La loyauté est le sacrement suprême de l'amitié. [pv Aurore]

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a vie avait repris son cours avec tant de naturel que ce semblait presque inoncevable. Si on lui avait dit, il y a quelques semaine de cela à peine, qu'elle retrouverait son mari disparu, elle n'y aurait pas cru, pas même un seul instant, elle aurait reproché à cette personne d'avoir joué avec ses émotions. Et pourtant, elle en était là à ce jour : Geoffroy était là, de retour dans sa vie et dans son lit, et c'était comme si toutes ces années d'absence et de deuil n'avaient jamais existé.

Oh, bien sûr, certains éléments ne manquaient pas de rappeler au couple tout le temps qu'ils avaient perdu, à commencer par l'incapacité de la servante de la reine à avoir des enfants encore, mais pour le reste... Leur complicité la même. Le désir qu'ele avait de lui restait le même. Elle avait l'impression d'être attaché à lui autant que durant les premiers instants de leur relation, et elle se sentait heureuse comme elle ne l'avait plus été depuis longtemps, au point d'avoir oublié que l'on pouvait, justement, atteindre un tel seuil de bonheur en réalité...

Elle ne s'était pas sentie totalement malheureuse toutes ces années, après tout. Elle avait eu Aurore, elle avait eu Joseph, elle s'était façonnée une nouvelle vie... mais c'était comme si, depuis le retour de Geoffroy, elle était tout bonnement incapable de se rappeler comment elle avait vécu tout ce temps, alors qu'elle avait finalement passé plus de temps sans son mari qu'avec lui.

En tout cas, Jocaste était d'excellente humeur, à présent qu'elle avait retrouvé son époux, à plus forte raison que l'homme avait-il semblé avoir passé le test auprès de roi, puisque ce dernier avait décidé de le laisser libre de ses mouvements... ou en tout cas pour ce que Jocaste en savait. Et elle ne savait peut-être pas grand-chose, il est vrai. Elle aimait s'arrêter à ce qui lui était donné de voir, à savoir le fait que sa vie restait la même, mais en mieux.

Et le retour de Geoffroy n'ôtait évidemment rien à sa dévotion envers Aurore. Et c'était d'ailleurs elle qu'elle venait trouver dans ses appartement, un plateau à la main.

-Votre thé, ma reine, la salua-t-elle en inclinant légèrement la tête afin de s'annoncer auprès de la souveraine.

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ocaste était toujours disponible pour la reine, pas seulement parce que c'était sa fonction et qu'elle devait s'acquitter de cette tâche avec professionnalisme, mais parce qu'elle considérait Aurore comme une amie sincère, et qu'elle aimait passer du temps avec elle et parler. Elle aurait quitté directement les appartements de la reine si celle-ci l'avait exigé, mais puisqu'elle lui demandait comment elle se portait, Jocaste prenait cela comme une invitation à passer un moment privilégié avec elle, et elle acceptait cette invitation avec grand plaisir, d'autant qu'elles avaient sûrement beaucoup de choses à se dire depuis leur dernière longue conversation. En réponse, avant de dire quoi que ce soit, Jocaste hocha la tête.

-Je vais bien, je vous remercie.

Elle allait bien, en effet, elle se sentait vraiment heureuse depuis le retour de son époux, dans sa vie, heureuse au point de culpabiliser, quelques fois d'oser ressentir un bonheur accessible à très peu à l'heure où la joie n'était pas de mise. Elle savait que les circonstances devaient l'inviter à l'appréhension et à la prudence, mais elle n'y pouvait rien : quand Geoffroy était dans les parages, plus rien d'autre ne comptait. Elle se le reprochait très vite ensuite, mais jamais sur le moment.

Même si Geoffroy avait été irréprochable et n'avait donné aucune preuve d'une quelconque trahison, elle savait bien qu'il ne fallait pas rester sur cette seule impression, qu'elle devrait sans doute se montrer un peu plus défiante, mais tant pis... Elle ne parvenait pas à lutter contre ce qu'elle ressentait. Et elle ne voulait pas s'en cacher auprès de celle à qui elle pensait tout pouvoir confier. Et réciproquement, d'ailleurs. Surtout que quand il était question de Geoffroy, il était plus simple d'en parler librement avec la reine qu'avec Joseph, en compagnie duquel elle préférait largement éluder le sujet, tant qu'à faire.

