ce qu'il en resterait) et en os, ça ne ferait sans doute que retourner le couteau dans la plaie, ajouter du sel sur une plaie béante. Mais elle n'y pouvait rien, elle pensait que c'était une étape essentielle pour elle. Douloureuse, certes, mais du moins nécessaire. Elle avait besoin de voir sa fille pour y croire, elle avait besoin de poser les yeux sur l'horreur pour se faire une meilleure idée de comment agir ensuite, s'il pouvait seulement y avoir une bonne manière d'agir (sans doute pas, en vérité). Bertille avait envie de rétorquer, que c'était une idée tout aussi mauvaise de traverser l'océan dans l'espoir de retrouver Michael alors qu'il n'y avait aucune chance qu'il s'y trouve, et encore moins vivant, mais à part enflammer le débat, ça ne les mènerait nulle part. Orchide acceptait qu'elles se rendent sur l'île des Soupirs en dépit de ses réticences, c'était absolument tout ce que Bertille demandait, rien de plus, rien de moins. Et tant qu'elle lui accordait cela, alors tout irait bien.

-Je sais ce que tu penses, mais j'ai besoin de la voir. Tant que je ne l'aurais pas vue, ce ne sera pas réel, tu comprends ? Tant que je ne l'aurais pas vue, j'aurais toujours le sentiment qu'elle est... vivante. Et puis, je veux comprendre ce qui est arrivé à tous ceux qui ont fini là-bas.

C’était définitivement une mauvaise idée et puisque Orchide le pensait, elle n’allait pas se retenir de le dire. C’était comme ça, quand Orchide avait quelque chose à dire, elle le disait. Ça ne servait absolument à rien de garder pour soit les choses, surtout quand il était question de protéger ses proches. Parce qu’évidemment, la demi-ogresse ne disait pas ça dans le but de blesser son amie, si elle lui disait ça, c’était vraiment dans le but de la protéger et de lui éviter de faire n’importe quoi. Voir le corps de sa fille, ça n’allait pas l’aider. Du moins, c’était comme ça qu’elle voyait les choses. Elle ne ferait qu’ouvrir un peu plus une blessure déjà beaucoup plus grande. Après tout, Orchide avait eu l’occasion de voir ses sœurs se faire manger par son père, de voir le corps de sa mère et on ne pouvait pas réellement dire que ça l’avait aidé. Bon, il n’y avait pas réellement de rapport mais peu importait.

Enfin, Orchide se doutait que de toute façon, quoi qu’elle dise, Bertille était déterminée. Ce n’était pas pour rien qu’elle avait donc décidé d’accepter de la laisser se rendre sur cette île, sans cacher le fait que c’était à ses yeux une mauvaise idée quand même. Bertille lui expliqua que tant qu’elle n’aurait pas vu sa fille, ça serait comme si elle était encore en vie. Bon, peut-être qu’elle pouvait envisager qu’en effet ça pouvait aider en ce sens, mais elle continuait quand même de considérer que c’était une mauvaise idée et elle ne changerait pas d’avis à ce sujet. Mais el pire au final, c’était qu’elle précisa qu’elle avait envie de comprendre ce qui était arrivé à tous ceux qui avaient fini là-bas. Orchide ne put s’empêcher de croiser les bras et de toiser son ami du regard.

« Et tu feras quoi quand tu auras compris ce qui est arrivé à ces personnes ? » Demanda-t-elle, peut-être un peu sèchement.