-Et vous ? Elle savait que, dernièrement, la situation était particulièrement compliquée pour elle, et surtout, qu'elle se faisait une grande inquiétude pour son fils. Et elle n'était pas la seule. La servante de la reine également s'inquiétait grandement pour Gabriel, et sa conversation avec la prince n'avait en rien calmé ses appréhensions, bien au contraire. Non ça avait eu plutôt l'effet inverse au bout du compte. J'ai parlé un peu avec Gabriel, l'autre jour...

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a reine négligea sa première question, et Jocaste pouvait aisément le comprendre. Elle n'avait d'ailleurs pas besoin d'entendre la réponse de la reine pour deviner que cette dernière devait avoir connu des jours meilleurs, entre la tension ambiante et l'inquiétude qu'elle se faisait forcément pour tous les membres de sa famille, c'était quelque chose d'absolument normal. Ce que Jocaste avait à dire de Gabriel pouvait avoir une influence directe sur l'état d'esprit de la reine... malheureusement, la servante n'apportait pas vraiment de bonnes nouvelles.

Elle aurait voulu être capable de raisonner Gabriel, de le comprendre, mais quelque chose avait changé, chez le jeune prince. Et ce quelque chose était résolument alarmant. Aurore avait d'excellentes raisons de s'inquiéter pour son fils, et ce que Jocaste avait à lui dire ne serait pas là pour la rassurer. Cela dit, cela leur permettrait peut-être de prendre les mesures qui s'imposaient le concernant. S'il ne voulait pas accepter le dialogue, alors il devait y avoir d'autres options, d'autres possibilités. Jocaste ressentait le sentiment d'avoir échoué, elle avait presque l'impression d'avoir manqué à ses devoirs envers la famille royale, à ne pas savoir de quelle manière gérer Gabriel. Mais elle aurait du moins tenté.

-Mal, j'en ai peur, accepta-t-elle de répondre honnêtement. Elle voudrait avoir un discours moins négatif, mais elle ne voulait pas brosser un portrait trompeur dela situation. Il fallait la regarder en face, l'accepter telle qu'elle était. Je ne l'avais jamais vu ainsi. Si sombre, si amer... Il reproche à son père tout ce qu'il lui a dissimulé. J'ai bien essayé de lui raisonner, de lui faire comprendre que certains mensonges servaient le bien commun, mais il rumine envers le roi une rancoeur qui m'a inquiétée...

Le prince devait succéder à Edgar, apprendre de son règne et prendre exemple sur son digne enseignement. Mais ce n'est pas ce qui se passait, il s'éloignait, il oubliait ce qui devrait compter. Il était incapable de voir combien le royaume bénéficiait de la politique offerte par le roi. Il avait amené la lumière où la noirceur menaçait de l'emporter. Jocaste regrettait vraiment le prince doux, innocent et jovial qu'était Gabriel autrefois. Il paraissait loin, bien loin à présent... Beaucoup trop loin, à vrai dire. Et Jocaste ne voyait pas de quelle façon le ramener à la raison.

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ocaste avait beau être au service de la famille royale depuis des années, elle ne pouvait prétendre savoir précisément ce que les uns et les autres pensaient. Elle avait plus de facilités concernant Aurore, parce que cette dernière lui parlait souvent à coeur ouvert, c'était moins le cas concernant Gabriel, et encore moins concernant Edgar, qui restait le plus indéchiffrable des trois. Elle avait eu le sentiment, pour sa part, qu'Edgar et Gabriel s'entendaient bien, avant récemment.

Que le roi était certes un père sévère et intransigeant, mais qui aimait son fils et était respectée de lui. Mais Aurore était mieux placée qu'elle pour savoir ce qu'il en était. Quand elle affirmait que le roi et le prince ne s'étaient jamais complètement entendus et compris, elle ne pouvait donc qu'avoir foi dans les propos de la reine. En tous les cas, elles étaient d'accord sur ce point : la virulence dont Gabriel faisait preuve à l'adresse d'Edgar était une nouveauté, et une nouveauté particulièrement déplaisante.