Elles avaient des buts dans leurs vies, elles avaient des objectifs. D’accord, Bertille voyait son but quelque peu compromis puisque sa fille était morte et que elle avait eu surtout envie de la retrouver, mais ça n’enlevait pas le fait que Orchide trouvait que son amie dérivait beaucoup trop. Elle se demandait bien ce qu’elle comptait faire, dans quel plan elle avait envie de se lancer. En soit, elle ne pouvait pas reprocher à son amie de trouver un objectif à sa vie bien sûr, mais en même temps… elle n’avait pas spécialement envie de voir son amie l’abandonner parce qu’elle trouvait quelque chose à faire avec elle ne savait qui, pour venger elle ne savait qui. Alors qu’elle lui avait promis de l’aider à retrouver celui qui avait brisé sa famille et de l’aider à se venger pour ce qu’il avait fait. Si elle devait faire quelque chose pour quelqu’un, c’était ça, pour elle et pas pour des parfaits inconnus qui se trouvaient sur une ile qu’elles ne connaissaient pas.

Bertille se sentait accusée, acculée. Elle peinait encore à se remettre de la vérité, et voilà qu'on la pressait de prendre des décisions pour la suite. Sauf qu'elle n'en savait tout simplement rien. C'était toute sa vie qu'elle remettait en question à présent qu'elle faisait que Victoria n'en ferait jamais partie. Elle n'oubliait pas ses engagements auprès d'Orchide, mais elle ne pouvait décemment pas faire comme si de rien n'était, ou n'avoir pour projet que de défendre Orchide. Tout était beaucoup plus compliqué que cela : il y avait Victoria, il y avait Anthony, il y avait son père, il y avait Nathaniel, enfermé, et qui avait besoin qu'on le libère... elle ne pouvait faire abstraction de ces informations. Elle avait fait de son mieux pour survivre aux circonstances, et la demi-ogresse l'y avait plus que largement aidée, mais elle n'en était pas moins... en quête. Si elle ne vivait pas pour Victoria, si elle ne survivait pas en son nom, alors pourquoi vivait-elle ? Pour Orchide, peut-être. Et en soi, c'était en partie le cas déjà, depuis un moment. Mais ça ne suffisait pas, pas complètement...

-J'en sais rien, Orchide, d'accord ? répliqua Victoria, tendu.

Elle connaissait Orchide, elle la connaissait par coeur, elle savait que si elle se montrait aussi sèche, ce n'était pas pour lui faire du mal mais parce qu'elle avait peur d'être abandonnée, mais elle avait beau le savoir, ça ne l'empêchait pas de ne pas apprécier le ton qu'elle employait. Elle devait maintenant porter le deuil de sa fille, elle voudrait pouvoir obtenir, de la part de sa meilleure amie, de sa soeur de coeur, plus de soutien que d'accusations silentieuses.

-J'ai juste besoin de savoir, c'est tout. Et puis, si ça se trouve, Michael y a aussi été, sur cette île, alors ça peut autant te concerner que moi, ajouta-t-elle comme dans l'espoir d'un argument choc.

Et elle ne pensait pas que ce soit si faux, après tout, si tout ce qui concernait le royaume du bout de l'océan relevait en grande partie du mythe, alors il fallait accepter que ce genre de théories puissent être vraies, même si déplaisantes. Elle reprit, plus sérieusement.

-Je te lâche pas, d'accord, mais tu peux comprendre que j'aie besoin de ça, non ?

C'était de sa fille qu'il s'agissait, la chair de sa chair. Il ne s'était pas écoulé un jour depuis sa naissance, depuis l'instant où on l'avait privée d'elle, sans qu'elle ait pensé à elle. Orchide le savait, elle lui en avait suffisamment parlé pour qu'elle ne puisse avoir aucun doute à ce sujet. Et elle avait besoin qu'elle l'accompagne, qu'elle la suive sur ce coup, tout comme Bertille avait promis de suivre Orchide dans ses projets de vengeance.

Orchide ne devait sans doute pas se montrer pressante, mais elle avait besoin de réponse. Bertille prenait de nouvelles décisions, mais la demi-ogresse avait besoin de s’assurer qu’elles allaient quand même sur le même chemin, elle voulait juste savoir ce que sa meilleure amie voulait faire. Et elle ne trouvait pas que ça soit si énorme que ça, c’était juste normal. Même si Orchide avait bien conscience que parfois, il lui arrivait de manquer un peu de tact. Sauf qu’on ne lui avait jamais appris à elle à avoir du tact, elle disait les choses comme elle le pensait, elle n’avait pas spécialement l’habitude de prendre des ronds de jambe pour parler de quelque chose. Au moins, les choses étaient dites quand il fallait les dire et ce n’était vraiment pas quelque chose de mal à ses yeux.