Et cela datait certainement, en effet, du mariage de Gabriel. Jocaste le pensait elle aussi. Pourtant, avant les noces, Gabriel lui avait donné le sentiment d'être profondément amoureux d'Eleonore. Elle ne savait pas ce qui avait changé... Elle ignorait que la princesse qui vivait aux côtés du jeune homme n'était pas Eleonore, mais sa jumelle, qui avait, pour la peine, emprunté son nom. Elle se contentait de ce qu'elle était capable d'observer, mais elle aurait pour sa part tenu Eleonore comme une victime des circonstances, autant que Gabriel.

-Ces filles... ? demanda-t-elle, intriguée.

Et pour cause, pour Jocaste, il n'y en avait qu'une, qui était la princesse. Elle savait qu'Eleonore avait une soeur, oui, une jumelle qui plus est, mais elle n'y prenait pas vraiment garde, parce que cette soeur, elle ne l'avait pas revue depuis le mariage. Elle n'avait aucune idée de ce qui se jouait, de ce qui se tramait précisément.

Elle était dans les petits papier du roi et de la reine, mais il lui manquait plus d'une information cruciale qui pourrait éventuellement permettre d'y voir plus clair, et lui permettrait aussi de mieux comprendre le comportement de Gabriel, les raisons de son attitude qu'elle ne lui aurait vraiment pas imaginé auparavant. Bref, elle avait beau être aux premières loges, ce n'est pas pour autant qu'elle avait une pleine compréhension de la situation.

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ocaste était dans les petits papiers de la royauté, elle avait connu la première (et la dernière, qui sait, elle l'espérait encore sans y croire totalement pour autant) guerre, elle ne pensait pas être de ceux qui en ignoraient le plus sur Féerie, sa politique et son histoire. Et pourtant, au moment d'entendre les confidences de la reine, elle comprenait qu'elle était loin, vraiment très loin de tout savoir.

Sidérée, elle écouta le récit de son interlocutrice sans envisager un seul instant de l'interrompre en dépit de toutes les questions qui l'assaillaient à mesure qu'Aurore déroulait son récit. Eleonore n'était pas Eleonore, voilà déjà une information concernant laquelle la servante de la reine tombait complètement des nues. C'était donc Anna qui avait pris la place de sa soeur. Les deux étaient jumelles et elles se ressemblaient comme deux gouttes d'eau, Jocaste le savait pour avoir aperçu les deux ensemble, pour la première et dernière fois, lors du mariage d'Eleonore. Enfin, d'Anna, du coup.

Jocaste espérait avoir bien suivi toute l'histoire. Anna et Eleonore avaient convenu - entre elles ou avec le roi, va savoir - d'échanger leurs place. Anna était donc princesse, Eleonore avait rejoint le camp des rebelles, et Gabriel était donc amoureux de la mauvaise soeur (pour peu qu'il y ait une bonne soeur). Elle comprenait mieux le vague à l'âme de Gabriel. Il n'était pas seulement bouleversé par les révélations qui lui avaient été faites. Il vivait un chagrin d'amour. Et Jocaste était bien placée pour savoir combien les chagrins d'amour pouvaient être pour le moins irationnels. Elle gardait précieusement ces informations. Il serait plus simple de raisonner le jeune prince à présent qu'elle savait où était le problème.

-Si ces jeunes femmes sont vraiment le problème..., répondit posément Jocaste, qui essayait de trouver une solution rationnelle à une situation qui était bien loin de l'être. Alors, se débarrasser d'elles est sans doute la solution. Mais j'imagine que vous l'avez déjà envisagé.

Et bien évidemment, il parlait en premier lieu d'Anna, qui était celle dont, très clairement, il serait le plus simple de se débarrasser dans un premier temps. Ce n'était pas conventionnel. Mais aux grands maux les grands remèdes. Comment pouvait-on faire confiance à la jeune princesse quand on savant ce qu'elle avait été capable de manigancer précisément.

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ocaste devinait que si la solution de se débarrasser définitivement de la princesse encombrante pouvait être envisageable, le roi et la reine s'en seraient déjà saisis. Jocaste s'en serait-elle offusquée ? Pas le moins du monde. Pour le bien du royaume et de la royauté, il fallait savoir, en certaines circonstances, employer les mesures les plus drastiques. En l'occurrence, Anna n'avait de toute évidence pas sa place sur le trône, d'autant moins qu'elle avait manigancé pour obtenir cette place. Elle pouvait devenir une menace pour la Couronne, en plus de rendre Gabriel profondément malheureux. Certaines situations ne pouvaient connaître que des solutions radicales... Mais la dame de compagnie de la reine ne savait bien sûr pas tout de ce qui pouvait bien être en jeu dans toute cette affaire. Son regard sur la situation était par conséquent biaisé.

Aurore refusa donc sa proposition, observant qu'elle n'était pas certaine que cela rende service à Gabriel. Là-dessus, c'était difficile à dire. Gabriel était un jeune homme fondamentalement bon, c'était une immense qualité mais c'était aussi sa plus grande faiblesse. Même s'il ne l'aimait pas, il ne voudrait sans doute pas que le moindre mal arrive à la soeur jumelle d'Eleonore... Mais s'il était tenu à l'écart de toutes ces manigances, Jocaste songeait qu'il éussirait peut-être plus facilement à aller de l'avant. La princesse disparue du jour au lendemain, il serait peut-être plus facile de le recadrer... mais Jocaste ne pouvait pas prétendre connaître Gabriel mieux que ne le connaissait sa propre mère. Quant au roi, il avait sans doute d'excellentes raisons, en effet, de souhaiter que la situation demeure comme telle. Mais cela n'ôtait rien au fait que Jocaste se voyait mal l'accepter, purement et simplement, sans vouloir rien y faire. Elle aimerait apporter sa pierre à l'édifice, d'une façon ou d'une autre, permettre que cette situation se résolve le mieux possible.

-Une autre solution pourrait être éventuellement... d'isoler le prince un certain temps de l'éloigner du château, de ses fréquentations, de ses préoccupations... De lui trouver un maître d'armes et de le former à l'écart des tumultes du royaume ? De ne le faire revenir que lorsqu'il sera près à entièrement accomplir les fonctions qui doivent être les siennes. Et pendant ce temps, il sera sans doute possible de canaliser un peu la princesse afin qu'elle fasse le moins de vagues possible ?

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ocaste estimait que son idée n'était pas mauvaise. Certes, là n'était pas forcément sa place que de souffler à l'oreille de la reine des conseils que d'autres étaient bien plus légitimes à lui donner, mais elle ne s'exprimait pas tant en tant que conseillère qu'en tant qu'amie, une amie qui se faisait du souci pour Aurore autant que pour son fils. Elle faisait moins de cas de la jeune princesse, mais il fallait compter après elle dans tous les cas, et il valait mieux trouver une façon d'agir, peu importe laquelle.

Le souci, en effet, c'était qu'il fallait pouvoir confier le prince à une personne qui soit entièrement dévouée à la couronne, et qui ne risque pas de les trahir tous. Malheureusement, il était difficile de savoir à qui l'on pouvait réellement se fier en ces temps de crise. La servante de la reine réfléchissait à qui conseiller à la reine. Le nom de Joseph lui venait à l'esprit, elle était assez certaine que jamais son ami ne trahirait la famille royale, mais outre le fait que Joseph était sans doute bien trop précieux à la garde royale pour lui attribuer un tel rôle, elle devait aussi reconnaître qu'elle n'avait pas forcément l'envie qu'on éloigne Joseph d'elle non plus.

Elle n'était dans tous les cas pas la mieux placée pour savoir à qui se fier ou non. D'autant que son jugement pouvait être cent fois remis en cause depuis le retour de son époux, qu'elle avait accueilli à bras ouverts et presque sans hésitation alors même que son retour devait forcément éveiller toutes les suspicions (et elle regretterait bien vite la rapidité de son jugement au bout du compte).