Bertille ne savait donc pas ce qu’elle allait faire quand elle allait comprendre ce qui était arrivé à ces personnes. Dans tous les cas, elle avait besoin de le savoir. Orchide se retint de lever les yeux au ciel, ce n’était pas une réponse à ses yeux, mais soit. Elle croisa des bras par contre en entendant sa meilleure amie affirmer qu’il n’était pas impossible que Michael se trouve sur cette ile également, ou en tout cas qu’il y soit passé. Elle ne voulait pas le croire, Michael se trouvait de l’autre côté de l’océan, c’était pour ça qu’elles avaient cet objectif. Et elle ne changerait pas d’avis. Et en même temps… elles pensaient que Victoria y était aussi, avant de découvrir qu’elle se trouvait sur cette île. Elle n’aimait pas devoir donner raison à Bertille, mais en effet peut-être que ça valait quand même le coup qu’elle y fasse un tour. Même si elle n’avait pas l’intention de réellement le dire.

« Je peux comprendre oui. » Répondit-elle, sèchement encore, toujours les bras croiser, quand sa meilleure amie lui demanda si elle pouvait comprendre qu’elle avait besoin de ça. Oui, elle était capable de le comprendre, surtout si en prime Bertille lui préciser qu’elle n’allait pas la lâcher. C’était très clairement ce dont elle avait le plus peur, que sa meilleure amie, sa sœur de cœur, finisse par l’abandonner parce qu’elle n’avait plus besoin d’elle… parce qu’elle avait trouvé mieux ailleurs. Mais elle ne ferait jamais ça non ? Elle tentait de s’en convaincre et en même temps, elle ne pouvait pas s’empêcher d’en avoir peur. « Et je t’ai dit qu’on irait si tu veux. » Même si elle ne cachait toujours pas le fait qu’elle trouvait que c’était une mauvaise idée. « Mais… » Orchide hésita un peu, elle tentait pour une fois de trouver des mots un peu délicats quand même, histoire de ne pas se montrer trop sèche. « Tu ne dois rien à ces gens tu sais ? Ils t’ont tous abandonné… quoi que tu découvres là-bas, tu ne leur dois rien et tu ne dois penser qu’à toi. »

À elle, ou… à elles surtout. Orchide n’avait aucune envie qu’en remuant trop le passé d’elle ne savait quoi, Orchide se retrouve à se rapprocher de ses anciens proches plus que d’elle.

Orchide avait beau dire qu'elle comprenait sa démarche et ses motivations, ce qui devait être en partie le cas, elle avait quand même le sentiment que quelque chose lui échappait, qu'elle restait tout de même incapable de se mettre à sa place. Ce n'était pas nouveau. Elles avaient beau s'entendre parfaitement bien, et Bertille avait beau considérer la demi-ogresse comme une soeur, ça ne changeait rien au fait qu'elles étaient toutes les deux très différentes, et qu'elles ne se seraient sans doute jamais hasardé l'une sur l'autre si de terribles circonstances ne les avaient pas poussées à se soutenir mutuellement dans une période où elles n'avaient plus personne, autant l'une que l'autre.

Donc oui, l'incompréhension régnait régulièrement entre elles, mais Bertille sentait que celle-ci était sans doute un peu trop complexe, un peu trop profonde. Et pour cause. Cela touchait à quelque chose d'infiniment personnel et singulier pour la princesse, quelque chose de suffisamment fort et singulier, en réalité, pour que les mots ne suffisent pas à l'exprimer. Elle savait qu'Orchide, si elle consentait à faire ce qu'elle demandait, et à faire un détour par l'île des Soupirs, ne le ferait jamais complètement avec une entière, pleine et totale motivation, c'était absolument impossible. Parce qu'elle était peut-être plus à même qu'elle de voir que dans sa détermination, il y avait quelque chose qui ne collait pas, qui ne pouvait tout simplement pas coller.