-Oui, c'est ce que je pense aussi. Je conçois bien sûr que les personnes de confiance sont de plus en plus rares, mais je ne doute pas qu'il est possible de trouver au sein de la cour une personne vous étant suffisamment dévouée pour s'acquitter de cette tâche. Par ailleurs, je ne connais personne dans tout Féerie qui ne tienne le prince Gabriel en grande estime, ce serait un honneur pour eux tous de le guider et de le remettre sur le droit chemin. Elle marqua une légère pause. Quant à la princesse, je la connais fort peu, mais si je peux aider en quoi que ce soit la concernant, sachez que vous pouvez bien évidemment compter sur mon soutien absolu.

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ocaste hocha la tête quand, au sujet de Gabriel, la reine affirma que c'était un sujet dont elle discuterait auprès du roi. En effet, c'était le plus logique, et peut-être que ce dernier avait d'ores et déjà à l'esprit un plan digne de ce nom pour ramener son fils sur le droit chemin. Jocaste ne voulait pas croire qu'il puisse être un cas désespéré, elle avait besoin de croire dans le prince, dans leur futur roi, pas seulement parce qu'il serait appelé à régner à la suite de son père, mais peut-être aussi parce qu'elle tenait à lui aussi sincèrement que s'il avait été son propre fils.

Oui, il s'éloignait, oui, il changeait. Mais il était encore jeune. Entouré des bonnes personnes, il finirait par savoir faire les bons choix, par prendre les bonnes décisions. Elle ne demandait qu'à croire en lui et à le voir développer son potentiel. Il finirait par y parvenir, elle n'envisageait pas autre chose. Mais effectivement, les décisions qui le concernaient avaient à voir avec ses parents en premier lieu et avant tout. Elle pouvait donner son avis, elle pouvait apporter ses suggestions, mais à ce sujet précis, elle savait pertinemment qu'elle ne pourrait pas davantage. Elle espérait seulement qu'Aurore la tiendrait informée de la suite, même si elle ne le lui réclamerait pas comme tel directement. Elle espérait simplement le voir, d'une façon ou d'une autre, évoluer dans le meilleur sens possible.

Là où elle avait peut-être son rôle à jouer, c'était auprès de la princesse. Alors certes, Jocaste ne la connaissait pas vraiment bien, elle lui avait très peu parlé, au final, et cette parvenue ne lui inspirait pas grand chose si ce n'est qu'elle semblait être une source de problèmes depuis son arrivée au château. Elle était d'accord il fallait la museler... Sans doute fallait-il la discréditer, la mettre hors d'état de nuire.

-Je suppose qu'il ne serait pas si difficile de jeter le discrédit sur elle en lui inventant quelque infidélité qui sauraient remettre en question la pureté de ses sentiments envers Gabriel. Que la rumeur soit fondée ou non, ce n'était pas la question. Une rumeur restait une rumeur. Une parvenue, fille de paysans qui se serait jouée du prince par pur intérêt. Il n'y aurait pas besoin de fournir beaucoup d'efforts pour que le peuple y croie.

Ensuite, ce serait la parole d'Eleonore contre celle de tous les autres.

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ocaste n'était pas une grande stratège, mais elle avait un pied auprès de la royauté depuis suffisamment longtemps pour en avoir pris de la graine par certains aspects, pour avoir cerné certaines dynamiques et savoir appréhender certains rouages. Bien sûr, elle ne s'en servirait jamais au mépris du roi et de la reine mais toujours dans leur intérêt le plus sincère, et en l'occurrence, c'était ce qu'elle estimait faire.

Elle n'envisageait pas de questionner le choix d'Aurore d'évincer Eleonore (la présumée Eleonore) du tableau familial. Si cette dernière ne convenait ni au prince, ni à ses parents, alors autant se débarrasser d'elle, voilà tout. Et pour ce qui était des informations compromettantes qu'elle pourrait divulguer ? Quand bien même Jocaste devait en avoir connaissance - ce qui n'était pas le cas -, elle n'en aurait que faire, en réalité, elle ne penserait pas que ça devrait peser dans la balance.

La parole d'Eleonore n'aurait plus la moindre valeur une fois qu'elle aurait perdu son rôle de princesse. Elle perdrait d'office toute légitimité... Et puis, après l'avoir fait disparaître de la vie publique, rien n'empêchait de la faire disparaître tout court. Certaines décisions radicales devaient parfois être prises, et c'était un mal pour un bien. Eleonore ne manquerait à personne si ce n'est ses parents, sans doute. Là, c'était plus délicat : Geoffroy et Gwendall étaient très proches, et Jocaste appréciait beaucoup Abygaëlle... Mais ses affinités personnelles n'avaient pas à interférer. Le bien du royaume et surtout le bien des Basiel passerait toujours avant tout le reste. C'était nécessaire, il le fallait.

-Si je peux faire quoi que ce soit pour vous aider à la mettre en oeuvre, vous savez que vous pouvez compter sur moi.

Elle n'avait pas forcément les moyens de s'acquitter de cette tâche, mais elle aurait plus de facilité à se mêler au peuple pour y répandre des rumeurs que la reine, c'est certain. Ce n'était pas si difficile de lancer un bruit de couloir, en réalité.

Il suffisait de glisser la bonne information à l'oreille de la bonne personne, qui elle-même se chargerait de la répéter aux bonnes personnes. Si on apprenait que l'information venait de l'intérieur, donc d'une personne haut placée au château, et dans les petits papiers du roi et de la reine, l'information prendrait immédiatement de l'ampleur et de la légitimité.

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ocaste hocha la tête avec sérieux quand la reine observa que même si elle n'hésiterait pas à la solliciter, aucune décision ne pourrait être prise pour le moment tant que son époux n'aurait pas été consulté. Ce semblait le plus judicieux en effet. Dans tous les cas, rien ne pouvait ni ne devait être fait sans l'assentiment d'Edgar, encore moins ces derniers temps, alors que la situation se révélait à ce point critique. La servante de la reine était pour sa part prête à tenir sa place et son rôle à tout moment. L'offre qu'elle faisait maintenant tiendrait toujours ensuite, évidemment, et sans hésitation, ce qui lui importait était, quoi qu'il en soit, de se mettre à la disposition du roi et de la reine pour que Féerie conserve son équilibre, un équilibre qui avait été fragilisé par les circonstances.

Elle afficha un sourire quand Aurore ajouta qu'elle lui était reconnaissante. Elle n'avait pas besoin de le lui dire, mais Jocaste devait tout de même reconnaître que le compliment lui allait droit au coeur, et faisait plaisir à entendre. A plus forte raison qu'Aurore Basiel n'était pas seulement la reine de Féerie à ses yeux mais bien plus que cela, évidemment, elle était une amie, une amie précieuse. Elle, Edgar et Gabriel étaient ce qui se rapprochaient le plus d'une famille pour elle. Certes, les choses avaient changé à présent qu'elle avait retrouvé Geoffroy, mais elle n'oublierait jamais, ô grand jamais, tout ce que les Basiel avaient fait pour elle durant toutes ces années. Elle leur devait une reconnaissance éternelle, et elle comptait bien se montrer digne de la confiance qu'ils acceptaient de placer en elle.

-Je l'espère, c'est pour cela que je vis, après tout, pour vous rendre la vie plus facile, répondit Jocaste avec un fin sourire. Et vous n'avez aucune sorte d'inquiétude à vous faire, ma place sera toujours auprès de vous, quoi qu'il advienne.

Son allégeance allait avant tout aux Basiel. Même avant son propre époux ? L'affaire était épineuse, mais en réalité, son époux ne pouvait lui convenir que si lui-même était loyal et dévoué envers la famille royal. Aussi, à partir de là, il n'y avait aucune raison pour que ses allégeances les plus appuyées entrent en contradiction.

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ocaste espérait que la reine n'avait pas attendu après son discours pour avoir ainsi l'assurance de sa pleine et entière loyauté, qui était acquise à la famille royale depuis bien longtemps maintenant. Si tel devait être le cas, elle ne pourrait nier s'en sentir quelque peu vexée tant elle avait donné de sa personne et de son existence au roi et à la reine, toujours avec dignité et sans jamais faillir. Les récents événements ne devaient pas changer quoi que ce soit à cela, vraiment pas... Elle comptait bien faire passer l'intérêt des Basiel avant tout le reste... le répéter, ne pas le faire oublier, était une chose logique et naturelle à ses yeux.