Preuve en était de ce "si tu veux" qu'elle ajoutait au moment de dire qu'elle était bel et bien prête à y aller, et qui signifiait donc que c'était une chose qui ne la touchait pas particulièrement, et qu'elle continuait de trouver vaine. Preuve en était également de ce "Mais" qui vint bien vite s'ajouter à son discours. Bien sûr, il y avait du vrai dans ce qu'elle disait. Elle ne devait rien à ces gens-là. Elle avait été livrée à elle-même tout ce temps, le monde lui avait tourné le dos, et par conséquent, elle devait tourner le dos au monde en retour, sauf qu'elle estimait que ce n'était pas tout à fait vrai.

-Peut-être qu'ils m'ont tous abandonnée. Le "peut-être" était de trop, ils l'avaient tous abandonnée, c'était comme ça, c'était un fait. [color:3338=#000000Mais c'est moi qui ai abandonné Victoria. Je n'ai pas su la protéger, et maintenant, je veux au moins être capable de lui dire au revoir en bonne et due forme. Je te promets qu'il n'est question que de ça.] J'ai juste besoin de faire mon deuil, et ne me dis pas que tu ne peux pas le comprendre, parce que c'est exactement pour ça que tu cours après Michael comme tu le fais.

Pas très subtile dans son discours, mais c'était ce qu'elle pensait. Sa vengeance tant espérée était sa manière à elle de faire son deuil, point.

-C'est parce que je pense à moi que je veux aller là-bas.

Peut-être ? Orchide trouvait que la manière dont sa sœur de cœur parlait était trop doux, comme bien souvent. Il n’y avait pas de « peut-être » qui tenait, toutes ces personnes avaient abandonné Bertille c’était un fait. Elle s’était retrouvée toute seule, abandonnée dans cette forêt, sans pouvoir compter sur quiconque avant de la rencontrer elle. Mais bon, Orchide n’allait pas relever les propos de son amie, elle savait bien que ça ne servait à rien. Bien souvent, dans ces conditions, les deux amies avaient quand même un peu de mal à se comprendre, elle n’était pas toujours sur la même longueur d’onde. Ce qui ne les empêchait pas de se soutenir coûte que coûte. Orchide trouvait que Bertille n’avait pas réellement besoin de se rendre sur cette île, qu’elle ne devait rien à personne, mais elle avait quand même l’intention de l’accompagner, de faire ce détour et c’était uniquement pour elle qu’elle le faisait. Elle l’acceptait parce que c’était une demande de sa meilleure amie, et parce qu’elle ferait tout pour Bertille. Même si elle ne prendrait pas pour autant la peine de sauter de joie et qu’elle ne manquera pas de lui dire ce qu’elle pensait, et de râler si cela était nécessaire à ses yeux.

Orchide avait du mal à comprendre la raison pour laquelle Bertille avait besoin de se rendre à cet endroit, mais alors qu’elle parlait de sa fille… la demi-ogresse devait bien reconnaître que les arguments étaient bons. Bertille n’avait pas réellement besoin de chercher à la convaincre, mais elle pouvait éventuellement comprendre un peu plus ce dont elle avait besoin en l’entendant lui expliquer qu’elle devait bien ça à Victoria, qu’elle avait besoin de se détour pour faire son deuil. Sa meilleure amie aurait mieux fait de se contenter de lui dire ça sans ajouter la fin, qui eut le don d’embrumer un peu la demi-ogresse. Orchide n’aimait pas quand sa meilleure amie se servait de Michael dans le but d’appuyer ses arguments, ça n’avait rien à voir à ses yeux, il n’y avait aucune comparaison possible. De toute façon, dès qu’il était question de ce sujet, la demi-ogresse se sentait directement agacé.

« Tu n’as pas besoin de m’attaquer pour appuyer tes arguments. Je t’ai dit que je venais avec toi, tu n’as pas à me convaincre. » Répondit-elle sur un ton sec.

Bon, en vérité, Orchide pouvait comprendre que Bertille cherche justement à lui expliquer sa position puisqu’elle devait sentir qu’elle n’adhérait pas complètement à la situation, mais elle n’aimait pas quand elle utilisait sa propre histoire pour lui retourner le cerveau. Elle l’accompagnerait quoi qu’il advienne, même si elle n’aimait pas l’idée, même si elle ne comprenait pas, elle serait quand même là pour son amie. C’était tout ce qui comptait non ?

« Si tu le fais pour toi, c’est tout ce qui compte. » Ajouta-t-elle, toujours renfrognée en croisant les bras.

Elle n’avait pas spécialement envie de montrer à Bertille qu’elle était agacée, mais c’était difficile pour elle de cacher ce qu’elle pensait.

Bertille savait bien qu'elle n'aurait pas dû évoquer le sujet de Michael comme elle l'avait fait, mais c'était une façon pour elle de se défendre, une manière de se protéger. Si elle ne se défendait pas en attaquant, elle ne se défendait pas tout court, parce qu'elle ne savait pas faire autrement. Elle avait besoin qu'Orchide la soutienne et la comprenne, envers et contre tout, elle avait besoin que sa soeur de coeur soit de son côté, quoi qu'il advienne. Dans un monde idéal, elle l'aurait écouté sans discuter, et elle n'aurait pas posé plus de questions... Mais les choses sont rarement si évidentes, en réalité, et il faut accepter que la situation soit plus complexe que cela. Elle ne devrait pas insister, certes, mais elle avait véritablement envie qu'Orchide approuve ses choix sans émettre autant de résistance. Ce n'était pas si simple... Loin d'être si simple, et il était logique que la jeune femme émette ses réserves et ses réticences... C'était bien normal, même. Et si Orchide n'était pas aussi décidée, pas aussi forte de ses opinions, Bertille tiendrait probablement moitié moins à elle.

-Je ne t'ai pas attaqué, c'est toi qui prends tout de travers, répliqua Bertille de mauvaise foi, en complétant son discours d'un clin d'oeil. Elle voulait que son amie se détendre et qu'elles puissent plaisanter de cette situation. Retiens juste que j'ai besoin de toi, d'accord ?

Parce que c'était la vérité : Bertille avait besoin de sa meilleure amie, elle en avait besoin plus que jamais. Sans elle, elle ne serait pas capable d'aller au bout de ses décisions, elle ne serait pas capable de voir les choses en face et de prendre les décisions qui s'imposent. Orchide l'avait toujours aidée, encouragée, soutenue... Elle voulait que ça continue d'être le cas... Tout comme Bertille voulait également encourager et soutenir son amie, même si ce n'était pas toujours si évident.

-Je le fais pour moi, reprit-elle ensuite. Pour qui d'autre ? J'ai que toi, je te rappelle. Et je le fais pas pour toi, de toute évidence.

Bon, d'accord, c'était hâtif comme discours, et ce n'était pas réellement représentatif de la réalité, mais peu importe, il était trop tard, à présent, pour faire marche arrière. Il était plus que temps de faire les choses bien, il était plus que temps de progresser au-delà du raisonnable.

-Faut le prendre comme une aventure, ajouta-t-elle, presque davantage pour se convaincre elle-même. Ce sera peut-être même drôle, va savoir ? Elle sourit, elle n'y croyait pas elle-même. On part dès demain alors prépare-toi, ajouta-t-elle comme si c'était décidé pour de bon, comme il n'y aurait pas de retour en arrière possible.