Elle esquissa un fin sourire quand la reine lui assura qu'elle était une femme de bien. Elle pourrait décider de jouer la carte de la fausse modestie et prétendre ne pas mériter ce compliment, mais elle ne pensait pas que ce soit nécessaire de faire des manières. Jocaste avait une conscience très aigue de sa valeur, et même si elle avait aussi conscience de sa place, qui restait celle d'une subalterne, elle n'avait aucune intention de se dévaloriser.

Oui, elle était une femme de bien, elle était absolument, intimement convaincue de cela, vraiment. Pour autant, parce qu'elle tenait en très grande estime l'opinion de la reine, elle devait bien admettre que l'entendre de sa part était d'autant plus agréable, c'est un fait. Bien sûr qu'elle ne méritait rien de ce que la vie lui avait fait vivre de pire, bien sûr que l'existence aurait dû être plus clémente avec elle, mais il n'était pas encore trop tard, et peut-être que le retour de Geoffroy était pour elle la juste récompense de ses efforts et de sa loyauté sans faille.

-La vie n'aurait pas dû me prendre mon époux en premier lieu, répondit tout de même Jocaste qui n'estimait pas avoir fait quoi que ce soit par le passé qui puisse justifier la tragédie qu'elle et son mari avaient vécue. Ils n'avaient rien fait d'injuste ou de déshonorant : les choses n'auraient définitivement pas dû se passer de cette manière, et pourtant ça avait été le cas. Non, ce n'était définitivement pas juste. Mais je lui suis néanmoins reconnaissante de m'avoir placée sur votre route. Je sais que l'existence se plaît à nous mettre à l'épreuve, c'est sans doute une manière de faire valoir notre ténacité et notre persévérance.

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ocaste appréciait les compliments, elle n'était pas d'un naturel si humble qu'elle les rejetterait quand ils lui étaient adressés. Non, elle savait bel et bien les apprécier à leur juste valeur, mais certains compliments avaient tout de même plus de valeur que d'autres, et ceux que lui adressait la reine en cet instant étaient évidemment sans comparaison possible. Et pour cause, elles lui venaient de la femme qu'elle estimait plus que tout au monde, elle devait par conséquent y accorder une importance toute particulière, à part entière, et qu'il était sans doute impossible de comparer à quoi que ce soit d'autre.

Par ailleurs, les compliments les plus rares étaient souvent les plus précieux, car l'on pouvait être assurés qu'ils n'étaient pas formulés à la légère : non, si la reine se permettait de prononcer ces mots-là, c'était qu'elle pensait bel et bien ce qu'elle disait, et donc Jocaste appréciait ce qu'elle estimait être un don précieux sans réserve et avec une immense reconnaissance : une reconnaissance sans égale, même, devrait-on dire.

Etait-elle la meilleure dame de compagnie qu'Aurore aurait pu avoir ? Ce n'était pas certain, en revanche, il était sûre qu'elle faisait au mieux pour être la dame de compagnie la plus compétente qui aura jamais croisé la route de sa reine parce qu'elle était exigeante envers elle-même et ne tenait pas à faire les choses à moitié. Elle prenait ce rôle très à coeur, de même qu'elle voulait prendre le plus grand soin à forcer le respect de son interlocutrice, qui méritait que le meilleur lui soit accordé, au nom de toutes les manières dont elle oeuvrait à rendre leurs vies, à tous, bien meilleures, et ce n'était pas une chose que Jocaste oubliait, en aucun cas.

-J'en suis certaine. J'ai à présent tout ce que j'ai toujours souhaité, et c'est en grande partie grâce à vous, fit-elle avec un sourire. Certes, il lui manquait sans doute une chose tout de même : cet enfant qu'elle n'aurait jamais, mais elle avait renoncé à cette possibilité, et évitait de trop y penser - à quoi bon se faire du mal au sujet d'une chose qu'elle ne pouvait pas changer ? C'était ainsi, il n'y avait rien à faire, rien ne pourrait changer ce qui était, pas même tous les efforts du monde. Mais nous avons bien assez parlé de moi. Y a-t-il quoi que ce soit de plus que je puisse faire pour vous ?

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